Événement

Jacques Weber : « Hugo et Flaubert étaient des ultra-modernes de leur époque »

A l’occasion de la fête de la francophonie, Jacques Weber présentera ce mois-ci sa nouvelle création « Hugo au Bistrot » en Asie, notamment à Hong-Kong et Séoul. Un spectacle exceptionnel privilégiant la proximité avec le public autour d’extraits de l’œuvre de Victor Hugo. Le comédien vient également de publier chez Fayard un essai sur Gustave Flaubert « Vivre en bourgeois, penser en demi Dieu ». Nouveau spectacle, nouvel essai et une passion réelle pour deux monuments de la littérature française que Jacques Weber a choisi de partager avec les lecteurs de Trait d’Union.

Propos recueillis par Philippe Dova

 

Trait d’Union : Pourquoi Hugo et pourquoi au bistrot ?

Jacques Weber : Les deux sont liés en fait ! Lors de la dernière campagne électorale de la présidentielle, je me suis rendu compte très simplement que quel que soit le parti, tous les candidats se sont emparés à un moment où à un autre de Victor Hugo.

Loin de leur en faire le reproche, je me suis d’abord demandé pourquoi tous les hommes politiques au XXIè siècle, quelle que soit leur génération ou leur expérience, se référaient à Victor Hugo sans modération ! C’était la grande star !

 

Pour quelle raison ?

Je pense qu’il y a deux choses qui priment : il y a un lyrisme extrêmement accessible, actif, pas nostalgique, très ancré dans le moment où il sonne. Un lyrisme désacralisé avec des mots extrêmement simples qui atteint toujours la population auprès d’elle- même. Je crois que cela répondait à un vrai besoin que les gens avaient.

 

C’est-à-dire ?

Comment le peuple peut vivre, comment il peut se défendre, comment lutter contre l’injustice avec en même temps des angles d’une tendresse infinie. Victor Hugo a été grand-père, il avait en plus la caution d’être en quelque sorte le grand-père de la France.

Certains se sont amusés à comparer l’enterrement de Johnny Hallyday et celui de Victor Hugo, je trouve qu’il ne faut pas tout mélanger, mais c’était l’occasion de rappeler à quel point l’enterrement d’Hugo était presque un problème politique avec la question de savoir s’il fallait ou non décréter un jour férié !

 

Et quelles sont les raisons qui vous ont amené à jouer du Victor Hugo dans un bistrot ?

Un peu à la manière des acteurs anglais qui le font assez souvent. J’étais dans un bistrot tout près du théâtre où je jouais Beckett, j’aimais ce bistrot très beau, typiquement parisien et à un moment donné j’ai eu envie d’y jouer !

Le patron ne m’a pas pris au sérieux, sans savoir que je l’avais déjà fait à Lyon et dans d’autres villes ! Quelques jours après je lui ai confirmé que j’allais le faire !

C’était tout simple en fait, je me suis retrouvé d’un seul coup dans un tout petit espace avec une désacralisation de l’auteur. Une proximité avec le public et dans le même temps une sacralisation du lieu populaire du bistrot ! J’ai énormément aimé ce rapport entre le texte et le public, c’est très beau.

La langue sonne comme rarement elle a sonné dans son histoire mais de façon très spontanée, très intimiste. J’essaye d’expliquer les textes et pourquoi cette langue est belle.

 

C’est un parcours chronologique de l’œuvre de Victor Hugo ?

Au contraire ! Ce qui m’a plu c’est que ce ne soit pas chronologique, thématique : ce qui m’intéresse c’est le Hugo broussailleux, protéiforme, parlant de tout, parfois enfantin, parfois un peu trop lyrique, parfois redondant, parfois extrêmement douloureux, tribun exceptionnel… Ce mélange-là fait des corps sonnants très différents qui font l’objet d’un très beau spectacle.

 

Cette proximité avec le public était-elle importante pour vous lors de la création de ce spectacle ?

Oui c’est même pour moi l’essentiel ! Je suis un rescapé d’abord de l’éducation nationale et ensuite des spectacles très officiels où on nous disait « il faut aimer, il ne faut pas aimer », on allait en costume cravate ou en smoking dans des soirées littéraires ou des concerts ! Je me suis dit qu’il y avait une autre façon de jouer…

 

Dans des lieux inhabituels ?

Il m’est arrivé à Paris de jouer dans des lycées techniques, dans des communautés difficiles, je vais même sans doute jouer dans des prisons. Je l’ai déjà fait avec Flaubert et c’est formidable. C’est là que ces textes doivent sonner et je suis convaincu que c’est là qu’ils sonnent le mieux.

Selon les lieux, je réinvente la proximité du bistrot et ce qui est formidable c’est que cette pièce peut-être jouée partout y compris chez l’habitant.

 

Les textes de Victor Hugo sont-ils toujours d’actualité ?

Je n’ai jamais trop aimé cette chose qui consiste toujours lorsque l’on joue un texte d’une autre époque à se dédouaner en disant « mon dieu comme c’est actuel » ; ça ne veut pas dire grand chose.

Ce qu’il faut dire tout simplement c’est que généralement les auteurs qui ont traversé en profondeur leur époque, qui en ont parlé si bien, avaient un regard extrêmement aigu sur leur époque et en même temps sur le monde et ses pérennités. Il y a forcément quelque chose de l’ordre de l’intemporel qui est formidablement défini, apprécié et ressenti chez eux.

Dans ce sens, ils ont toutes les raisons de continuer à être avec nous, oui ils sont intemporels parce qu’ils n’ont jamais été autant de leur époque. Hugo et Flaubert étaient des ultras-modernes de leur époque, les autres étaient déjà des anciens !

C’est pour cela que cela dure encore aujourd’hui.

Lorsque l’on regarde les textes de personnages du XXè siècle comme Ferré ou Aragon, Hugo est très proche d’eux ! Aujourd’hui dans des poésies extrêmement contemporaines, directes, issues de la rue il y a des choses très belles, très ouvragées, très coloriées. La langue continue de battre ; c’est très respectable, très beau et très nécessaire !

 

 

Vous venez d’évoquer Flaubert, vous lui consacrez votre nouveau livre, qu’est-ce qui vous a séduit chez lui ?

J’ai souvent joué Flaubert et toujours pris un plaisir considérable à le jouer. Ce qui me séduit chez lui c’est sa nature tempétueuse, totalement de mauvaise foi, généreuse, compulsive, épidermique, son côté libertin et dans le même temps cette espèce de chose très morbide qui se cache derrière tout cela. Ce grand mystique de l’écriture qui n’arrête pas de hurler « qu’il n’y arrive pas » tout cela m’avait bouleversé sur le plan théâtral.

Une personne qui avait vu la pièce et lu ensuite ma préface sur Madame Bovary dans une édition des manuscrits de Flaubert m’a demandé d’écrire un livre sur lui.

J’ai d’abord estimé que je n’avais aucune légitimité littéraire pour faire l’analyse des textes et que je savais juste les jouer. Elle m’a alors répondu que c’était une expérience très intéressante et elle m’a convaincu !

Je me suis « embarqué » dans l’aventure en explorant à la manière d’un acteur, mais finalement à la manière d’un lecteur, un auteur qui en l’occurrence pouvait être un rôle ou le personnage que j’avais interprété. Ce qu’il y a de merveilleux, c’est que forcément entre ce que l’on lit, le rôle que l’on découvre ou que l’on a à concevoir, il se produit un jeu de ricochet incessant entre soi même, sa propre vie et la lecture.

Je crois qu’en fait c’est cela qui se passe entre le lecteur et son livre, autrement il n’y aurait jamais d’émotion. L’émotion vient taper sur la mémoire. C’est très troublant. C’est l’originalité de la structure de ce livre : dans une vie d’une grande densité, j’ai essayé de saisir des moments « ordinaires » chez Flaubert : son voyage en Orient, le moment où il refuse d’ouvrir la porte à sa maîtresse qui vient de faire quatre heures de route pour le rejoindre, chez Georges Sand à Noël moment où il dit être le plus heureux car il fait jouer les enfants en se déguisant pour les faire rire. Entre ça, il y a mon voyage à Beyrouth, mes voyages en Bretagne, mes propres expériences.

La partie la plus importante du livre est bien entendu consacrée à Flaubert mais les ricochets vers moi sont intéressants sur le plan littéraire.

A peine paru ce livre connaît un vif succès en France…

J’en suis très heureux et surtout, à force de côtoyer, on pourrait presque me le reprocher, Hugo, Flaubert, Maupassant, Dumas et Dostoïevski, cela m’interdit de mal écrire ! C’est impossible ! Lorsque l’on relit ces livres la construction est tellement formidable que je me dis que je n’ai pas le droit d’être faible et donc cela me fait faire des progrès.

 

Allez-vous privilégier la littérature au théâtre à l’avenir ?

J’ai 69 ans et je me dis que je vais avoir une autre marotte que celle de jouer. Je ne m’ennuie pas en jouant, bien au contraire jouer est indispensable à ma santé physique mais il y a quelque chose qui est en train de naître dans le troisième temps de ma vie que je découvre, c’est l’écriture. C’est un cadeau magnifique pour moi.

 

Hugo au Bistrot