BUDAPEST – Fille du Danube à deux visages
La capitale hongroise n’en finit pas de surprendre par ses contrastes ethniques et historiques à travers lesquels le Danube joue le rôle d’un majestueux trait d’union fluvial. Un particularisme qui en fait l’une des plus belles villes d’Europe, parfois appelée “la perle du Danube”.
Par Christian Sorand
Budapest est indissociable du Danube. Le fleuve appartient à la vie locale de la cité magyare. S’il a un temps séparé la ville haute de Buda de la rive basse de Pest, il a malgré tout enfanté la communauté urbaine de Budapest. Ce long fleuve d’environ trois mille kilomètres, second par sa taille après la Volga, traverse en diagonale le continent de la Forêt-Noire à la mer Noire. Ici, son cours prend toute sa force en insufflant une énergie vitale à une cité trépidante, désormais membre de l’Union européenne, après bien des avatars.
Budapest a longtemps été la sœur jumelle de Vienne (1), pendant la période de l’Empire austro-hongrois. Mais avant cela, elle a souvent servi d’avant-poste à une succession d’invasions. Car la ville s’étend au cœur de l’Europe centrale, au beau milieu de la puszta hongroise. Cette grande steppe conserve la mémoire des hordes d’envahisseurs successifs.
Ce sont donc des critères géopolitiques qui ont façonné l’histoire et la culture locales. Budapest en porte encore les stigmates.
Des origines atypiques
Les Romains, grands amateurs d’eaux thermales, appréciaient déjà la qualité des sources chaudes de Buda. Ils l’avaient baptisée du nom d’Aquincum, signifiant “riche en eaux”. Cette tradition de bains et de thermes a été reprise ensuite par les envahisseurs ottomans. Et les établissements thermaux demeurent une caractéristique locale. Mais la chute de l’Empire romain de Constantinople marque le début d’une longue série d’invasions venues de l’Est. Les steppes d’Europe centrale étaient un terrain idéal pour toutes les chevauchées conquérantes. Partis de l’Oural, les Magyars viennent s’y établir dès le IXe siècle. Ce peuple de cavaliers originaires de l’Asie centrale, est à l’origine de la nation hongroise. La langue (le magyar) appartient au groupe ethno-linguistique finno-ougrien, auquel se rattache le finnois actuel. Arpad (v.845-907), chef de la confédération des tribus magyares s’établit sur la colline de Buda à la fin du IXe. Les Khazars, autre peuple semi-nomade d’Asie centrale, s’invitent également sur le territoire magyar. Trois tribus khazares, les Kabars, s’allient aux Magyars, toujours au IXe siècle pour former le royaume de Hongrie.
De confession juive, les Khazars seraient à l’origine de la branche ashkénaze. Quoi qu’il en soit, en l’an 1000, Étienne Ier devient le premier souverain. Il se convertit au christianisme et sera canonisé en devenant saint Étienne. La région subira ensuite les pillages des Mongols (1241-42), autre peuple de cavaliers orientaux. Au XVIe siècle, les Ottomans envahissent eux aussi la région. Les villes de Buda (sur la colline) et de Pest (dans la plaine) se réunissent pour former Budapest en 1873, quand la ville devient la deuxième capitale de l’Autriche-Hongrie. Après la Seconde Guerre mondiale, un gouvernement communiste s’installe de 1947 à 1989. Le régime connaîtra une insurrection sanglante en 1956 et une intervention militaire soviétique dans les années 1960.
En 1989, des manifestations mettent fin au régime communiste. La Hongrie rejoint l’Union européenne le 1er mai 2004.
Buda, rive haute
Buda, sur la colline, a tout d’abord servi de capitale en fonction de sa position défensive, au-dessus du fleuve. C’est donc la partie historique de la capitale.
Le palais de Budavar est l’ancien château des rois de Hongrie. Ce monument massif et rectiligne occupe une grande partie de la colline. Un funiculaire y a été ajouté. Le bâtiment actuel a été reconstruit dans les années 60, car il avait été bombardé par l’armée soviétique en 1945. La vieille ville s’étale tout en haut de la colline. Elle ne manque pas de charme, ni de couleurs, avec ses bâtisses administratives et bourgeoises. Aujourd’hui, entièrement rénovée, elle affiche des cafés, des restaurants, des boutiques de souvenirs, quelques galeries d’art, des musées. Elle ravit les visiteurs par son atmosphère surannée. Deux anciens monuments sont devenus des lieux célèbres. Tout d’abord, il y a l’église Mathias, au toit en tuiles vernissées. À l’origine, le roi Bela IV avait fait édifier en 1255, Notre-Dame-de-l’Assomption qui fut détruite par les raids mongols. Puis en 1458, quand Matthias Corvinus (1443-1490) devient roi, il se fait sacrer Matthias Ier dans une église gothique bâtie en 1387. L’édifice incendié en 1526 a été transformé en mosquée en 1541 par les Ottomans. Mais finalement, en 1686, les Habsbourg la reconstruisent dans le style baroque. Et en 1916, Charles IV, empereur d’Autriche, est couronné roi des Hongrois dans l’église. Sur la placette située devant le sanctuaire, se trouve la statue équestre du roi Étienne. Le bastion des pêcheurs est le second monument célèbre. Il est même devenu un emblème de Budapest. Cet ensemble, tout en blancheur, n’a pourtant eu aucun rôle réel. Sa fonction est uniquement décorative. Il a été construit par l’architecte Frigyes Schulek (1841-1919) pour commémorer l’arrivée d’Arpad et des tribus magyares, à l’occasion des cérémonies du millénaire, en 1896. Terminé en 1902, l’ouvrage comporte sept tourelles représentant les sept tribus d’Arpad. La forme conique des toits symbolise la tente des Magyars. Quoi qu’il en soit, le bastion des pêcheurs offre un splendide panorama sur le Danube et la ville de Pest en contrebas.
Au pied de la colline, lieu des sources d’eaux chaudes, des bains ont été construits entre 1541 et 1686. Les eaux thermales sont censées soigner l’arthrite et les rhumatismes. Comme à Istanbul, ces établissements font la célébrité de la ville: les thermes Kiraly (1565), les thermes Rudas, ou encore les thermes Gellert (1918), construits dans le style Art nouveau. Au pied du château, le Pont des chaînes (1842-49), autre curiosité locale, a été le premier pont à relier Buda à Pest.
Pest, rive basse
L’autre rive du Danube fait office de ville économique. De ce côté du fleuve, le monument le plus célèbre est sans conteste le Parlement hongrois (1885-1904). Inspiré du palais de Westminster, c’est un impressionnant bâtiment de style néo-gothique. Il est long de 270m; son dôme à 96m de haut et est orné de 88 statues. Il s’agit en fait du troisième édifice le plus imposant au monde. Depuis que la Hongrie fait partie de l’Union européenne, les belles façades de Pest ont été soigneusement rénovées et toutes les traces des impacts de balles laissées par les insurrections ont disparu. La basilique Saint-Étienne est la plus grande église catholique du pays. C’est un bâtiment néo-classique de 87m de long sur 65m de large, avec une coupole de style néo-renaissance, haute de 96m comme celle du parlement. La statue de saint Étienne se trouve sur la place, devant l’entrée. L’empereur François-Joseph Ier l’a inaugurée en 1938. La ville de Pest possède un autre lieu emblématique: la place des Héros. Il s’agit d’un ensemble conçu au XIXe siècle et comportant des statues équestres permettant de commémorer les traces des premiers Magyars. Pest a conservé son vieux quartier juif. On y trouve la grande synagogue, datant du XIXe. De style mauresque, c’est la plus grande synagogue d’Europe, mais aussi la deuxième au monde après celle de New York. Le Café New-York, de style néo-baroque, se trouve à la limite de l’ancien quartier juif. De nos jours, les rues et les avenues de Pest n’ont plus rien à envier à celle des autres villes. Les grands noms du luxe et de la mode se côtoient désormais.
Bien sûr, Budapest possède son théâtre et a une intense vie culturelle. Il faut rappeler que la ville a vu naître deux compositeurs célèbres: Franz Liszt (1811-1886), connu pour ses rhapsodies hongroises et Bela Bartok (1881-1945). À noter également que c’est ici qu’est né le photographe André Kertész, ou encore l’écrivain Imre Kertész (né en 1929), prix Nobel de littérature en 2002. Il faut aussi évoquer le souvenir d’Arthur Koestler (né à Budapest en 1905, mort à Londres en 1983), car c’est lui qui a émis la thèse sur l’origine khazare des juifs ashkénazes. (2) Une légende qui a d’ailleurs été reprise par Marek Halter (3), polonais de naissance.
Par son histoire et sa position, Budapest possède des atouts bien caractéristiques. C’est aujourd’hui une capitale de 1.8M d’habitants avec un aéroport international. Le Danube apporte son contingent de croisiéristes fluviaux pour le descendre jusqu’à son embouchure en Roumanie. La gastronomie hongroise s’est emparée d’un grand nombre de restaurants typiques où l’on vient aussi tester le célèbre Tokay de Hongrie. Et même si Budapest n’est pas aussi dense que Vienne ou Prague, elle reste malgré tout attachante et chaleureuse pour ceux qui prennent la peine de la visiter à un rythme nonchalant.
Liens: Wikipedia, Parlement hongrois: https://serialtravelers.fr/visite-du-parlement-hongrois-un-chef-doeuvre-darchitecture-au-coeur-de-budapest/, Place des Héros: https://www.vanupied.com/budapest/monument-budapest/place-des-heros-a-budapest-sur-les-traces-des-magyars.html
- Vienne: le goût d’un modernisme au parfum d’antan, Trait d’Union Magazine, oct.2018, http://www.traitdunionmag.com/vienne-le-gout-dun-modernisme-au-parfum-dantan/
- La Treizième Tribu, A.Koestler, Calmann-Lévy, 1976.
- Le Vent des Khazars, Marek Halter, R. Laffont, 2001.