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Regards croisés

Après une première exposition en mai 2015 dans le cadre du French May « Paris, my Dream », Michel Eisenlohr revient à Hong-Kong en mars pour présenter un nouveau travail en collaboration avec l’artiste hongkongais Yan Kallen : « HERE/NOT HERE », regards croisés sur la ville et ses contrastes.

Photographe travaillant sur le patrimoine, l’esprit des lieux, les relations qu’entretiennent les hommes avec leur territoire, il présentera également son dernier livre, « Images de Syrie, Palmyre, Alep, Damas » (Actes Sud) à l’Alliance française. Echange avec un artiste passionné.

Propos recueillis par Isabelle Chabrat

 

Trait-d’Union : Titulaire d’une maîtrise de lettres modernes, votre passion pour la littérature donne-t-elle un regard différent au photographe que vous êtes aujourd’hui ?

Michel Eisenlohr : J’ai en effet été nourri depuis mon enfance par la littérature, surtout de voyages, comme Jules Verne, Marcel Griaule ou Théodore Monod. Alors que j’étais étudiant en lettres modernes à Aix-en-Provence, j’ai effectué plusieurs voyages, notamment en Afrique de l’ouest, et c’est là-bas que j’ai fait mes premières images. Je pense que ma manière de photographier a été influencée aussi bien par le rythme des mots que par la lumière. Je dirais que j’ai une photographie poétique, qui d’une certaine manière propose un récit. En effet, quel que soit le point de départ, voyage, reportage et littérature sont pour moi toujours mêlés. La lecture d’un ouvrage peut être déclencheuse d’une curiosité à aller voir. Inversement, j’aime pouvoir découvrir la vision d’écrivains ou d’historiens sur un territoire que je vais arpenter.

 

C’est la seconde fois que vous venez à Hong-Kong pour exposer votre travail, cette fois vous proposez des photos sur Hong-Kong et ses « enclaves urbaines ». Quel regard portez-vous sur cette ville ?

Lorsque j’ai été invité à Hong-Kong en 2015, j’ai découvert cette métropole avec fascination. Pour l’œil d’un photographe, une telle destination est un plateau de jeu aux multiples entrées : avec ses signaux urbains, ses totems architecturaux, ses attirants ballets de lumières. Comme je le fais habituellement, j’ai alors arpenté la ville de longues journées, et très rapidement je me suis détaché de cette frénésie pour capter d’autres facettes de ce territoire. Ce qui m’a interpelé, c’est moins la vision d’un Gotham City asiatique qu’un visage plus intime de la ville, où se lisent les strates d’une histoire certes courte de deux siècles, mais riche de différentes cultures, croyances et manières de vivre.

 

L’exposition “Here/Not Here” est un dialogue entre deux artistes, Yan Kallen, photographe hongkongais, et vous-même. Quelle était l’origine de ce projet ?

Lors de mon premier séjour, j’ai compris ce qui m’attirait dans cette ville, ce qui lui donne sa personnalité. Pour moi, indéniablement, ce sont ses contrastes, ses zones de rupture, ses enclaves urbaines. La rencontre avec des architectes, chercheurs, paysagistes est venue nourrir cette réflexion et j’ai décidé de poursuivre ce reportage au cours de trois autres séjours en 2016 et 2017. Ce projet a ainsi vu le jour, soutenu par le consulat de France à Hong-Kong et Macao ainsi que l’université de

Hong-Kong.

 

Connaissiez-vous Yan Kallen avant ?

Non, nous ne nous connaissions pas. Avec les partenaires et la coordinatrice du projet Karine Moge, nous avons rapidement pensé que croiser les regards de deux photographes serait particulièrement intéressant. Et il paraissait évident qu’à mon regard « d’étranger », il fallait opposer celui d’un « habitant » des lieux. Nous avons trouvé que l’approche de Yan Kallen convenait parfaitement à ce dialogue.

 

Que vous apporte ce genre de travail ?

Même si nous avons travaillé plutôt séparément, nous avons eu l’occasion de nous retrouver à certains endroits de la ville pour des séances de prises de vue. Nous étions dans une attention réciproque qui se passait de longs discours. Nous nous sommes également revus en France lors des dernières Rencontres d’Arles. Cela a été très intéressant au fil des mois de voir comment il abordait ce projet.

 

En quoi vos regards sur Hong-Kong divergent-ils ?

Le regard de Yan est celui d’un usager de Hong-Kong, avec ses souvenirs, ses lieux de mémoire intime. Il a une connaissance précise de la ville et a, je crois, souhaité créer un jeu de piste/cheminement dont chaque station correspond à des souvenirs familiaux. Pour ma part, j’ai été dans une déambulation avec certes des points de repère, mais attentif aux rencontres et aux imprévus. Ce qui guide mon regard est de l’ordre de l’intuition, capter une atmosphère particulière, une scène qui se met en place sous mes yeux et parle d’elle même.

 

En quoi convergent-ils ?

Je pense que nous avons tous deux un regard extrêmement pudique sur nos sujets. Nous ne construisons pas de mise en scène. Nous restons au contraire en retrait, laissant le spectateur créer sa propre interprétation.

 

Quels sont les endroits qui vous ont le plus inspirés, du point de vue artistique ?

Je ne peux pas vous citer de lieux précis, vous les découvrirez dans les photos présentées dans l’exposition. Mais ce fut surtout des endroits où apparaissaient des confrontations visuelles entre le gigantisme de tours et la présence persistante de temples, de cascades ou de forêts ; également des endroits plus intimes comme les cimetières, mais tout autant peuplés que la ville des vivants.

 

Etes-vous un “photographe de la ville “ ? Des bâtiments ? Des espaces naturels ?

Je dirais que je suis un photographe de territoires. Qu’ils soient urbains ou naturels, ce qui m’intéresse est ce qui peut se dégager d’un lieu, ce qu’il nous raconte, soit de manière intrinsèque, soit par les relations qu’il entretient avec les hommes. Je m’attache aux récits et aux traces laissées par la lumière et le temps qui passe.

 

Dans le cadre du « mois de la francophonie »

vous allez également présenter votre dernier livre “Images de Syrie : Palmyre, Alep, Damas” (Actes Sud). Vos photos ont été prises en 2002, la Syrie est aujourd’hui un territoire à l’actualité dou-loureuse. En quoi ce reportage de 2002 est-il un témoignage important ? Le photographe que vous êtes a-t-il un rôle dans ce genre de reportage ?

J’ai été invité en 2002 au festival de photographie d’Alep et j’ai profité de cette occasion pour découvrir ce pays, dont j’avais une vision amoureuse et fantasmée par les différents récits de Nerval, Flaubert ou Hesse. Au fil des routes, des sites archéologiques de Palmyre, Apamée, et des villes comme Alep, Damas ou Hammah, j’ai découvert une terre d’héritages vivant au présent, un dialogue des formes, des croyances et des hommes. La Syrie connaît ces dernières années une actualité douloureuse et tragique. Palmyre en est le symbole martyrisé. Ce reportage « Images de Syrie » est avant tout un hommage rendu à la beauté de ce pays et aux hommes qui l’ont bâti, aimé et protégé.  J’espère que ces photographies inviteront le lecteur au voyage, à la poésie, et l’interpelleront aussi sur notre responsabilité à préserver ce qui est la preuve du passage des hommes aux quatre coins du monde.

 

Vous travaillez beaucoup sur le patrimoine français. Vous vous dites « touché par la mémoire des lieux ». Là encore, en quoi le regard du photographe est-il important, et en quoi est-ce important pour vous ?

En effet, la question de la trace laissée par le temps sur ce que l’homme créé m’interpelle. J’aime en découvrir l’histoire, la grande Histoire ou celle plus intime liée au quotidien. La lumière est l’élément qui va permettre de révéler ses traces et qui va me guider dans ce récit. C’est ma manière de transmettre, de faire voir, de partager.

 

Quels sont vos prochains projets ?

Je travaille sur plusieurs projets très différents. J’ai actuellement une carte-blanche « Architectures et lumière » commandée par le Conseil en architecture urbanisme et environnement du Var, qui donnera lieu à une exposition à Toulon à l’automne prochain. Je mène également un reportage intitulé « Gardiens des cimes » dans les Alpes sur les fortifications de la vallée de l’Ubaye. Je collabore à la création d’un ouvrage sur les anciens Palaces de Menton qui sera édité en 2019 aux éditions Honoré Clair. Et je finalise un travail très personnel sur l’Islande et le peuple caché, que j’ai appelé « Huldufolk », et qui sera présenté à la Maison de l’architecture du Québec à Montréal en août prochain.

 

  • Exposition « HERE/NOT HERE »,

photographies de Michel Eisenlohr et Yan Kallen : du 27 mars au 15 avril 2018 , Galerie F22 Foto Space,

5/F Amber Commercial Buiding,

70-74 Morrison Hill Road, Wan Chai.

Horaire : 11.00-19.00, du mardi au samedi

  • Colloque « La ville et son double » : mardi 27 mars de 14h à 19h, The University of Hong-Kong, Knowles Building 730,

Pokfulam Road.

  • Rencontre-signature du livre « Images de Syrie, Palmyre, Alep, Damas » édition Actes Sud 2017 : mercredi 28 mars à 19h à l’Alliance française, 52 Jordan Rd, Jordan.

 

Contact : www.micheleisenlohr.com