Evasion

Rio de Janeiro : L’éphémère vision d’un miroir à deux faces

Que n’avons-nous rêvé d’aller un jour à Rio ? Soleil, plage, baie resplendissante, site exceptionnel, sambas et délires carnavalesques. Certes, Rio de Janeiro est tout cela pour celui qui part à sa rencontre. Et pourtant, en grattant la poudre jetée aux yeux, on découvre aussi un autre visage sous le masque du Carnaval. C’est à la rencontre de cette vision éphémère que nous vous entraînons cette fois-ci.

Deuxième capitale du Brésil après Salvador de Bahia, de 1763 à 1960, Rio de Janeiro a une histoire tout aussi étonnante que son site. Ville profondément brésilienne, elle est l’exact reflet de cette immense nation lusophone aux deux visages. D’un côté, il y a la légende tenace d’un eldorado qui nous fait encore rêver ; de l’autre, se cache une réalité moins reluisante que l’on moins connaît moins et qui serait davantage fallacieuse. C’est un peu la réplique shakespearienne de l’illusion et de la réalité. Ainsi Rio est un miroir à deux tains : on peut choisir de rester figé devant la réflexion d’une image carte postale, ou bien chercher ce qui se cache derrière le miroir aux alouettes.

Une bien étrange histoire.

L’histoire officielle ne reflète pas nécessairement la réalité. Ainsi, il est dit que le Brésil a été découvert en l’An 1500 par le navigateur portugais Pedro Alvares Cabral (1467/8-1520). Or il semblerait qu’un autre explorateur portugais, Duarte Pacheco Pereira, y soit allé deux années plus tôt (en 1498) pour préparer l’expédition des treize navires de Cabral qu’il aurait d’ailleurs accompagné. Un autre navigateur espagnol, cette fois, lieutenant de Christophe Colomb, aurait exploré, lui aussi, la côte nord du Brésil ! Sans trop vouloir polémiquer sur l’Histoire, la découverte du site de la baie de Rio réserve une autre surprise. Certes, il semble que les Portugais en aient fait une première et brève exploration. Croyant trouver dans la baie de Guanabara l’embouchure d’une rivière (‘rio’) en ce 1er jour de janvier 1502 (‘janeiro’), ils baptisèrent le site : Sao Sebastiao do Rio de Janeiro. Or, en fait, les premières colonies de la baie de Rio sont normandes (1503) et françaises (1555) ! Le superbe roman de l’académicien Jean-Christophe Rufin, ‘Rouge Brésil’ en relate l’épopée sur un fond historique véridique. L’Amiral Nicolas Durant de Villegaignon (1510-1571) débarqua sur une île de la Baie de Guanabara avec un demi-millier de colons, pour y établir la colonie de la France Antarctique autour de Fort Coligny de 1555 à 1559. Aujourd’hui, cette île porte le nom d’île de Villegagnon. La ville de Rio fut fondée bien plus tard, en 1565, par le capitaine portugais Estacio de Sa qui mourut en 1567 en livrant une dernière bataille pour détruire le fort français. La réalité et l’éphémère semblent déjà avoir forgé le destin de la ville et de sa baie. C’est également ce que révèlent le cadre physique et le peuplement de cette autre mégalopole sud-américaine.

Les clichés d’une légende tenace.

Avant d’arriver à l’aéroport international de Galeão, sur la côte nord, on survole une ville tentaculaire : une métropole de 6M d’habitants, mais qui en compte entre 11 et 13.5M en incluant la périphérie. Or la vision est plus idyllique quand on commute par l’aéroport Santos-Dumont en bordure de la baie de Guanabara. On aborde une nouvelle fois l’ambivalence d’un enfer urbain chaotique et celui d’un site exceptionnel de montagnes et d’eaux. Car il est indéniable que le site de Rio soit l’un des plus extraordinaires qui soit, évidemment classé par l’UNESCO. Après celle de Tous les Saints, à Salvador de Bahia, la baie de Guanabara vient en seconde position par ses dimensions. Une anse de 31km de long sur 28km de large, étroitement fermée par un chenal de 1,5km, ayant le Pic du Perroquet (Pico do Papagaio) à l’est, et celui du Pain de Sucre (Pao de Açúcar) à l’ouest. Paysage de montagnes aux formes inhabituelles, des îles, une large bordure maritime ourlée d’un beau sable blanc ; un cadre véritablement unique et superbe, très certainement à l’origine de sa réputation. Tant il est vrai, que le Pain de Sucre est à Rio, ce que le Golden Gate Bridge est à San Francisco, ou l’Opéra, à Sydney. En visite dans la ville des Cariocas, on se doit d’aller tout en haut du Pain de Sucre, par le biais de ses deux téléphériques de fabrication helvétique.

Une cabine relie la base (Morro da Babilonia) à un premier pic de 220m (Morro da Urca). La vue y est déjà incroyable mais comme cet endroit est aussi un parc national, on traverse les prémices d’une forêt tropicale peuplée de marmousets peu farouches qui font la joie de tous. La seconde cabine qui relie le Morro da Urca au monolithe de granite du Pain de Sucre (396m) est suspendue dans le vide, offrant un spectacle à vous couper le souffle. Tout en bas, sur une mince péninsule de rochers et de sable, le quartier pittoresque d’ Urca a encore des allures de village de pêcheurs.

Le long du front de mer de Copacabana, on ressent l’irrésistible attrait de la rencontre de la ville et de l’océan. Comme sur la Promenade des Anglais de Nice, hôtels de luxe et beaux immeubles s’alignent sur la façade maritime. Une vaste plage de sable fin, parfois entrecoupée de cocotiers, ajoute une touche d’exotisme au portrait. Riches et pauvres, toutes races confondues, se retrouvent sur la grève dans ce qui a souvent été perçu comme un melting-pot brésilien. A Rio, ville côtière, les plages se succèdent : Copacabana, Ipanema, Leblon,… Le Corcovado est l’autre curiosité de la ville. Car tout en haut se dresse la statue géante du Christ Rédempteur. Le panorama est, sans conteste, véritablement extraordinaire. On peut rester des heures à le contempler en essayant de faire abstraction du voyage pour y arriver, des attentes interminables et de la foule qui s’y presse !

La vieille ville (appelée Centro) offre un intérêt beaucoup plus grand que le reste de la cité moderne et de sa multitude de favelas. C’est à la fois le coeur financier et culturel de Rio. Eglises somptueuses, avenues et quartiers commerçants et pittoresques, places et squares, en font un lieu agréable et passionnant à découvrir, du moins pendant la journée. L’ancien Palais impérial (XVIIIe) rappelle que la ville fut le refuge des derniers rois portugais fuyant les troupes napoléoniennes. La Chapelle impériale (1761), ancienne cathédrale, lui fait face, offrant une splendide façade rococo et un intérieur rutilant d’or. Le magnifique Théâtre municipal (début du XXème), inspiré du Palais Garnier de Paris, est un héritage de la capitale brésilienne à la Belle Epoque. Il existe également un autre lieu exceptionnel, mal connu : la bibliothèque royale portugaise (1810), classée parmi l’une des plus belles du monde. Il ne fait donc pas l’ombre d’un doute que Rio de Janeiro est un lieu culturel et touristique majeur, difficilement évitable.

L’envers du décor.

Mais voilà, Rio n’est pas que tout cela. Sans vouloir souffler sur un château de cartes au risque d’assombrir une légende de carte postale, il existe bien un revers à cette médaille.

Copacabana est jalonnée de cafés-kiosques. Il est tentant et agréable de s’y asseoir pour contempler le paysage et la foule qui se presse côté rue, comme côté plage. On peut y manger et s’attarder ainsi jusqu’au coucher du soleil. Les prix sont affichés, donc apparemment aucune surprise à redouter. Quand l’addition arrive, étrangement le total n’est pas ce que l’on escomptait ; bien entendu pas en faveur du client. Mais voilà, la carte a disparu. Un contrôle rapide au bar indique bien une erreur. Le patron présente des excuses et rectifie. On se dit qu’il est bon de vérifier la note. On s’aperçoit plus tard que ceci est une pratique courante avec les touristes de passage !

Dès que l’on quitte le front de mer, la ville revêt un tout autre visage. Une grande artère court parallèlement à Copacabana. Elle ne respire plus ni charme, ni exotisme. Le soir venu ou durant le week-end, elle est mal fréquentée rappelant ces villes nord-américaines où il ne fait pas bon s’aventurer à ce moment-là. Il en va de même pour le centre historique de Rio. Très animé dans la journée, c’est un lieu à éviter à la tombée de la nuit. Se rendre au Corcovado relève de l’aventure. Ce pic de granite (710m) surplombe la ville et la baie. Pour s’y rendre, il faut prévoir tout une journée et beaucoup de fatigue. En y allant par ses propres moyens voici ce qui vous attend : métro (ou taxi) jusqu’à une première station de bus ; on prend ensuite un minibus pour traverser la forêt de Tijuca jusqu’à l’entrée du parc national. Puis on fait une première queue pour le billet d’accès au parc. (Il est possible d’éviter cette attente en faisant une réservation d’avance en ligne…sachant que le site ou que la liaison Internet ne fonctionnent pas toujours !). Ensuite vient le moment d’une longue, très longue attente sous le soleil des tropiques avant de pouvoir enfin monter à bord d’un des minibus du parc national pour arriver à destination. Une foule dense et souvent excentrique se presse autour de la statue du Christ Rédempteur (1931). Cette statue haute de 30m au-dessus d’un piédestal de 8m est devenue un symbole de Rio. En juillet 2007, elle a été choisie à Lisbonne comme l’une des Nouvelles Merveilles du Monde (à ne pas confondre avec les sites classés par l’UNESCO). On peut comprendre le choix de Machu Picchu, de Pétra ou du Taj Mahal ; un peu moins celui de cette statue, aussi gigantesque soit-elle. Il faut dire que le système de vote par portable interposé a bel et bien été exploité (surtout côté brésilien) pour faire en sorte d’ajouter à tout prix ce monument sur la liste ! Reste, malgré tout, que la vue du haut du Corcovado vaut le déplacement. Que tout cela ne jette point une ombre sur Rio de Janeiro ! Les Cariocas, comme tous les Brésiliens, sont fort sympathiques. Latins, ils aiment la fête ; peuple métis, ils rythment les percussions et les danses, de la samba à la bossa nova. Joyeux et exubérants, ils ont réinventé le Carnaval. Les favelas (il y en aurait un bon millier à Rio) ont engendré une deuxième culture. Hand et foot animent l’arène des plages, où on y bâtit de formidables châteaux de sable, moyennant bien sûr une petite pièce pour la photo. Ville grouillante, ville bigarrée, Rio sait toujours plaire.

Ville sensuelle qui oscille au rythme des maillots deux pièces et demie de toutes les filles d’Ipanema, en vous faisant tourner la tête, sans jamais figer votre regard ! Belle ou laide, Rio est incontournable, fascinante. Elle fera toujours parler d’elle, même si l’on sait bien que « le masque ne cache pas l’homme », mais qu’« il le révèle ». Alors, laissons-nous entraîner dans la danse ; que la fête commence !

Sources : Wikipedia
http://dubleudansmesnuages.com/
http://www.herodote.net
http://www.nbbmuseum.be
http://www.lepetitjournal.com/rio-de-janeiro
http://www.biorespire.com