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Soirée littéraire aux chandelles à Wuhan

Récit d’une soirée littéraire improvisée aux chandelles à Wuhan, à Ben Ma Da Jie, le 27 mai dernier.

« La croisière des écrivains, la littérature est une aventure »

Revenant à peine d’une croisière sur le Yangzi, je feuilletais tranquillement le petit journal du Festival Croisements 2014, lorsque mon œil fut attiré par un petit encart intitulé « La croisière des écrivains : fin mai, cinq écrivains français embarquent pour une aventure littéraire et humaine sur le fleuve Yangzi. De Pékin à Chongqing, de Chongqing à Wuhan, de Wuhan à Shanghai, chaque étape donne lieu à des rencontres avec la scène littéraire locale , écrivains, poètes, artistes… et lecteurs ! ». En lisant ces lignes, j’avais…comment dirais-je… comme une petite frustration ! A quelques jours près, cela aurait pu faire une rencontre formidable. Mais, comme vous le savez déjà peut-être, la vie en Chine peut parfois nous réserver bien des surprises. Et en effet, quelques jours plus tard, j’ai reçu  pour le soir même, un mail d’invitation à une soirée littéraire aux chandelles dans un lieu atypique pour une occasion unique de rencontrer cinq auteurs, récompensés par de nombreux prix prestigieux, dont le point commun est la passion pour les lettres et pour le voyage. Je n’avais plus qu’à trouver l’endroit, quelque part dans Wuhan , la ville du centre de la Chine, celle qui bouge aussi! 

Imaginez un peu la scène…C’est comme dans un film…C’était un mardi soir, il faisait encore un peu chaud. Mais il n’y avait pas de brume dans la rue de Tanhualin (une rue des artistes du quartier de Wuchan), pourtant si proche du célèbre fleuve du Yangzi… Long travelling sur cinq écrivains français, tout juste débarqués d’une croisière, arrivant au bout de cette rue, à la nuit tombée, dans ce nouveau centre culturel chinois du nom de « Ban Ma Da Jia ». Des Wuhannais bien intentionnés m’ont laissée entendre que cela pourrait  signifier « la rue du zèbre qui fait l’âne!» autrement dit, la maison de la rue des « fous-dingues », des « toqués », ce qui montre d’une certaine façon, le sens de l’humour et de l’autodérision du maître des lieux , prénommé Xiezi, (Scorpion, en français). Non, non, ce n’est pas une blague! Un panneau reconnaissable aux sigles du festival croisements 2014, des 50 ans des relations France-Chine, et de celui de l’Alliance Française, indiquait l’entrée de cette fameuse soirée aux chandelles : « the place to be, this night !».  

Soirée « surprise » aussi pour ces 5 écrivains, qui ont été chaleureusement accueillis par des étudiants chinois et quelques « afinados » français dans ce cadre original : un ancien atelier en béton brut et brique, en cours de rénovation. Et ce n’était du « cinoche », ILS étaient bien là !… et tous ensembles réunis, et réchauffés autour d’un verre de l’amitié, nous n’avons pas tardés à tomber également  sous le charme de la scénographie imaginée par Scorpion, un chinois aux lunettes rondes et au large sourire, qui fourmille d’idées… (peut-être le futur Andy Warrol de Wuhan, qui sait ?)

Après les présentations d’usage et quelques photos prises ici et là, les lumières s’éteignent… Un diaporama démarre commenté en chinois par Scorpion et traduit en français par Christine, directrice adjointe de l’Alliance Française… En lien avec le thème de cette soirée, Scorpion a choisi de nous faire découvrir de façon originale, sa ville à travers une série de clichés pris toutes les minutes pendant 24h sous un des ponts historiques de Wuhan : une façon de nous mettre en éveil…C’est l’idée du temps qui passe, mais que rien ne semble changer tout à fait…et la magie commence à opérer …Ici, à Wuhan, sous ce pont imposant illuminé ou non, avec ou sans reflet, nous voilà emportés par le courant du Yangzi… et Guillaume Apollinaire de nous répondre en écho, aux rythmes des diapos et… des rimes de son poème « sous le pont Mirabeau, coule la Seine… » , qui nous reviennent en mémoire… Instant fugace, qui s’évanouit aussitôt les lumières rallumées !

Scorpion et sa joyeuse bande nous invitent alors à les suivre au fond de la salle en compagnie des étudiants chinois… Et là, vous êtes de nouveau « scotchés »,  plongés dans une autre ambiance encore un peu plus vintage, genre underground des années soixante ! Imaginez-vous dans un endroit isolé du restant de la pièce par des meubles bas, et éclairé à la seule lueur des bougies, mises dans des verres de couleur et de forme différente…  C’est comme si vous étiez de nouveau ensorcelés au centre d’un petit cocon, isolés du reste du monde, un peu hors du temps, dans une sorte de bateau-ivre ayant largué les amarres… C’est le début d’une nouvelle aventure autour de la littérature, du roman français, emportés ou portés par les courants des échanges interculturels et le tourbillon de questions–réponses. C’est comme si nous étions tous ensemble repartis en croisière laissant libre cours aux confessions, aux impressions des uns et des autres en compagnie des écrivains français et des étudiants chinois ! Nos cinq invités écrivains se sont alors présentés chacun à son tour, face à un public attentif et curieux de tout : de leurs impressions sur le Yangzi, de la façon d’écrire un roman, du choix des mots…etc…, tout cela  sous l’œil averti et bienveillant de Scorpion, qui, dans la bonne humeur, a su détendre l’assistance lors de son introduction pleine d’humour.

  • Olivier Rolin le plus « expérimenté » de la bande des 5, a ouvert la danse. Il a déjà été  à plusieurs reprises invité en Chine, où il a été un des témoins privilégiés de la prodigieuse transformation du pays. Il reste fasciné à chaque fois, par  « l’optimisme de la jeunesse chinoise, son esprit d’entreprendre, et la façon  de relever des défis toujours plus grands tandis que la France, en perte de vitesse, se replie sur elle-même ». Révolutionnaire dans l’âme et  « rescapé de 68 », pour lui, « être écrivain, c’est avant tout, trouver à redire sur les choses de la vie, des évènements intervenus, personnels ou non». Plusieurs de ses romans ont déjà été traduits en chinois, dont le plus connu est  Le tigre en papier.
  • Eric Faye dont le roman Nagazaki est un des plus connus, nous confie avec humour qu’il pense avoir été invité, cette année en Chine, parce qu’il est né au moment du rapprochement de la France de De Gaulle avec la Chine, et ce, dans la ville de Limoge réputée pour sa porcelaine…dont l’invention provient de Chine (bien sûr !), et ce, depuis bien longtemps déjà! A une question sur la motivation d’écrire, il nous répond qu’il ne peut pas écrire sur commande. Un sujet vient à lui comme une sorte d’énergie qu’il ne maitrise pas. Ecrire sur ce thème devient pour lui comme une nécessité, qui s’impose à lui, un peu comme le ferait la force d’un courant tel que celui du Yangzi…
  • Pia Petersen, de nationalité danoise, nous raconte avec espièglerie plusieurs anecdotes liées au fait qu’elle est avant tout un écrivain (oups !) une écrivaine « d’expression française, mais avec un passeport danois », ce qui a donné lieu, alors qu’elle représentait la France à l’étranger, à quelques quiproquos amusants notamment à cause de son petit accent… Pour cette personnalité bien affirmée, au franc-parler, écrire en français est une belle aventure à tenter, synonyme de liberté, de désir et de volonté, qui se poursuit de livre en livre, comme au gré des rencontres effectuées lors des escales tout au long du Yangzi… Elle est notamment l’auteur d’un Ecrivain, un vrai
  • Véronique Ovaldé, éditrice et auteur de romans comme Et mon cœur transparent, est connue comme étant « la reine du mot juste». Au cours de son voyage en Chine, elle dit avoir été fascinée par l’optimisme et la spontanéité de la jeunesse chinoise. En témoignent l’audace de la mode suivie par les femmes chinoises, la spontanéité décomplexée des karaokés improvisés, le soir sur le bateau ! Néanmoins elle nous avoue rester « follement éprise » de sa ville, malgré l’image peu flatteuse renvoyée par certains parisiens « à la mine renfrognée ». Paris demeure, pour elle, cette ville « merveilleuse pour sa liberté de pensée et de mouvement ». Et voilà, qu’il me semble, comme par une sorte de jeu d’association et de miroir inversé, que le scintillement de la lune sur la Seine au pied de la tour Eiffel se reflète également sur le Yangzi au-dessus des falaises légèrement voilées par les nuages des trois gorges…
  • Parfois l’émotion était aussi au rendez-vous, quand, Marie Nimier, par la diversité de ses talents, « pour qui le choix des mots est le plus important dans le plaisir d’écrire », a essayé d’en trouver quelques-uns pour réconforter cette jeune chinoise,  qui venait de nous confier ses « peines de cœur », et sa crainte de ne plus pouvoir écrire. « l’idée que tu sois là, ce soir, présente et entière, est peut-être la chose la plus importante, même si tu ne t’en rends pas compte pour l’instant à cause de ton chagrin d’amour ». La reine du silence, traduit en chinois, est selon elle, son roman le plus personnel, puisqu’elle y parle de son père écrivain également, mort tragiquement dans un accident de voiture, alors qu’elle était jeune enfant.  Elle nous a fait partager ses impressions ressenties au cours de la croisière

Au cours de cette soirée, des thèmes aussi différents des uns des autres ont été abordés à propos des différences culturelles comme l’optimisme et de la foi en l’avenir en Chine par rapport aux désillusions et au manque de confiance en soi en Europe, ou de s’interroger sur l’identité de la culture française, de son esprit d’ouverture et de liberté que l’on retrouve dans la littérature, en dépit même de la progression des extrêmes, notamment lors des dernières élections en France… Qu’est ce qui est le plus important dans le fait d’écrire des romans ? Existe-t-il dans les romans français des personnages féminins au caractère aussi tempétueux, aussi aventureux que celui des jeunes femmes chinoises ? Ces échanges chaleureux et variés nous ont aussi réservé quelque petite surprise comme par exemple cette étudiante qui déclame un poème devant une assistance émerveillée, avant de demander timidement à nos écrivains, s’ils avaient également au cours de leur croisière, ressenti cette force inspiratrice du Yangzi, comme l’avaient perçue avant eux les poètes chinois. Pour lui répondre, Marie nous a fait part de sa sensation d’avoir cru reconnaître un de ses personnages de son prochain roman à travers les failles des falaises de la 2eme gorge.

Nous n’avons pas vu le temps passer… et le temps est venue de se séparer…Un rendez-vous a même été pris pour l’année prochaine pour faire une nuit blanche des écrivains à Wuhan
Mais je ne résiste pas à vous faire partager en guise de conclusion ces quelques « bons » mots de nos représentants français :

  • le consul général de Wuhan à propos de l’identité française : « c’est de pouvoir parler de tout, à plusieurs voix, tout en étant en désaccord … sur pratiquement tout! »
  • Fabienne Clérot, directrice de l’alliance française, « ce fut une soirée inoubliable au cœur de Tanhualin, qui est au centre de  Wuhan,  cette ville qui est au centre de la Chine,  ou  l’Empire du Milieu qui est au centre du monde ! »

Un grand merci aux organisateurs de cette soirée un peu magique et hors du temps, que sont l’Alliance française, et son partenaire Scorpion  sans oublier les « valeureux » interprètes sans qui ce dialogue interculturel n’aurait pu être aussi intéressant et chaleureux !

Les amis de l’Alliance Française de Wuhan

Poème de Guillaume Apollinaire (1880 – 1918)

Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peine
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
 
Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l’onde si lasse
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
 
L’amour s’en va comme cette eau courante
L’amour s’en va
Comme la vie est lente
Et comme l’Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
 
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé 
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure

Petite présentation et bibliographie de ces 5 auteurs :

Olivier Rolin 

Ecrivain voyageur, amoureux de la Chine.
Récompensé en 1988 par l’Académie française pour son récit Sept villes (éd. Rivages)
Prix Femina pour Port-Soudan (éd. Seuil) en 1994.
Tigre en papier (éd. Seuil) décroche en 2002 le prix France Culture et le prix Ciné roman – traduit en chinois
Grand prix Paul Morand de l’Académie Française pour l’ensemble de son œuvre.
En 2011-2012, les éditions du Seuil rassemblent ses romans, récits et articles publiés entre 1980 et 1998 sous le titre Circus 1, Circus 2. 

Un chasseur de lions, son dixième roman (et dernier en date), vient d’être traduit en chinois

Eric Faye 
Prix des Deux Magots en 1998 pour son recueil de nouvelles fantastiques, Je suis le gardien du phare 
Prix Unesco-Françoise-Gallimard en 1999, pour son roman d’anticipation Croisière en mer des pluies
Prix François-Billetdoux pour L’Homme sans empreintes
Grand prix du roman de l’Académie française pour Nagasaki (2010) traduit en chinois.
Eric Faye a participé il y a 2 ans à un voyage d’écrivains sur l’Ienissei en Sibérie centrale et a été lauréat de la Villa Kujoyama à Kyôto.
Son dernier roman Somnambule dans Istanbul est paru en novembre 2013.
 
Pia Petersen 
Femme de lettres danoise et d’expression française, Pia Petersen vit et travaille entre Paris et Marseille.
Iouri, prix marseillais du polar 2009
Une livre de chair prix de la Bastide de Villeneuve 2010.
Le récent succès d’Un écrivain, un vrai (son huitième roman, paru en 2013 aux éditions Actes Sud) révèle sa malicieuse habileté à analyser l’échec de la création dans le grand galop du consumérisme. Ses œuvres ne font pas l’objet pour le moment d’une traduction en chinois.
 
Véronique Ovaldé 

Editrice et romancière.
Prix France Culture-Télérama en 2008 pour Et mon cœur transparent
prix Renaudot des Lycéens 2009, Prix France Télévisions et Grand prix des lectrices de Elle 2010 pour Ce que je sais de Vera Candida.
Prix Café littéraire de Sainte-Cécile-les-Vignes en 2012 pour Des vies d’oiseaux.
Elle est actuellement éditrice chez Points, et responsable du roman noir, de la poésie et de la collection Signatures (groupe La Martinière).

Marie Nimier 

Romancière, parolière, auteur de nombreux albums pour la jeunesse et de pièces de théâtre
Couronnée par l’Académie française et la Société des gens de lettres en 1985 pour son premier roman Sirène.
Prix Médicis en 2004 pour La Reine du silence dans lequel elle évoque la mémoire de son père, l’écrivain Roger Nimier.
Prix Georges Brassens et le prix des Lycéens d’Evreux pour Les Inséparables Prix Virilo en 2013 pour son douzième roman, Je suis un homme