Solo et Jogjakarta : Les deux villes sœurs de la culture javanaise
L’île de Java a joué un rôle majeur parmi les prestigieuses cultures de l’Asie du Sud-Est. Située au centre stratégique des routes maritimes reliant le sous-continent indien à la Chine, Java a été ainsi directement influencée par la culture de l’Inde, hindouiste puis bouddhiste. L’UNESCO a choisi deux sites clés pour illustrer cet héritage: Prambanan et sa culture hindoue et Borobodur de style bouddhiste, tous deux situés dans la sphère culturelle de Yogyakarta – ancienne capitale javanaise. Surakarta (Solo) présente une autre facette, moins connue, de la brillante culture javanaise.
Par Christian Sorand
L’île de Java, sorte de trait d’union entre le monde de l’océan Indien et celui de la ceinture du Pacifique, demeure le cœur vital de l’archipel indonésien, le plus grand de la planète (plus de 13.000 îles). C’est non seulement l’île la plus peuplée de la nation et du monde (141 millions d’habitants), avec une densité par habitant battant tous les records, mais également un centre économique, politique et culturel. Jakarta, la capitale, au nord-ouest de Java, est une immense métropole chaotique et surpeuplée (estimée à 10 millions d’habitants), où les difficultés de transport urbain rendent le séjour ou la visite lourds à gérer.
Malgré tout, l’île de Java offre des sites naturels ou historiques remarquables. La surenchère de tous ses volcans, la plupart actifs, rappelle l’appartenance du pays à la ceinture de feu du Pacifique. Si les secousses sismiques – à l’instar du Japon – s’intègrent à la vie javanaise, la richesse en minéraux du sol et le climat équatorial humide créent des paysages exotiques d’une grande beauté. Java, comme Bali, recèle de magnifiques rizières en terrasses.
Par ailleurs, le visiteur est ébloui par l’extraordinaire richesse culturelle de la civilisation javanaise; son art, ses danses, ses monuments, sa musique, ses costumes. Même s’il est musulman, le Javanais ne peut éradiquer l’impact d’une culture vieille de plusieurs millénaires. Le respect des traditions, la politesse innée, l’accueil de l’étranger, sont des signes irréfutables de ces vieilles civilisations asiatiques, tels que celles du Japon ou de la Thaïlande.
Or, pour lever un voile sur cet héritage sous-jacent, il faut incontestablement se rendre au centre de l’île de Java, à la rencontre de deux cités, chères aux admirateurs de la culture javanaise : Surakarta, au nord, et Yogyakarta, au sud. La seconde, plus grande et plus connue, attire de nombreux visiteurs.
À l’inverse, l’humilité asiatique caractérisant la première la rend plus attachante grâce à son charme suranné et discret.
Surakarta (Solo)
Il est difficile de dissimuler la première émotion dégagée par l’atmosphère de cette jolie cité gardant des proportions humaines, malgré son demi million d’habitants. Construites sur un plan carré traditionnel, ses avenues ombragées, aux vastes trottoirs, invitent à la marche, à l’indolence à la découverte. Solo semble vouloir nous entraîner d’emblée dans une sorte de rêve surréaliste. Serait-ce le nombre de ses cyclo-pousses ? Ou bien une circulation automobile plus fluide que de coutume ? Une nonchalance contagieuse ? Quoi qu’il en soit, l’atmosphère ambiante s’insinue subrepticement dans les veines du visiteur.
La ville ne manque pas d’intérêt. Deux palais sont au cœur de cette vieille culture javanaise. Kraton Hadiningrat (1675) est un bel exemple de palais javanais [kraton, en malais indonésien] avec une touche coloniale européenne. Il a la particularité d’avoir une tour de l’horloge à l’intérieur de laquelle le sultan aimait méditer. En général, on vient ici pour la visite du site royal, en ignorant totalement le quartier voisin, pourtant si caractéristique de la vie javanaise aujourd’hui encore : ruelles colorées, jolies maisonnettes, jardins et quelques exemples de sculptures ou de peintures murales inspirées par l’hindouisme. Le second palais est plus récent. Même si Kraton Mangkunegaran (1757) est d’apparence plus flamboyante, son agencement et ses collections reflètent l’héritage colonial hollandais d’inspiration javanaise. Pour les chineurs, le centre artisanal, à proximité de ce palais, est un vrai régal à condition de marchander les prix avec la plus grande fermeté !
La partie plus moderne de Solo possède un beau marché typique : Pasar Gere. L’hôtel de ville, aussi moderne qu’il puisse être, vaut le déplacement pour ses boiseries inspirées de l’art traditionnel. En outre, Solo est un centre de confection du batik de premier ordre. Le musée du batik Damar Hadi, unique au monde, est un lieu absolument éblouissant. Le parc Sriwedari, un peu plus loin sur cette même avenue est également un site à retenir. La capitale régionale de Yogyakarta est seulement à une soixantaine de kilomètres au sud de Solo. Le train offre une alternative judicieuse pour s’y rendre.
Yogyakarta (Jogja)
L’ancienne capitale de Java, Yogyakarta, n’a plus le charme paisible de Solo. C’est aujourd’hui une ville de trois millions et demi d’habitants n’échappant pas aux problèmes endémiques de surpopulation et à une insuffisance d’infrastructure. Son aéroport international en fait un site touristique de première importance, car on y vient aussi pour les sites de Prambanan et de Borobodur situés à proximité.
Le quartier jouxtant le palais du sultan garde toutefois ses caractéristiques javanaises. Certaines boutiques ont conservé la tradition du travail de l’argent, ou encore la fabrication des figurines en peau du « wayang kulit », le théâtre d’ombres [wayang signifie ‘ombre’ et kulit, veut dire ‘peau’ ou ‘cuir’]; celle du « wayang golek », le théâtre de marionnettes [golek, en indonésien]. Il existe d’ailleurs une troisième forme de représentation théâtrale appelée « wayang orang », jouée par des acteurs en chair et en peau [orang, veut dire ‘homme’] et représentant des scènes du Ramayana ou du Mahabharata. Le Kraton, ici, désigne tout simplement le palais du sultan, encore habité. La coutume veut que le sultan de Jogja soit aussi le gouverneur de la ville. Dans le palais, la salle du trône est particulièrement belle; on y trouve un pavillon réservé à l’orchestre du « gamelan ». Cet orchestre, composé essentiellement de percussions, appartient aux cultures javanaise et balinaise. Une autre spécialité culturelle de Yogyakarta est la fabrication du « kris », le célèbre poignard javanais aux vertus quasiment magiques et vénéré comme tel. À l’instar de Solo, la confection du « batik » revêt une grande place également. Certaines demeures du quartier royal du Kraton ont conservé leur architecture typiquement javanaise. Le château d’eau de Taman Sari, avec ses fontaines et ses bassins, reste le lieu le plus emblématique de Jogja. Construit au XVIIIe siècle pour le sultan et sa famille, c’était un jardin royal destiné à la baignade. Il est ensuite devenu un lieu secret comportant des appartements et même une mosquée souterraine véritable dédale composant un curieux village que l’on peut parcourir à pied. La partie supérieure est aujourd’hui investie par de nombreux artistes locaux.
La vaste place publique appelée Alun-alun, version javanaise du « Green » britannique, sépare la ville royale de la ville moderne vers Jalan Malioboro [jalan, veut dire rue], la grande artère commerciale de la ville.
Jogja est avant tout le point de départ pour la visite de ses alentours, dominé par le cône du Merapi.
Les environs de Yogyakarta
Le Merapi (2.930m) est un volcan actif avec de fréquentes éruptions. En indonésien, api est le ‘feu’, alors que le terme mer est l’abréviation de la montagne sacrée indienne, le mont Meru. Son nom signifie donc « la montagne de feu ». Le terme ‘volcan’ se traduit d’ailleurs par Gunung Api. Sa silhouette domine la plaine environnante autour de Jogja et fait l’objet d’une excursion dans les environs de la ville.
Deux autres sites célèbres se trouvent à proximité de Jogja. Le plus proche est l’ensemble de Prambanan. Le plus visité demeure cependant le temple de Borobodur.
Candi Prambanan (candi est le terme désignant un ‘temple’) est un vaste ensemble hindouiste datant du IXe siècle). Le sanctuaire principal est dédié aux trois formes de la divinité indienne: Brahma, le créateur, Vishnou, le gardien, et Shiva, le destructeur. Chacun de ces trois édifices est consacré à une divinité. La plus haute structure est dédiée à Shiva (47 mètres de haut). De chaque côté, on trouve deux autres structures plus basses (33 mètres de haut), l’une pour Brahma et l’autre pour Vishnou. Il est intéressant de noter que c’est celle du destructeur qui est la plus élevée. Quand on sait que la forme traditionnelle arrondie du temple indien représente le mont Meru, on peut y voir une relation directe avec la proximité du Gunung Merapi. L’ensemble a été classé au patrimoine mondial de l’Unesco en 1991.
Parmi les hauts sites iconiques d’Asie comme le Taj Mahal (Agra), le temple du Ciel (Beijing), Angkor Wat (Siem Reap), la pagode Shwedagon (Yangon), le Grand Palais (Bangkok), on trouve bien sûr Candi Borobodur parmi les lieux à voir absolument. Ce temple du bouddhisme mahayana, le plus grand du monde, date également du IXe siècle. Le plan symbolique comporte neuf plateformes (chiffre hautement significatif dans la spiritualité asiatique) : six de forme carrée et trois de forme circulaire. Le tout est surmonté d’un dôme central entouré par 72 statues de Bouddha assis à l’intérieur d’un stupa perforé. De cette plateforme supérieure, on jouit d’une vue à 360º sur la campagne environnante. Cet étonnant ensemble architectural est également inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1991.
L’archipel indonésien offre une panoplie de lieux naturels ou historiques extraordinaires à découvrir allant de Sumatra à l’ouest, jusqu’à la province d’Irian-Jaya (la Nouvelle-Guinée) à l’est. Si l’île hindouiste de Bali draine le plus de visiteurs par sa renommée internationale, l’île de Java n’en demeure pas moins un lieu tout aussi fascinant et diversifié. Solo et Jogja représentent le cœur culturel d’une île qui n’a jamais cessé de faire parler d’elle depuis la Préhistoire jusqu’à nos jours.
Bibliographie
- Indonesia, Globetrotter Travel Guide, Janet Cochrane & Debbie Martyr, New Holland Publishers, London, 2013, ISBN: 978-1-78009-389-5
Sources: Wikipedia / Lonely Planet / Solocity Travel / UNESCO