Evasion

Un balcon andalou ouvert sur la mer

Haut perché sur le promontoire occidental de la baie de Tunis, Sidi Bou Saïd reflète l’âme et la culture méditerranéennes

Difficile de ne pas succomber aux attraits de ce village arabo-andalou ! Haut perché sur le promontoire occidental de la baie de Tunis, Sidi Bou Saïd reflète l’âme et la culture méditerranéennes. Si la petite Tunisie a bien d’autres lieux également dignes d’éloges, « Sidi Bou », comme on la surnomme là-bas, a pourtant une place bien à part dans le collectif de l’envoûtement et dans le cœur de ses adeptes. Pour y aller, rien de plus simple : à Tunis, sautons dans un petit train désuet et brinquebalant. 
Un bon vieux tram d’antan nous emmène de Tunis à Sidi Bou Saïd, une vingtaine de kilomètres plus loin, via le port de La Goulette et les ruines de Carthage. On le surnomme ici le TGM (Tunis-La Goulette-La Marsa). Etre à bord de ce petit tortillard, c’est déjà faire un bond dans un autre monde. Rien de tel pour se préparer à la découverte de Sidi Bou.

Les origines du village

Voici donc ce petit village, dans sa blancheur immaculée, que seul le bleu des portes, des fenêtres et de l’azur du ciel rehausse. L’apparence contemporaine est trompeuse. Au XIIIè siècle, des notables, des lettrés et des artistes de renom quittent la Giralda de Séville en apportant avec eux la culture Al Andalus. L’héritage andalou (1) de cette première vague inspire musique, architecture et art de vivre. A peu près à la même époque, en 1207, un ermite marocain arrive ici. Il s’appelle Abou Saïd ibn Khalef ibn Yahia Ettamini el-Beji. Le village porte alors le nom de Jabal el-Menar. Ce saint homme, adepte du soufisme, y vit jusqu’à sa mort en 1231. Depuis, la petite mosquée du village qui abrite sa tombe est devenue un lieu de pèlerinage et le village a adopté le nom du saint.

Au XVIIIème, les gouverneurs turcs de Tunis et quelques riches citoyens prennent l’habitude d’y construire de vastes demeures.
Puis, au XIXème, arrive un baron franco-britannique, Rodolphe d’Erlanger (1872-1932). C’est lui qui imposera le thème du bleu et blanc à l’architecture locale dans les années vingt. Ce peintre et musicologue fera la renommée du village. Spécialiste de musique arabe, il écrira de 1930 à 1959, une anthologie de ‘La musique arabe’ en six volumes. Il fera également construire un palais Ennejma Ezzahra (2) entre 1909 et 1921. Cette splendide demeure est aujourd’hui devenue le Centre des musiques arabes et méditerranéennes.

Naissance d’un mythe

Des écrivains célèbres commencent alors à visiter ou à séjourner à Sidi Bou Saïd. Ce sont d’abord Chateaubriand, Gustave Flaubert et Alfonse de Lamartine. André Gide, Simone de Beauvoir, Montherlant et Bernanos y viennent ensuite.
Quelques peintres s’inspirent aussi de ses formes, de sa lumière ou de son exotisme. Le plus connu est Paul Klee qui rendra célèbre le café des nattes (3). Il y en aura d’autres comme Gustave-Henri Jossot, Auguste Macke ou bien Yahia Turki de l’École de Tunis.
Alors qu’il enseignait la philosophie à l’Université de Tunis, Michel Foucault choisira Sidi Bou Saïd pour vivre. C’est là qu’il écrira « L’archéologie du savoir (4) » (1969).

La renommée de Sidi Bou Saïd n’est désormais plus à faire

Sidi Bou aujourd’hui : Malgré les hordes de touristes, qui, à certaines heures, y débarquent et font la joie des quelques boutiques de souvenirs, Sidi Bou a su conserver charme et beauté. 

On y vient pour ses cafés célèbres bien sûr. Les terrasses de café ont une connotation toute méditerranéenne et dès lors, très tunisienne. Quelle place n’a pas le café dans le cœur des Tunisiens ! Il y a d’abord le Café des nattes (‘El Allia’) devenu un peu le symbole de Sidi Bou. Il y a ensuite le Café des délices (‘Sidi Chaabane’) rendu célèbre par une chanson de Patrick Bruel (5). « Et l’odeur du jasmin qu’il tenait dans ses mains au Café des délices… » On y vient pour l’extraordinaire panorama qu’il offre de ses multiples terrasses. Pour la vue et pour la renommée, on vous demandera, hélas, une somme extravagante. Il existe également un autre café, moins connu, mais qui vaut bien son pesant d’or. Le Café des Arts (6) est au coin de la rue piétonne. Bâtisse de quelques étages, il allie salles et recoins de style mauresques, qui font la joie des jeunes couples. Avec ses peintures et ses sculptures, c’est presque un petit musée. Il offre aussi une terrasse d’où l’on jouit d’une vue extraordinaire sur le village et la baie de Tunis.

L’un des restaurants les plus en vue s’appelle ‘Au bon vieux temps’ (7). Les photos accrochées aux murs de la salle de restaurant confirment que toutes les célébrités de ce monde y passent à l’occasion d’une visite en Tunisie! Le site de l’actuel restaurant a été autrefois la demeure de Gide. L’enfant du pays, Philippe Seguin (1943-2010) en était un habitué.

D’autres franco-tunisiens célèbres viennent bien sûr à Sidi Bou : Michel Boujenah, Gisèle Halimi, Claudia Cardinale et Bertrand Delanoë. Quant à l’écrivain francophone Albert Memmi, voici ce qu’il a révélé : « Ma Tunisie à moi, est la Tunisie d’un écrivain, je revois les odeurs, les couleurs, les petits rites comme « manger un beignet à Sidi Bou Saïd (8). »

Un lieu unique et magique

Odeurs, couleurs et beignets font justement partie de l’attrait de ce petit village arabo-andalou : Bougainvillées, eucalyptus et jasmin composent le paysage et les effluves que l’on y respire. Tout à coté du Café des nattes, il y a une petite échoppe qui concocte les meilleurs beignets de toute la Tunisie ! Passer à côté sans y goûter, serait un crime. Et puis il y a bien sûr le thé à la menthe et surtout aux pignons, si typiquement tunisien.
Dar el-Annabi (9), dans la rue principale, est une vieille maison qui se visite à certaines heures et qui retrace la vie traditionnelle d’un avocat tunisien du XVIIIè. Ses descendants y vivent encore. C’est une bonne manière de découvrir l’architecture du village de l’intérieur. Sidi Bou Saïd est aussi connue pour le galbe ouvragé de ses cages à oiseaux qui sont l’une de ses spécialités. L’architecture rappelle l’Andalousie et les Cyclades. Sidi Bou étale tout son charme aux yeux éblouis du promeneur : ruelles, arcades, moucharabiehs traditionnels, portes ouvragées si typiquement tunisiennes et toits-terrasses rehaussés de faïences. Dans son ouvrage sur « Carthage » (2008), Daniel Rondeau (10), grand amoureux du bassin méditerranéen en évoquera tout naturellement la douceur et l’histoire.

Sidi Bou Saïd est donc un lieu où l’on aime se poser pour goûter une certaine douceur de vivre. Il y a ici une sorte de fusion entre l’habitat et la nature environnante. Ce qui explique pourquoi le village a été classé au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1979.
Après bien des années de troubles, la Tunisie semble revenir lentement vers sa quiétude d’antan. Elle a bien besoin qu’on l’aide à refaire son attrait touristique. A l’escale de Tunis, les bateaux de croisière proposaient toujours une excursion vers Carthage et Sidi Bou Saïd. Certes, il ne faut pas que cela desserve la langueur ambiante du site. Car ce superbe village invite les âmes solitaires à venir s’égarer dans ses ruelles et à rêver assis à la terrasse d’un café, une fleur de jasmin à l’oreille, en sirotant un thé à la menthe et aux pignons. Même si une ville nouvelle s’est constituée autour du vieux village, site désormais protégé, ce dernier conserve toujours un charme inouï.