Gastronomie

Pierre Gagnaire : « l’artisanat c’est la France » !

En avril dernier, le”seigneur bordelais” Bernard Magrez, propriétaire de 41 domaines viticoles dans le monde dont 4 grands crus classés à Bordeaux, se sépare de Joël Robuchon et confie le piano de « La Grande Maison », l’établissement reconnu comme le plus élégant et raffiné de Bordeaux, à Pierre Gagnaire. Ce chef y installe au mois d’août Jean-Denis Le Bras, chef de cuisine de « Pierre » au Mandarin Oriental Hong-Kong et Jacky Tauvry second de Jean-Denis Le Bras jusqu’alors, le remplace à Hong-Kong. Un nouveau défi pour « l’artisan » Pierre Gagnaire, après celui de « La Maison 1888 » au Vietnam et avant celui de l’Empire du Milieu l’an prochain. Un scoop que le chef élu par ses pairs « plus grand chef étoilé du monde » en 2015 a réservé à Trait d’Union lors de son séjour fin août à Hong-Kong.

Propos recueillis par Philippe Dova

Trait d’Union : Pourquoi avez-vous accepté de relever le défi de La Grande Maison à Bordeaux ?

Pierre Gagnaire : Cela s’est fait en quelques jours ! Bernard Magrez m’a approché et j’ai ressenti cela comme une opportunité incroyable. Aujourd’hui Bordeaux est peut-être la ville française qui a le plus le vent en poupe et c’est aussi la seule ville en France qui a une telle connexion avec l’Asie, notamment avec Hong-Kong.

Pour Jean-Denis c’est une opportunité formidable ce n’est que du bonheur.

Je suis très heureux d’être dans cette ville, de travailler avec Bernard Magrez, c’est un personnage inouï de force, de gentillesse, d’élégance. Ce projet de Bordeaux, qui est une petite pépite dans la grande couronne de Bernard Magrez, a un avantage et un inconvénient : ce n’est pas du vin ! Bernard Magrez s’est rendu compte que l’on ne gérait pas un restaurant comme un vignoble. Nous allons apporter une expertise un peu globale, bien entendu liée à la cuisine mais aussi liée à la façon de faire vivre cet endroit. Nous n’en ferons jamais une cash machine mais il faut que cette affaire ne perde pas d’argent.

C’était le cas ?

Oui, des moyens énormes avaient été investis, peut être disproportionnés par rapport au marché, par rapport au prix, par rapport à la France tout simplement.

Justement en France, vous parliez de pépites, ces petits lieux d’excellence sont-ils nécessaires à l’ouverture d’un restaurant Pierre Gagnaire ?

Nécessaire je ne sais pas. J’ai une chance inouïe en France, je ne travaille qu’avec des personnes de très haut niveau : Bernard Magrez, Dominique Desseigne au Fouquet’s qui est aussi un personnage haut en couleurs avec lequel je m’entends très bien, Stéphane Courbit un homme de la télévision qui a investi maintenant dans l’hôtellerie très haut de gamme (Courchevel, Gordes, Saint Tropez) et puis mon partenaire du Gaya rue du Bac, Michel Seydoux. J’ai la chance d’être avec ces gens que je respecte et moi je maintiens contre vents et marées, mon indépendance avec mon restaurant trois étoiles rue Balzac !

Ces rapports humains sont-ils indispensables ?

C’est capital ! C’est ce qui donne le ton à tout. S’il n’y a pas de compréhension entre les hommes, surtout ceux qui dirigent, derrière c’est la chienlit ! Il faut avoir une vision commune, un esprit commun, du plaisir à être ensemble et se rendre compte que le partenaire d’un côté comme de l’autre apporte quelque chose.

Moi qui ai vécu seul de A à Z pendant trente ans, je ressens un vrai bonheur à partager des projets. Cela demande quelques concessions mais lorsque ces compromis ne sont pas insurmontables, c’est positif pour tout le monde. Pour soi-même mais aussi pour les personnes qui vous entourent.

Vous participez à la campagne de promotion de l’artisanat en France, vous considérez-vous toujours comme artisan ?

Oui je suis un artisan et un artisan doit être quelqu’un qui fait un honnête travail. Qui rend le service juste au prix juste.

Un peu un artiste aussi ?

Oui bien sûr je suis un artiste ! Mais, faire parti de cette campagne de promotion sur l’artisanat est très flatteur pour moi car c’est la dimension humaine de la PME qui finalement fait vivre un pays comme la France. La France ce n’est pas le CAC 40, ce n’est pas Alsthom même si ces entreprises sont importantes ! La France ce sont toutes ces petites entreprises de compagnons, trois compagnons, quinze, vingt trente cinquante voire cent ! C’est cela notre pays et aujourd’hui la France elle a besoin de nous. Il faut que toutes ces personnes ne baissent pas les bras. Malgré les difficultés qui sont liées aux ponctions fiscales, aux soucis administratifs, aujourd’hui nous sommes le cœur du réacteur de ce pays qui a besoin d’emplois, de paix, de respect, de protection des plus faibles pour que notre société n’explose pas. On a besoin de tout le monde !

L’artisan Pierre Gagnaire a été parmi les premiers chefs trois étoiles français à croire en l’Asie. Au Japon comme beaucoup, à Hong-Kong où vous étiez moins nombreux, en revanche en Corée et au Vietnam vous êtes le seul… Pourquoi ?

Ce n’était pas une volonté farouche d’y être ! Ce sont des rencontres qui ont rendu ces ouvertures possibles ! Je ne suis pas un homme d’affaires, je suis un artisan cuisinier. Les gens commencent à connaître mes valeurs, mon fonctionnement. Je suis quelqu’un qui dit ce qu’il fait et fait ce qu’il dit. Je n’ai pas de double langage, je suis un individu assez clair. Les personnes qui viennent me chercher fonctionnent sur ces valeurs. Ensuite il y a bien sûr un rapport qui rentre dans le domaine des affaires mais au départ il y a d’abord une envie de travailler ensemble. Ces deux projets, la Corée et le Vietnam sont passionnants car effectivement nous y sommes plutôt seuls !

Comment êtes-vous arrivé au Vietnam ?

Tout à fait par hasard ! C’est un pays que j’ai visité de nombreuses fois à titre privé, mon épouse et moi l’aimons beaucoup. Même s’il ne reste pas grand-chose malheureusement de la culture française, les Vietnamiens aiment les Français et ils ont un doux souvenir malgré tout de notre passage. Leur cuisine est belle, fine, savoureuse, délicate ce sont par ailleurs des gens qui ont du caractère. En plus je ne suis ni dans le Nord ni dans le Sud mais au milieu, à Danang, cette fameuse frontière où se sont passées tant de négociations, tant de choses secrètes ! Mon restaurant « La Maison 1888 » se trouve au sein du splendide hôtel Intercontinental de Danang et Danang est une ville extrêmement dynamique, un des poumons de ce pays. Comme en Corée, je me sens un peu précurseur et suis heureux de porter ma petite pierre, de parler ma langue, d’entendre « oui chef, chaud devant, deux couverts ça marche » ça fait sourire les équipes locales et mine de rien c’est une présence française, avec le vin et les arts de la table…

Vous n’avez toujours pas de projet d’ouverture en Chine populaire ?

Je vous donne un scoop, nous ouvrons au printemps à Shanghai !

Plus précisément ?

Shanghai a beaucoup changé, j’ai été séduit d’abord par un projet et par la ville. Ce ne sera pas un établissement gastronomique, ce sera un produit simple, quelque chose de nouveau, qui est en train de se construire. L’enseigne et le nom sont déposés mais restent secrets pour l’instant !