Evasion

Montévideo : une brise océane du « vieux monde » souffle sur la rive du Rio de la Plata

Belle, élégante, réputée sûre, pleine d’urbanité, la capitale de l’Uruguay dresse sur un promontoire marin et fluvial toute la grandeur d’une architecture et d’une culture inspirées par ses racines européennes. Une légère brise océane de poésie et de culture flotte sur la ville, apportée par les souvenirs de Saint-Exupéry, Malraux, Supervielle, Laforge, Lautréamont, ou encore de l’Argentin francophile Jorge Luis Borges. Par Christian Sorand

L’Uruguay tient une place particulière parmi les pays d’Amérique du Sud. C’est d’abord le plus petit État indépendant après le Surinam. Peu peuplé (environ 3.3M d’habitants), c’est aussi le pays le plus démocratique du continent, le plus stable, et celui qui détient le plus haut niveau de vie et le meilleur art de vivre. Hispanophone, moderne et souvent d’avant-garde ; à titre d’exemple c’est le premier pays d’Amérique latine à avoir adopté la politique du mariage pour tous (2013) ou à avoir légalisé le cannabis. La revue britannique The Economist l’a d’ailleurs désigné « pays de l’année 2013 ». Blotti entre deux géants continentaux, le Brésil et l’Argentine, c’est un micro-État dont on parle assez peu. On l’a surnommé « la Suisse de l’Amérique du Sud » pour ses paysages verdoyants où paissent vaches, chevaux et moutons.

Montévideo (1.9M), la capitale, abrite à elle seule plus de la moitié de la population du pays. A l’instar de sa voisine argentine, Buenos Aires, elle offre une élégance et une urbanité dignes des plus grandes villes européennes. C’est une cité d’art, chère au cœur des Français puisqu’elle y vit naître trois de nos grands poètes : Lautréamont (1846-1870) (Chants de Maldoror), Jules Laforgue (1860-1887) et Jules Supervielle (1884-1960) (Débarcadères, L’Homme de la Pampa).

« Dans l’Uruguay sur l’Atlantique
L’air était si liant, facile,
Que les couleurs de l’horizon
S’approchaient pour voir les maisons. »
« Montévideo », extrait d’un poème de Jules Supervielle

Montévideo est avant tout une escale maritime majeure de l’Atlantique sud, ancrée à l’entrée de l’estuaire du Rio de la Plata. La vieille ville a été construite sur une presqu’île ayant au nord les plages océanes et au sud les installations portuaires de l’estuaire fluvial.

Les origines

Avant l’arrivée des Européens, le territoire était peuplé par les Indiens Guarani, mais surtout aussi par les Charruas. L’Uruguay tire son nom d’un mot guarani désignant le fleuve qui sépare le pays de l’Argentine. Les Espagnols découvrent le territoire en 1516 et le délaissent pendant plusieurs décennies. Les Portugais fondent alors une ville, Colonia del Sacramento (1680-1683), au fond de la baie, en face de Buenos Aires. Le site de Colonia est aujourd’hui classé sur la liste de l’UNESCO. Pour contrer les Portugais, les Espagnols fondent alors Montévideo en 1724 par le biais du conquistador Bruno Mauricio de Zabala. En 1807, la ville subit brièvement une invasion britannique. Elle devient la capitale du pays à son indépendance, en 1811.

Peuplement et francophonie

Les émigrants européens arrivent par vagues successives : ils sont principalement espagnols ou italiens. Or, de nombreux Français du sud-ouest arrivent également. En 1850, l’immigration pyrénéenne prend un nouvel essor. Les Pyrénéens sont surtout agriculteurs, éleveurs ou artisans. Les Basques, quant à eux, sont laitiers ou fromagers. Les Béarnais occupent les métiers de l’artisanat, du commerce ou de la petite industrie.

Ceci explique donc la présence francophone montévidéenne. Hormis Isidore Ducasse dit comte de Lautréamont, Jules Laforgue et Jules Supervielle, la ville a vu naître également Léo Beker (1946- ), auteur de bandes dessinées (série « Les Tribulations de Louison Cresson », éditions Dupuis).

Aujourd’hui, Montévideo dispose d’une Alliance française et d’un lycée français qui porte le nom de Jules Supervielle.

Une position stratégique

Montévideo continue à être un port important de l’Atlantique sud. Situé dans la partie nord du vaste estuaire du Rio de la Plata, il en commande l’entrée. A l’époque de l’Aéropostale, c’était l’une des principales escales aériennes en Amérique du Sud. Il est à noter que Montévidéo est aussi la capitale la plus septentrionale du continent sud-américain. Car Buenos Aires, située tout au fond de l’estuaire, est légèrement plus au nord. C’est également le cas de Santiago du Chili. De nos jours, Montévideo est le siège du Mercosur (Mercado Comun del Sur) et d’ALADI (Asociacion Latinoamericana de Integracion). La ville joue le rôle de Bruxelles en Amérique du Sud. Or, comme Montévideo détient le record de la meilleure qualité de vie du continent et qu’elle offre une image d’avant-garde, la capitale demeure donc un lieu stratégique de première importance pour toute l’Amérique latine.

Ville d’art et de culture

En déambulant dans les rues de la capitale, on se sent tout de suite à l’aise. On considère souvent Montévideo comme la plus européenne des villes des Amériques.

La ville d’aujourd’hui offre deux sections distinctes. D’une part, il y a la vieille cité (Ciudad Vieja) et de l’autre, une agglomération plus moderne (Centro). L’imposante place de l’indépendance (Plaza Independencia) fait office de trait d’union.

L’avenue du 18 Juillet est l’artère la plus importante du Centro. Elle commémore la date de la première constitution de l’Uruguay, le 18 juillet 1830. Entrecoupée de squares, elle est bordée d’immeubles dont l’architecture plonge dans le monde de l’art déco. Portes majestueuses ; maisons cossues et boutiques de luxe jalonnent son parcours débouchant sur la place de l’indépendance.

On atteint alors véritablement le cœur de la ville. Cette place monumentale (Plaza Independencia) est le point névralgique de la capitale. Elle a été conçue dans les années 1830 par l’architecte italien Carlo Zucchi, inspiré par la rue de Rivoli à Paris. La statue et le mausolée de José Artigas (1764-1850) sont au centre. Ce héros local est souvent considéré comme le « père de la nation urugayenne ». De l’autre côté de la place, dans l’alignement de l’avenue du 18 Juillet, se dresse la porte de Ciudadela marquant l’accès à la vieille ville. Cette porte remarquable était autrefois celle de la forteresse aujourd’hui disparue. C’est sur cette place également que l’on voit le palais Estévez (Palacio Estévez) dont l’architecture classique (1873) abritait autrefois le bureau des présidents. C’est aujourd’hui devenu un musée. L’immeuble moderne qui jouxte le bâtiment, la tour de l’exécutif (Torre Ejecutiva) est dorénavant le lieu de travail du président en exercice et de son équipe. Mais c’est surtout au coin de l’avenue du 18 Juillet que se dresse le palais Salvo (Palacio Salvo). Ce gratte-ciel d’un style quasi rococo est devenu l’emblème de la ville. Construit en 1925 par Mario Palanti, un architecte émigré italien, il domine la place de ses 100m de haut. Cet immeuble a longtemps été le plus haut de l’Amérique du Sud.

A l’autre extrémité de la place de l’indépendance, on entre alors dans l’enceinte de la vieille ville. Édifiée sur un promontoire, elle est entourée par les eaux de l’Atlantique et du Rio de la Plata. La Ciudad Vieja est devenue le quartier le plus touristique de la capitale. Un grand nombre de rues y sont piétonnes. Ainsi en est-il de sa principale artère : la rue Sarandi. Au tout début de cette rue piétonne il y a une extraordinaire librairie de style art déco (Mas Puro Verso). Immense, elle présente des ouvrages en espagnol, en anglais et même en français dans un cadre prestigieux. Le grand escalier central surmonté d’un vitrail à motif floral mène à l’étage, où, au milieu d’autres livres, se trouve un magnifique café invitant le lecteur à une pause culturelle propice à la réflexion. Un fabuleux concept que l’on retrouve dans d’autres villes sud-américaines. Le théâtre Solis (Teatro Solis), construit en 1856 lui aussi par Carlo Zucchi, n’est pas très loin. Peu après, on débouche alors sur une jolie place coloniale ombragée (Plaza de la Constitucion) où se trouvait le Cabildo au temps des conquistadors espagnols. Il y a une élégante fontaine au centre et c’est ici également que s’élève la cathédrale Métropolitaine (Catedral Metropolitana de Montevideo). Bâtie en 1804 dans le style néo-classique, elle offre toutefois assez peu d’intérêt. En fait, tout le charme de la vieille ville réside dans son ambiance surannée à travers laquelle le calme et l’attrait semblent transporter le visiteur dans un autre monde. Ici encore, on y trouve de vieilles maisons coloniales aux portes et aux heurtoirs superbes. Outre quelques restaurants et cafés de charme, cette section urbaine est le royaume des magasins d’antiquités et des galeries d’art. Parfois, l’inattendu vous surprend au coin d’une rue. Ici, ce panneau qui indique la place de la diversité sexuelle (Plaza de la Diversidad Sexual) ! Et là, en haut d’une rue, on y distingue l’océan ou encore le port sur le Rio de la Plata. Certaines maisons basses aux couleurs vives rappellent malgré tout l’Amérique du Sud. Encore quelques monuments publics, encore plusieurs vieilles églises et voilà que l’on débouche sur les installations portuaires et l’étonnant décor du marché du port (Mercado del Puerto). D’anciens docks ont été emménagés pour abriter des restaurants, des bars et quelques boutiques de souvenirs dans une ambiance rétro baignée par un halo de lumière appartenant au monde souterrain. Le visiteur avide de produits du cru pourra ici déguster la viande du pays et goûter ses vins, bercé en même temps par la musique ambiante d’un tango.

Montevideo offre bien d’autres attraits touristiques. Des musées, bien sûr, mais aussi d’anciens forts espagnols, des parcs et surtout une étonnante avenue côtière, appelée la Rambla. Longue de 13km, elle longe une série de plages de sable sur la rive atlantique. L’Uruguay a proposé de l’inscrire sur la liste des sites UNESCO, mais cela n’a pas encore été retenu.

« La pointe de la ville baigne dans les eaux jaunes du rio de la Plata. Aérée, régulière, Montévideo est entourée par un collier de plages et un boulevard maritime qui me paraissent beaux ». Albert Camus, 1949.

A l’instar de Buenos Aires, Montevideo est une ville superbe. L’une des plus belles du continent. Elle est aussi classée comme l’une des trente villes les plus sûres du monde. Un parfum de poésie flotte sur cette ville qui vit naître trois poètes français. D’autres écrivains modernes l’ont visitée également : Antoine de Saint-Éxupéry d’abord puisque c’était une escale de l’Aéropostale ; mais aussi Joseph Kessel, né en Argentine ou encore André Malraux et Albert Camus, en tournée en Amérique latine. En arpentant les rues de Montevideo, on a parfois l’impression de se trouver à Paris, comme c’est le cas dans la capitale argentine. Aucun doute, il s’agit bien de cette même brise océane arrivée tout droit du Vieux Monde avec les vagues successives des immigrants.

« Vieil océan, aux vagues de cristal, tu ressembles proportionnellement à ces marques azurées que l’on voit sur le dos meurtri des mousses ; tu es un immense bleu, appliqué sur le corps de la terre. » (Isidore Ducasse, dit comte de Lautréamont)

Bibliographie :

Le Figaro, « Le Bleu de l’Uruguay » – Albert Gilles- « L’Uruguay Pays Heureux » – Histoire du peuplement français de l’Uruguay

L’Express-As-tu vu Montévideo ? – L’Homme de la Pampa

‘Montevideo’, poème de Jules Supervielle – Saint-Exupéry

Lonely Planet – Montevideo – Wikipedia – Librairie Puro Verso (Espagnol)