Protectionnisme 2.0 ?
Par Dr Antoine Martin
“Pourquoi le mot ‘protectionnisme’ est-il en ce moment sur toutes les unes ? “ demande Laurent, lecteur de Trait d’Union. Au delà des actualités politiques “Made in USA”, en réalité, le protectionnisme est un sujet à la fois persistent, glissant et rebondissant.
Au niveau international, le protectionnisme est le nerf de la guerre.
Bien sûr, les politiques menées durant les cinquante dernières années ont visées à faciliter les échanges. Avant les années 90 – qui ont vu apparaître l’Organisation Mondiale du Commerce – l’accent avait été mis sur la diminution des tariffs douaniers. Depuis les années 2000, en revanche, les pays en voie de développement largement exportateurs de produits agricoles exigent l’accès aux marchés des économies développées, qui évidemment n’ont (vraiment) pas l’intention de mettre leurs propres secteurs agricoles en jeu et ferment donc les vannes.
Aux Etats-Unis, la protection des industries est devenue mot d’ordre. Cela n’aura échappé à personne, “l’Amérique d’abord” est passé de slogan à réalité. Pour autant, Washington ne revisite pas intégralement sa copie. Les mesures visant à protéger le marché automobile de la concurrence japonaise dans les années 80 sont devenues des politiques de taxation d’avantage tournées contre la Chine. Après les pneus, l’acier Chinois est taxé à plus de 600 %. On parle aussi de taxer les entreprises américaines qui, à l’avenir, ne produiraient pas “made in USA”. Le TPP, enfin, sert uniquement le reste du monde.
En Europe, le protectionnisme est une cible à abattre et un art de vivre. Officiellement, l’ouverture est un idéal. En réalité, on préserve les champions, on se protège de l’ouvrier polonais détaché, on taxe l’acier Chinois (dans de moindres proportions), la Politique Agricole Commune protège l’agriculteur à coups de subventions et de taxation des produits non-européens. CETA et TTIP, enfin, ne protègent pas assez.
Au moyen-orient, les lignes aériennes subventionnées servent à soutenir les fleurons nationaux. En Chine, la priorité n’est pas de protéger les industries mais de soutenir leur croissance. De fait, on parlera davantage de subventions distribuées généreusement dans les domaines de l’acier ou encore du charbon.
Au niveau de l’Asie-Pacifique, en revanche, la tendance au niveau régional va contre le protectionnisme. L’APEC – environ 30 % de la population mondiale, 50 % du commerce mondial et 60 % du PIB global pour 2015 – a annoncé haut et fort que le protectionnisme de Washington n’influencerait pas la région, qui mènera une politique libérale pour les années à venir. A suivre.
Dit simplement, le protectionnisme est donc à priori (presque) partout. D’ailleurs, ne parle t-on pas de plus en plus de contrôler les investissements étrangers – surtout chinois – afin de préserver intérêts stratégiques et savoir faire ?
Laurent, pour finir, s’interrogeait sur l’impact et le futur de cette tendance.
Difficile de prédire un impact mais, pour rappel, la poussée protectionniste qui avait dominé la pensée américaine dans les années 30 n’avait pas porté ses fruits. Au contraire, la politique du Smooth-Hawley Tariff Act avait à l’époque poussée les US à l’isolation, obligeant le Canada (allié de toujours) à prendre des mesures de rétorsion paralysant 30 % des exports américains tandis que le chômage, faute de demande, passait de 8 à plus de 20 %.
En termes de futur, cependant, diverses questions se posent.
Préfère t-on protéger une industrie sidérurgique locale moins productive en imposant des taxes à l’import, ou permettre aux industries utilisatrices d’acier importé de rester compétitives afin de préserver un tissu économique plus vaste ?
Sommes-nous prêts à payer des produits textiles ou encore des équipements technologiques et automobiles plus chers pour qu’ils soient produits localement ?
Encore plus à l’extrême, est-on aujourd’hui prêts à bannir de nos vies les technologies et algorithmes pour conserver demain ouvriers et banquiers ?
Enfin, et de manière peut-être encore plus existentielle, voulons nous d’un monde dans lequel peuples et nations vivent isolés, refermés sur eux-mêmes, suspicieux des actions de leurs voisins et effrayés par l’étranger ? Affaire à suivre…
Dr Antoine Martin est universitaire (The Chinese University of Hong-Kong) spécialiste des sujets de mondialisation et de négociations commerciales internationales .
Il dirige par ailleurs ‘The Asia-Pacific Circle’, un groupe de réflexion spécialisé dans le suivi des tendances touchant la région Asie-Pacifique. Pour plus d’informations: www.asiapacificcircle.org