Evasion

Doha: du mirage d’un conte oriental à l’eldorado de l’or noir

À n’en pas douter, le Qatar joue le rôle d’un conte des temps modernes. Ce petit émirat, jadis somnolant, est passé en un temps record, de la torpeur du désert à la fébrilité d’un micro état ultra moderne. Doha, sa capitale, s’est vue ainsi catapultée dans les arcanes des villes incontournables du XXIe siècle. Par quel tour de magie orientale cela a-t-il donc été possible ?

Par Christian Sorand

Assurément, tout commence comme un conte digne des Mille et Une Nuits. Au pied des dunes de sable du désert, au beau milieu d’une péninsule du golfe Persique, il y avait autrefois une petite anse abritant un village de pêcheurs. Les huîtres perlières y apportaient une relative richesse. On appelait alors ce lieu Al Bida’a. C’était au XVIIe, il y a bien longtemps. Puis, au XIXe siècle, ce village est devenu ville, la plus grande de cette côte désertique. Vers 1820, un autre village a vu le jour tout à côté. Il y avait là un grand arbre. On l’appela ad-Dawha (le « grand arbre », en arabe). Ainsi naquit Doha. Le gros poisson venait d’engendrer une progéniture qui allait devenir redoutable. Des Anglais, venus des rives d’Oman, rôdaient dans les parages. Avides de perles, ils voulaient en faire un commerce. Puis, le petit poisson devint grand et voulut frayer seul dans les eaux claires de l’anse. Il se sépara d’Al Bida’a. Les Britanniques vinrent mouiller dans l’anse de Doha. C’était en 1916. Ils finirent par s’y implanter en créant un protectorat au nom de sa gracieuse Majesté. Coup de théâtre: en 1949, on découvre du pétrole sur les rives de cette péninsule persique ! Le grand petit poisson se fit alors requin. Il avala Al Bida’a comme la baleine de Jonas. C’est ainsi qu’en 1971, à l’indépendance de l’émirat, Doha fut promue capitale d’un nouvel état: le Qatar. Une ère prometteuse s’ouvrait. Ce n’était encore que la base d’une ziggourat en spirale. Au fil des ans, la spirale s’est révélée telle qu’elle apparaît aujourd’hui : une Babel des temps modernes. Les pêcheurs bédouins étaient devenus les maîtres des lieux et il fallut faire appel à une foule de travailleurs asiatiques pour ériger des constructions et établir des commerces. Il y a environ 280.000 Qatariens pour 1.5M d’expatriés.

L’ascension fulgurante du Qatar

Passons vite aux faits. De nos jours, le Qatar affiche le plus gros revenu par habitant du monde devant le Luxembourg et Singapour. Doha, sa capitale atteint presque 1M d’habitants, dans un État qui en compte 1.8M. Le pays défraye fréquemment la chronique médiatique, pas toujours en bien d’ailleurs ! L’or noir est bien entendu à la source du fulgurant progrès économique: des réserves d’huile, mais aussi et surtout de gaz naturel (3ème réserve mondiale). La famille dirigeante Al Thani tient les rênes du pouvoir depuis l’indépendance. Il fallait songer à l’ère de l’après-pétrole. Le père de l’actuel émir a voulu positionner le Qatar sur l’échelle géopolitique internationale. En 2013, il abdique en faveur de son deuxième fils, Tamim bin Hamad Al Thani, qui, le 25 juin de la même année devient le 8ème émir du pays. Éduqué en Angleterre (Harrow School et Royal Military Academy de Sandhurst), le nouveau dirigeant devient le plus jeune chef d’État du monde et aussi l’un des plus riches souverains. Héritier du trône depuis 2003, sportif invétéré, il fait du sport son cheval de bataille. En 2006, il préside les Jeux asiatiques tenus à Doha. Membre du Comité olympique international, il tente la candidature du Qatar pour les Jeux olympiques. Il obtient la nomination de Doha pour l’organisation de la Coupe du monde de la FIFA en 2022.

Le sport d’abord, mais tout est bon pour propulser le pays sur le devant de la scène internationale : politique, économie, culture et transports. En 2012, le pays adhère à l’Organisation internationale de la Francophonie, arguant que 10 % de sa population est francophone (Afrique, Liban). L’organisation de la Coupe du monde de foot nécessite une vaste infrastructure: on construit autour de Doha un énorme réseau autoroutier et on développe le métro, jusque là inexistant. En avril 2014, le nouvel aéroport international Hamad est inauguré et devient le 2ème aéroport régional après celui de Dubaï. Skytrax classe Qatar Airways meilleure compagnie aérienne du monde en 2012 et 2015, seconde en 2013 et 2014. Sa flotte de 150 appareils dessert 154 destinations sur cinq continents. Qatar Airways est le sponsor officiel du FC Barcelone depuis 2013. Education City à Doha est un pôle universitaire travaillant avec les grandes institutions éducatives mondiales, tandis que la Fondation du Qatar pour l’éducation, la science et le développement rural opère depuis 1995. Doha est également le siège de la chaîne de télévision Al Jazeera Media depuis 1996.
Le quartier de West Bay (City Centre), à une extrémité de la baie de Doha, ressemble à celui de Manhattan, vu de la baie d’Hudson.

Visiter Doha aujourd’hui

A vrai dire, Doha offre deux visages. Pour le plus grand bonheur des amateurs d’exotisme culturel, la ville a conservé d’anciens quartiers qu’elle essaye d’adapter au monde moderne. Les centres d’intérêt principaux sont triples : le quartier des vieux souks, la promenade du front de mer, et surtout l’extraordinaire musée d’art islamique, qui à lui seul, mérite l’escale à Doha.

Souk Watif (ou Souq Waqif) demeure le lieu le plus pittoresque et le plus animé de la ville. Il est traversé par une longue rue piétonne bordée de cafés et de restaurants. La police montée locale déambule souvent en fin d’après-midi quand le quartier se prépare à accueillir les visiteurs du soir en quête d’un peu de fraîcheur. Un dédale de petites rues et de souks couverts s’étale de chaque côté de la rue piétonne. Les familiers de Marrakech y verront une ressemblance frappante. On peut encore y chiner et surtout y trouver toutes sortes d’épices parmi les plus rares. Un espace joliment modernisé dans le style arabe s’intitule le ‘souk de l’or’. Un autre, beaucoup plus couleur locale, fait office de marché aux oiseaux exotiques.

La corniche est proche. C’est un long boulevard qui longe la baie de Doha. On peut y aller en empruntant un luxueux passage souterrain climatisé. On arrive alors à une vaste esplanade piétonnière aménagée en jardin fleuri avec pelouses et fontaines. C’est ici également que se trouve le vieux port de Doha avec sa myriade de boutres. Le contraste est frappant : de l’autre côté de la baie s’élèvent les buildings de verre du City Centre, le Wall Street qatarien. Le soir venu, il fait bon se promener sur la corniche.

Le musée d’Art islamique (MIA-Museum of Islamic Art), ouvert en 2008, se dresse sur une île artificielle à l’entrée du port traditionnel, face à l’anse. C’est devenu un repère culturel incontournable à la fois pour ses collections inestimables, mais aussi pour son extraordinaire architecture. C’est l’œuvre du célèbre architecte sino-américain I.M.Pei (né en 1917), créateur par exemple de la tour de la Banque de Chine à Hong-Kong , ou encore de la pyramide du Louvre à Paris. Sa conception inspirée par l’art islamique d’autrefois, demeure résolument contemporaine. Les collections rassemblent des objets d’art en provenance de trois continents, couvrant une période de 1.400 ans. Elle contient des pièces métalliques ou de verre, de la céramique, de l’orfèvrerie, de l’ébénisterie, des textiles. La plupart des objets proviennent d’Espagne, d’Égypte, d’Iran, d’Irak, de Turquie, d’Inde et d’Asie centrale.
Malgré une infrastructure moderne et dynamique, Doha fait figure d’une ville offrant un visage touristique et culturel intéressant. Il est probable d’ailleurs que les travaux immobiliers actuels de la ville ancienne d’Al Bida’a soient conçus pour conserver l’héritage culturel en préparation des prochaines échéances mondiales.

Depuis quelques temps, le Qatar fait l’objet de nombreuses suspicions concernant son rôle ambivalent sur l’échiquier politique international et ses divers investissements dans l’immobilier ou le sport. Si le pays veut poursuivre une politique calquée sur une image de qualité, à l’instar de Singapour, il lui faudra éliminer certains aspects négatifs liés à son rayonnement. Il semblerait que la leçon ait été retenue et qu’une nouvelle voie, plus saine et plus conforme aux exigences du monde actuel, se soit mise en marche. Ses dirigeants ont peut-être enfin réalisé que c’était la condition sine qua non pour asseoir une réputation sans faille dans le sillage des réalisations présentes et futures.

À l’évidence, Doha est devenue un carrefour entre l’Asie, l’Afrique et l’Europe, comme ses voisines des Émirats arabes unis: Dubaï et Abou Dhabi. Cette région du globe bénéficie d’une situation géographique privilégiée, située à mi-chemin entre l’Europe et l’Extrême-Orient. Ce positionnement géopolitique et économique est facilité par le rôle joué par l’excellence des transports aériens (Qatar Airways, Emirates, Etihad). L’avenir dira alors si l’eldorado de l’or noir va ouvrir la voie à une prospérité future, durable et reconnue. Les mannes du pétrole ont bien porté leurs fruits certes; mais après, qu’en adviendra-t-il ?

Bibliographie

• https://fr.wikipedia.org/
• http://www.ambafrance-qa.org.qa/ccfguide/rega0008.htm
Reportage au Qatar : les défis culturels du futur : http://www.exponaute.com/magazine/2015/12/10/reportage-au-qatar-les-defis-culturels-du-futur/
• Doha, ville verte ? : http://gaiapresse.ca/nouvelles/doha-ville-verte-35271.html
• Hamad International Airport : http://dohahamadairport.com