Evasion

Kuching, Cité équatoriale au charme langoureux

Dans un bout du monde encore assez peu connu, que l’on croit souvent écrasé sous une chaleur moite, on peut pourtant faire des rencontres inattendues, pouvant parfois revêtir un charme discret mais sublime. Tel est ce qui caractérise Kuching, la “cité des chats”, capitale du Sarawak.

Par Christian Sorand

Bornéo, troisième grande île de la planète, garde une aura de mystères perpétués par de grands maîtres de la littérature anglaise, tels que Joseph Conrad ou Somerset Maugham. Bornéo, c’est aussi le royaume de la grande forêt et des anciens coupeurs de têtes, aux lobes allongés, vivant dans une “longhouse” – maison Dayak commune sur pilotis.

Les souvenirs d’explorateurs d’antan perdurent. La grande forêt tropicale reste encore ce qu’elle a toujours été, sauf que les cultures sur brûlis la menacent sans cesse. Les indigènes ne coupent en principe plus les têtes de leurs ennemis pour s’emparer de leur âme. On voit moins d’oreilles aux lobes disproportionnés, car cette pratique a été abolie. Sans déplorer à ce stade la disparition notoire de l’espace naturel, ou pire celle d’une culture indigène singulière, on est obligé d’admettre que les temps ont bien changé. Et pourtant, Kuching conserve un petit air suranné qui n’existe nulle part ailleurs.

Trois États se partagent l’île de Bornéo. Dans la partie sud de la grande île, les trois-quarts de la superficie insulaire forment le Kalimantan, territoire indonésien. Tout au nord, deux provinces, le Sarawak et le Sabah, constituent la Malaisie orientale, appelée ainsi pour la distinguer de la Malaisie péninsulaire. Le sultanat du Brunei, quant à lui, est enclavé entre les deux territoires malaisiens, sachant que tous trois s’ouvrent sur la mer de Chine méridionale.

Kuching, à l’extrême nord-ouest de Bornéo, est la capitale du Sarawak. Cette province autonome est déjà aussi vaste que toute la Malaisie occidentale avec seulement 2.6 millions d’habitants !

Le charme désuet de Kuching

Quand on débarque au Sarawak, ce qui frappe tout d’abord, c’est l’incommensurable démesure de la végétation d’une luxuriance inouïe. Au bout d’un certain temps, on ressent aussi le poids de toute la moiteur équatoriale. La ligne de l’équateur passe à la hauteur de la ville de Pontianak, au Kalimantan occidental, un peu plus au sud.

Quand on a connu Kuching vingt ans en arrière, on ne peut qu’être frappé par l’étendue des nouveaux quartiers, jalonnés par des bâtiments ultra-modernes tout au long du parcours allant de l’aéroport international à la vieille ville.

Mais voilà, arrivé aux abords de l’ancienne ville coloniale, on s’aperçoit que rien n’a changé. La magie des lieux refait surface. Le charme de Kuching est fait d’un heureux cocktail. Au parfum britannique colonial, répondent les effluves d’un vieux quartier chinois, à une culture autochtone omniprésente, se mêle une touche malaise importée. Kuching pourtant doit tout au fleuve qui le traverse, le “Sarawak River, sans lequel l’atmosphère ne serait plus ce qu’elle est !

Car c’est ici que bat le cœur d’une ville surnommée la “cité des chats”, simplement parce que le mot malais pour un chat est “kucing” ! Effectivement, outre la kyrielle de statues de félins que la cité possède, un grand nombre de chats déambulant un peu partout !

Une histoire hors du commun

L’histoire de la ville remonte au début du XIXe siècle, quand le territoire était encore sous le contrôle du sultanat du Brunei. La fondation de Kuching date de 1827. Or des événements historiques atypiques vont lui donner un nouveau souffle à l’arrivée d’un aventurier britannique. James Brooke (1803-1868), né en Inde et issu d’une famille dirigeant la célèbre East India Company. Ce dernier débarque à Bornéo pour aider à juguler une rébellion des Dayak et restaurer le Sultan du Brunei sur son trône. En remerciement, le monarque lui confère le titre de Rajah du Sarawak en 1842. Il le restera jusqu’à sa mort en 1868, non sans avoir fondé la dynastie des Rajahs blancs du Sarawak. Son neveu, Charles Brooke (1829-1917) lui succède et donne à Kuching son nom actuel en 1872. Le fils de ce dernier, Charles Vyner Brooke (1874-1963) à son tour, devient le troisième et dernier Rajah du Sarawak.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, le Sarawak est occupé par les Japonais (de 1941 à 1945). À son retour d’exil à Londres, le dernier Rajah du Sarawak, cède alors le territoire à la couronne britannique le 1er juillet 1946. Le Sarawak entre ensuite dans la Fédération de Malaisie (Federation of Malaya) de 1948 à 1963. Entre-temps, le 31 août 1957, la Fédération de Malaisie devient indépendante, et devient la Malaisie à partir de 1963. À cette époque, ce nouvel État intégrait Singapour, le Sarawak et le Bornéo du Nord (aujourd’hui le Sabah). Singapour réclama ensuite son indépendance pour devenir la République de Singapour le 9 août 1965.

Si aujourd’hui le Sarawak et le Sabah, font toujours partie de la Malaisie, ils disposent malgré tout de prérogatives régionales particulières. D’ailleurs à l’arrivée dans le pays, on contrôle l’identité des voyageurs comme s’il s’agissait d’un autre État.

C’est donc ce passé, un peuplement ethnique insulaire, ou encore un environnement climatique particulier qui rendent la cité de Kuching si différente.

 

Les caractéristiques de Kuching

L’empreinte de la dynastie des Rajahs blancs se retrouve dans le fort Margherita construit par Charles Brooke en 1879. Ce monument, situé sur la rive gauche du fleuve, porte le prénom de Mme Brooke. Il servait de protection à la ville contre d’éventuelles attaques venues de la mer. Antérieurement, en 1870, Charles Brooke avait fait construire sur la même rive, le palais Astana (1), qui est aujourd’hui la résidence du gouverneur.

Pour enjamber l’autre rive du fleuve, où se trouve le vieux Kuching, on a construit un pont piétonnier ultra-moderne (Jambatan Darul Hana), d’où l’on jouit d’un panorama magnifique sur la rivière, la ville et jusqu’à la chaîne de montagnes barrant l’horizon. Au couchant, le point de vue y est tout à fait exceptionnel et c’est devenu un lieu de promenade prisé.

Une fois sur l‘autre rive, on arrive sur une vaste place au milieu de laquelle se dresse un fortin, Square Tower (1879), qui faisait office de prison et qui est devenu un restaurant select. À l’autre extrémité de la place, côté ville, le beau bâtiment colonial blanc surmonté d’une horloge, est un ensemble administratif, the Old Courthouse (1874), édifié par Charles Brooke. Un mémorial à Charles Brooke a été ajouté dans la cour d’entrée en 1924. L’édifice abrite aujourd’hui l’office du tourisme (Sarawak Tourism Complex), un agréable bar colonial et surtout un magnifique café (China House café) où l’on peut se restaurer et goûter à un fabuleux éventail de pâtisseries-maison exposées au pied d’un véritable massif d’orchidées multicolores.

À gauche du bâtiment, dans une rue transversale, se trouve la poste principale (Main Post Office) de style néo-classique (1932) et aux colonnes corinthiennes. En continuant un peu plus loin on arrive à une très belle place (Padang Merdeka (2)), évoquant un “Green” très britannique, mais aux arbres séculaires rappelant la présence de la forêt tropicale de Bornéo.

À droite de cet ensemble, se trouve un vieux quartier commercial ayant la particularité d’afficher de monumentales peintures murales évoquant le Sarawak. C’est dans ce quartier que se trouve l’une des attractions principales de la ville: une rue piétonne couverte, appelée India Street. Plus loin encore, après avoir longé un vieux marché couvert chinois, on aperçoit la Grande Mosquée (Old City Mosque) perchée sur un petit mont et entourée d’un cimetière musulman. Son style néo-indien, rose ici, rappelle celui de Kuala Lumpur. Mais aujourd’hui, la Mosquée flottante (Floating Mosque, Masjid Terapung), récemment terminée (2019) sur les bords du fleuve, est devenue la toute dernière attraction urbaine. Le grand ensemble voisin, au toit en parasol, renferme le siège de l’Assemblée législative de l’État (Sarawak State Legislative Building, 2009).

Enfin, le vieux quartier chinois s’étalant en arrière-plan de la promenade fluviale (Waterfront), conserve un charme désuet, avec ses vieux temples, ses boutiques, ses bars, ses petits restaurants Hokkien ou Hakka, ses maisons de thé. Il existe même un petit café (Black Bean Coffee) torréfiant la variété Liberica des plantations de café du Sarawak.

Kuching a connu un développement tentaculaire tout au long de cette dernière décennie. En faisant le chemin menant à l’aéroport international, la modernité des bâtiments industriels, comme la succession des centres commerciaux attestent de sa prospérité. On construit des échangeurs, des autoroutes qui empiètent sans vergogne sur l’espace naturel. Ce n’est pas tant le développement que son ampleur illimitée qui pose souci. Autrefois, le seul bâtiment notoire était l’hôtel Hilton. Maintenant le Pullman voisin le dépasse en hauteur, et la construction d’autres gratte-ciel va bon train !

Et pourtant, le soir venu, depuis le pont piétonnier de la Sarawak River, par beau temps, on y observe d’extraordinaires couchers de soleil qui enflamment le ciel. Puis, le soir tombe sur la vieille ville, un moment magique pendant lequel une foule colorée et joyeuse déambule sur la promenade le long du fleuve. C’est l’heure de s’attabler aux petits cafés et de choisir ses mets pour dîner, au son de la musique de quelques petits orchestres improvisés. C’est alors le début du ballet lumineux de la fontaine musicale (Kuching Waterfront Musical Fountain).

Et comme la cité des Chats est également la porte d’une magnifique découverte régionale ouverte sur le monde exceptionnel de Bornéo, on se dit qu’il existe des lieux où il fait toujours bon vivre, même sous l’Équateur.

 

Sources:   Wikipedia
https://sarawaktourism.com/
https://bombasticborneo.com

 

Blog: Kuching, State capital of Sarawak: https://chrismate.blogspot.com/search?q=Kuching

 

  1. “Astana” est une déformation du malais “istana” signifiant un palais.
  2. “Merdeka” signifie la victoire en malais.