Culture

Christine Cayol : « Nous avons tout notre temps ! »

Philosophe de formation, fondatrice du cabinet Synthesis, Christine Cayol réside à Pékin où elle a créé la maison Yishu 8, la « Villa Médicis chinoise », depuis 2003. Dans son dernier livre Pourquoi les Chinois ont-ils le temps ?, l’auteure donne des clefs pour faire du temps un allié en s’inspirant de l’agilité et de la sagesse du temps chinois. Une approche à la fois philosophique, méditative, interculturelle et pratique. Christine Cayol présentera son livre à la librairie Parenthèses à Hong-Kong le 21 novembre.

Propos recueillis par Philippe Dova

 

Trait d’Union : Avec vos nombreuses activités comment avez-vous réussi à prendre le temps pour écrire un livre sur le temps ?

Christine Cayol : Il m’est apparu très vite en habitant à Pékin que la plupart des difficultés, des obstacles, des problèmes que nous rencontrons avec les Chinois sont liés à la relation au temps. Nous trouvons qu’ils sont lents lorsqu’eux trouvent que nous sommes rapides et réciproquement. Nous sommes souvent à contretemps ! J’ai appris à jouer avec ce que j’appelle l’agilité du temps chinois.

 

Cette agilité du temps est-elle spécifique aux Chinois ?

Les Chinois ont une conscience très rigoureuse, quasi scientifique du temps des horloges et en même temps ils prennent des libertés avec ce temps. C’est ce que j’appelle un mode yin et yang. En Chine le temps n’est ni lent ni rapide : il est rapide et lent. Il est ni scientifique ni romantique : il est scientifique et sentimental. Finalement, c’est cette richesse de perception du temps qui m’a énormément apporté et continue à m’apporter beaucoup.

 

Est-ce pour cela qu’ils achètent autant de montres de luxe ?

Ils achètent autant de montres de luxe parce que depuis l’arrivée des jésuites, les Chinois ont été fascinés par la mesure du temps. C’est d’ailleurs ainsi que les jésuites ont pu séduire la cour impériale à travers l’horlogerie, les montres et la mécanique du temps. En même temps ils sentent bien qu’il y a une esthétique du temps qui passe. C’est à la fois la jouissance de l’instant et la mesure de la continuité.

 

Quel message souhaitez-vous faire passer dans votre livre et à qui l’adressez-vous ?

Je m’adresse aux malades du temps que nous sommes et dont je fais partie. J’essaye à travers ce livre non pas de donner des recettes ou des médicaments mais en tout cas des pistes, des notions, des attitudes pour essayer de moins souffrir de cette maladie.

 

Y-a-t-il une thérapie ?

Il y a une vraie thérapie en effet ! Il faut savoir varier les temps, c’est à dire que si je suis esclave d’un temps unique, de la rapidité, il faut que j’apprenne à ralentir mais si je suis quelqu’un uniquement à l’aise dans la lenteur il faut que j’apprenne à accélérer. En fait c’est comme un régime alimentaire, il faut équilibrer les temps.

Le temps n’existe pas, ce sont les temps au pluriel qui existent. Il faut donc passer d’un temps libre à un temps contraint, d’un temps rigoureux à un temps un peu fou d’improvisation. Il faut être capable de passer de la rapidité à la lenteur et de la sensibilité à la logique.

 

Est-ce plus facile en Chine ?

C’est beaucoup plus facile en Chine parce que les Chinois ont cette aptitude très naturelle à jongler avec ces différents temps. Ils sont à la fois capables d’être très réactifs, d’être dans le temps numérique du Wechat et à la fois capables de passer trois heures à table en laissant le temps s’écouler lorsqu’ils sont dans le temps de l’amitié, de la relation, du partage.

J’appelle cela l’aptitude à jouer avec les temps différents. Dans les affaires, dans la manière dont les choses se jouent, les Chinois sont à la fois très réactifs tout en ayant un vrai sens de la patience.

 

Cette patience a-t-elle été un peu oubliée en Occident ?

Nous sommes des fous d’impatience. Je suis vraiment convaincue que ce sont les gens patients qui construisent les choses, qui créent, qui gagnent les négociations. Cette patience nous devons l’emprunter au bouddhisme, au taoïsme, au zen chinois parce qu’elle est aussi une acceptation d’un temps impondérable.

Finalement ce temps s’arrête un jour, indéniablement…

Interroger notre rapport au temps c’est interroger notre rapport à la vie donc bien sûr à la mort. Ce qui m’a paru important dans ce livre c’est d’avoir un rapport plus serein avec le temps. Non pas courir après lui avec l’idée qu’il va s’arrêter mais au contraire en profiter un maximum avec l’idée qu’il va continuer !

Ce qui compte finalement, c’est d’être complètement présent dans ce que nous faisons. Cette qualité de présence fait que nous nous préparons à quitter un autre temps pour adopter un temps plus spirituel… La question du temps c’est la question de l’éternité. En fait nous avons tout notre temps !

 

Rencontre dédicace avec Christine Cayol

Mardi 21 novembre de 18h30 à 19h30

Librairie Parenthèses: Duke Wellington House, 2nd floor, 14-24 Wellington St, Central