Chronique

Qui n’en a pas en meurt

Vous êtes plutôt 10 de der ou petit au bout ? Grand opéra ou pouilleux ? Grand Chelem ou Misère de têtes ? Si vous ne savez pas du tout de quoi je parle…c’est bien dommage !

Tous les mammifères ont l’instinct du jeu, et tous les parents jouent avec leur progéniture pour leur apprendre à chasser, à se cacher, à s’approprier leur environnement.

Le jeu est une forme d’apprentissage très puissante et les jeux de cartes n’échappent pas à la règle.

Par Stéphanie Delacroix

 

Étant d’une famille où taper le carton a valeur de religion, Bridge et Tarot d’un côté, Belote et Rami de l’autre j’ai du mal à m’imaginer ce qu’on peut bien faire d’autre ENSEMBLE avec des grands parents et des oncles et tantes et tout autre type de parents lors de réunions de famille quand il pleut dehors ou après diner en vacances !

Les petits apprennent vite le calcul mental, les suites, les analogies. Les grands règlent leurs comptes façon Pagnol sous couvert de jeu (tu vois tonton bah c’est une pince aussi au tarot) et des mythes familiaux se créent et se perpétuent :

Ton arrière-grand-mère n’a jamais perdu une seule partie de Rami de toute sa vie sauf quand elle nous laissait gagner, et elle a vécu 97 ans !

Et elle ne craignait pas que les dinosaures mangent ses cartes ta grand-mère ?

Les premières cartes en papier dateraient du IXe siècle et seraient l’adaptation ludique et éducative de dés divinatoire indiens. Le plus ancien jeu trouvé intact (le papier ça se conserve mal) fut daté du XIIe siècle les 4 enseignes en étaient coupes, pièces, épées et bâtons de polo.

Aujourd’hui les cartes les plus répandues sont d’ailleurs celles que nous connaissons tous, et sont rassemblées dans le jeu de carte dit « français ». Leur design simple à mémoriser (2 enseignes noires Pique et Trèfle, 2 enseignes rouges Cœur et Carreau), crée par des cartiers (sans « q » même s’ils en avaient forcément un) français en 1480, en a fait une norme, les alternatives étaient (et sont toujours) beaucoup plus compliquées à identifier et représenter : Cœurs Grelots Glands Feuilles (dans le monde germanique) Roses Grelots Glands Boucliers (chez les Helvètes) et Coupes Deniers Bâtons Épées (au sud). Le fait que ces « cartiers » étaient à Lyon et Rouen au moment du développement de la xylographie et du commerce européen puis mondial a fait le reste.

Pas étonnant donc qu’en français on ne compte pas (une quinzaine ?) le nombre d’expressions du quotidien issues des cartes :

Il serait temps pour lui de les abattre (pas les tricheurs, ses cartes), je préfère les jouer sur table (les cartes pas les cymbales), son arrivée les a rebattu (les cartes pas les oreilles), ça s’est écroulé comme un château de (cartes pas de la Loire), les avoir en main (les cartes pas les boules…de pétanque, hum), l’avoir blanche (la carte pas la chemise), faire l’impasse (sur le Rouge et le Noir au bac français par exemple parce qu’on était trop occupé à jouer aux cartes ou plus probablement à autre chose), tirer la mauvaise (carte), jouer son va-tout, passer la main, changer la donne etc…

On notera que « tirer son épingle du jeu » ne vient – évidemment ? – pas d’un jeu de carte mais d’un jeu d’adresse du XVe siècle où il fallait faire sortir, en jetant une balle dessus, son épingle (à vêtements) du cercle où les épingles de tout le monde étaient disposées, pour pouvoir ensuite faire sortir celles des autres et les gagner (uniquement quand on avait déjà réussi à sortir son épingle du jeu).

 

Les maximes ne sont pas en reste, et pas seulement en français, en voici mon carré d’as :

« Il faut toujours jouer loyalement quand on a des cartes gagnantes. » Oscar Wilde

« Le destin mêle les cartes et nous jouons. » Arthur Schopenhauer

« L’imprévu n’est pas l’impossible : c’est une carte qui est toujours dans le jeu. » Comte de Belvèze

« Faites confiance à tout le monde, mais marquez les cartes. » Finley Peter Dunne