Evasion

Amsterdam : ou la langueur discrète d’une cité toute en canaux

Sur une terre qui porte la platitude jusque dans son nom, la capitale économique du pays s’étale langoureusement le long de canaux, dans une lumière faite de clairs obscurs, reproduite par la palette des maîtres du pinceau. Venise n’a pas le monopole des villes entrecoupées de voies d’eaux. Il existe d’autres lieux un peu semblables : Suzhou, en Chine; Bangkok, en Thaïlande; Bruges, en Belgique; et bien sûr, Amsterdam, aux Pays-Bas. La cité hollandaise
recèle plus de canaux que la “cité des Doges”.

Par Christian Sorand

Il y a deux manières de découvrir une ville, celle des touristes et des amateurs de musées et celle, plus nonchalante, du visiteur indépendant déambulant au hasard de la découverte et de l’insolite, à l’écart des sentiers battus, loin des tours organisés. À Amsterdam, il existe aussi deux niveaux de parcours : celui du transport fluvial ou celui des berges.
Amsterdam a son lot de galeries et de musées célèbres. On y vient pour le Rijkmuseum, le musée Van Gogh ou le musée Rembrandt (Museum Het Rembrandthuis). On fait la queue aussi pour visiter la maison d’Anne Frank (Anne Frank Huis). Autant de détours incontournables qu’une première visite rend presque inévitables. Pourtant Amsterdam, malgré son million d’habitants, est un lieu incitant à la découverte pédestre, voire à vélo, noblesse hollandaise oblige. Car ici il faut davantage prêter attention aux bicyclettes qu’à la circulation automobile ! 400 km de pistes cyclables sont homologuées dans l’espace urbain. L’itinéraire invite donc le lecteur à rêver au grès de flâneries vagabondes. On pense alors à ces vers écrits par Charles Baudelaire:

« Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l’humeur est vagabonde; »

Les deux styles de découvertes ne sont pas nécessairement indissociables. Ils peuvent être complémentaires. Amsterdam n’en demeure pas moins l’une de ces vieilles cités d’Europe à appréhender d’une manière plus nonchalante, yeux écarquillés, dans un esprit de découverte curieux et tenace.

Pignons et canaux

Il y a des villes marines, des villes fluviales et puis, plus rarement encore, des villes de canaux, à l’instar de Venise. C’est comme si l’élément aquatique était une inspiration chère au cœur des hommes. Et si la cité des Doges ne ressemble à nulle autre, il faut bien admettre qu’Amsterdam a aussi sa propre authenticité. La lumière, tout d’abord, contribue à une première différence. Il s’y ajoute ensuite une caractéristique culturelle.
Pas très loin du Dam (‘la digue’, nom original du village de pêcheurs) – la grande place centrale du palais royal (Koninklijk Paleis, XVIIe) – on commence à découvrir un entrelacs de ruelles et de canaux, semblant cohabiter dans un heureux ménage. C’est le quartier historique d’Amsterdam de Niewmarkt et de Plantage. C’est ici que s’est établie la communauté juive, à l’origine du commerce des diamants. La synagogue israélo-portugaise était à l’époque de sa fondation, en 1675, la plus vaste d’Europe. L’église Zuiderkerk (1611) a été la première église protestante de la ville. Un tableau de Claude Monet, peint en 1874, l’a immortalisée. Un peu plus loin, le quartier, connu sous le nom de ‘Grachtengordel’ (‘ceinture de canaux’, en néerlandais) a tout naturellement été inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Certaines portes des demeures interpellent avec des entrées accessibles par une envolée de quelques marches; vraisemblablement pour se protéger d’inondations imprévues. Les canaux, petits ou grands, sont omniprésents. Parfois des bateaux, des péniches, sont accostés aux quais, servant de demeures flottantes. Comment alors ne pas évoquer Jacques Brel, chantant “Amsterdam”.
Le clair-obscur de la lumière ambiante plonge les maîtres peintres du siècle d’or du XVIIe – Vermeer, Hals, Rembrandt – dans la chaude intimité du foyer familial enveloppée par la flamme d’un candélabre protecteur; et lorsque l’artiste émerge de ce cocon, il se met à rêver d’horizons lointains pour fuir « Les soleils mouillés / De ces ciels brouillés (1) » . Alors, tous les mâts appareillés et bien en vue, l’invitent à quitter les canaux familiers et à partir vers ce large lointain où : « Là, tout n’est qu’ordre et beauté / Luxe, calme et volupté (2) ». Ainsi de Van Gogh, ébloui par la lumière des estampes japonaises, se retrouva, tout étonné de la découvrir dans le pays d’Arles. Deux toiles du maître jalonnent ce parcours atypique : Les mangeurs de pommes de terre, peint en Hollande en 1885 et Le docteur Gachet, peint à Arles en 1890. Quant à la célèbre Nuit étoilée, peinte à Arles aussi en 1889, on y discerne déjà ce cheminement entre le clair-obscur et les couleurs qui ont fait la gloire du peintre.

Ponts et cafés

L’évocation de l’atmosphère ambiante ne doit pas oblitérer pour autant la profonde convivialité de cette ville du nord de l’Europe. Les aléas du climat et de la latitude incitent sans doute au rapprochement du cœur des hommes.
Il existe bien quelques artères automobiles; le tram aussi, mais Amsterdam est la capitale mondiale des deux-roues ! Tout y est fait pour que le promeneur s’y sente également à l’aise grâce au nombre des voies piétonnes. En choisissant l’un ou l’autre de ces moyens inhabituels, on entre alors de plain-pied dans l’âme locale. Pas de pollution, et surtout une merveilleuse sensation de silence urbain, ponctuée à l’occasion par la sonnette des vélos ou le glissement des bateaux à la surface des canaux, un rappel de l’existence du mode de transport fluvial.
De jolis petits ponts à bascule relient les rives de tous les canaux. Le soir venu, la réflexion des façades sur l’eau apporte une certaine magie au paysage urbain. Il existe celle du couchant, mais également celle du petit matin, quand une brume légère enveloppe la ville et donne à la réflexion marine une atmosphère supplémentaire, empreinte de poésie. Le joli quartier de Jordaan et des canaux ouest, situé à proximité de l’imposante gare centrale, est particulièrement propice à la promenade matinale. C’est dans cette partie de la ville que l’on trouvera la maison d’Anne Frank, mais aussi un bien étonnant petit musée baptisé le musée des Tulipes.
Comme pour bien asseoir cette atmosphère de bien-être, réservée aux cyclistes et aux piétons, Amsterdam offre une multitude de bars et de cafés – certains avec terrasses – invitant le passant à se poser un instant avant de reprendre la route. L’arôme du café, voire celui du chocolat, est un autre héritage du passé maritime colonial.

L’insolite

Le charme désuet d’un tel lieu réside bien évidemment dans l’omniprésence de l’insolite. Les guides touristiques n’évoquent pas l’attrait poignant de cette sensation. Seule la vision personnelle du promeneur sera porteuse de l’émotion provoquée par le hasard d’une découverte : une porte, une fenêtre fleurie, un heurtoir, un clocher, ou encore un point-de-vue inattendu. Amsterdam est une de ces villes du nord où la surprise surgit à tout moment. Ainsi, on trouve, sous les voûtes d’un vieux couvent restauré, quelques bouquinistes. Là, le propriétaire d’une péniche a décoré artistiquement le toit de sa maison flottante d’un assemblage de bouteilles en verre, tandis que son voisin l’a transformée en une jungle verte, lointain souvenir peut-être de Sumatra ou de Bornéo. Plus loin encore, sur un autre canal, on s’aperçoit que le courrier est livré en bateau. Dans telle autre rue, une bicyclette, allongée et transformée, sert au transport de marchandises. Le Blauwbrug (le ‘Pont bleu’, 1883) enjambant le fleuve Amstel, est, quant à lui, une réplique locale du pont Alexandre-III de Paris. On connaît bien évidemment aussi les vitrines féminines, animées du quartier près de la gare centrale. Côté musées, il existe celui du sexe, un autre dédié à l’érotisme et il y a aussi le musée du cannabis; un monument est consacré à la liberté des homosexuels. Tout cela dans un espace relativement restreint, dominé par la tour médiévale, la Schreierstoren (1480), portant la marque de l’explorateur anglais Henry Hudson (1565-1611) parti découvrir d’ici, en 1609, le continent nord-américain pour le compte de la compagnie néerlandaise des Indes orientales.

Ainsi, l’histoire d’un passé glorieux est venue se greffer sur un modernisme libéral, qui donne à ce petit pays une marque caractéristique. La Hollande est le pays de la liberté et des droits de l’individu. Amsterdam est le reflet de cette âme baignée d’un halo de clair-obscur, héritage de la lumière nordique. Si ce tableau donne l’impression d’être enveloppé d’une atmosphère en noir et blanc, les couleurs vives des tulipes – comme celles de quelques façades – rappellent deux aspects contrastés d’un certain concept du monde. Les couleurs ambiantes interpellent peintres et photographes. C’est peut-être la raison pour laquelle, Amsterdam a été choisie comme le lieu d’élection, desservant l’équivalent du Nobel du photojournalisme (‘World Press Photo’). C’est également dans cet esprit de liberté et de protection qu’elle est devenue le siège de ‘Greenpeace’.
L’existence des villes de canaux permet de mieux appréhender ce type de communauté urbaine, empreint d’une aura, proche de l’esprit insulaire. Il s’agit vraisemblablement de la marque d’un caractère hybride, caractéristique d’une terre entourée d’eau. Telle apparaît Amsterdam, autre Venise septentrionale, sous la plume de Baudelaire :

« – Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D’hyacinthe et d’or; »

Ville de culture et de liberté, cette cité de canaux a suscité l’inspiration des poètes et des peintres, mais est aussi devenue un havre du post-modernisme.

Références bibliographiques :

Wikipédia – World Press Photo – Pocket Amsterdam,
Lonely Planet, 3rd ed.Mar.2013
http://www.decouvrir-amsterdam.com/les-musees-damsterdam/
http://www.iamsterdam.com/fr/