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Révolutionnaire : Des restaurants de rue dans le petit livre rouge

Par Philippe Dova

Le Bibendum du célèbre guide pourrait entonner le non moins célèbre tube (less) de Johnny Halliday « Je suis né dans la rue » et justifier l’entrée des restaurants de rue dans l’édition 2016 de son guide Hong-Kong / Macao. Le chiffre 8 étant signe de prospérité en Asie cette 8ème édition dévoilée le 5 novembre, fait la part belle à la cuisine locale, notamment cantonaise. 35 « fast food de rue » (23 à HK et 12 à Macao) y figurent. Une révolution dans le Landerneau de la gastronomie, une première depuis la création du guide en 1900

Révolution justifiée (voir entretien avec Michael Ellis) ou provocation pour faire un coup marketing afin de regonfler les ventes d’un guide de plus en plus ignoré par les gastronomes Hongkongais ?

Possible ! Après avoir fait le buzz en étoilant des établissements locaux dans lesquels il était possible de déjeuner pour moins de 10 euros, le groupe clermontois pourrait remettre le couvert avec les restaurants de rue… L’essentiel est de parler de la marque, « Michelin est avant tout une entreprise mondiale de pneumatiques synonyme de qualité, le guide est une référence en terme de qualité et un excellent relais publicitaire » confesse-t-on en interne. Une évidence longtemps

Le guide n’a pas poussé la provocation jusqu’à étoiler les « bouis bouis », en tout cas pas cette année !
Du côté du club très fermé des trois étoiles, le restaurant cantonais « Tang Court » du Langham Hotel à Tsim Sha Tsui décroche le graal et… c’est tout ! En cette année du 8, les inspecteurs ont préféré jouer local plutôt que Français ! « Pierre », « Amber » et « Caprice », à la surprise générale, restent à la porte.

Seul le restaurant de Joël Robuchon (un ami de longue date du guide) se maintient dans le club… C’est à croire que les incorruptibles et mystérieux inspecteurs ne connaissent que cette adresse gastronomique tricolore à Hong-Kong. Pourtant « Pierre » et « Amber » sont situés à quelques pas de « l’Atelier » et « Caprice », en empruntant les passerelles, à moins de dix minutes à pied…
 
A Macao, Guillaume Galliot décroche sa deuxième étoile pour « The Tasting Room ».

A Hong-Kong, une étoile filante pour Philippe Orrico qui perd celle de son Upper Modern Bistro pour en gagner une à On Dining et une première étoile pour l’atypique Serge et le Phoque à Wanchai.

Pas d’étoile en revanche pour les excellents établissements Epure à Tsim Sha Tsui et Dôme de Cristal à Central. Une ignorance des inspecteurs qui frise la faute professionnelle lourde.

Première étoile pour Serge et le Phoque

Trait d’Union : Vous l’attendiez cette première étoile ?
Charles Pelletier : Pas du tout, c’est une belle surprise !

Comment avez vous appris la nouvelle ?
J’ai reçu un appel téléphonique ce matin de la part du Michelin me demandant de venir à la conférence de presse… Je me suis douté de quelque chose !

Qu’est-ce que cela va vous apporter de plus d’avoir une étoile ?
Je ne sais pas encore ! C’est d’abord une superbe reconnaissance pour le travail de toute l’équipe. D’après ce que tout le monde dit ça apporte plus de business et surtout une espèce de confirmation de ce que l’on fait, c’est surtout ça. Personnellement ça me fait peur parce que les personnes sont plus critiques lorsqu’un restaurant a une étoile ! Nous sommes un restaurant décontracté avec les toilettes dans le parking, dorénavant avec une étoile nous allons avoir des clients qui ne vont pas forcément comprendre ! Ca me fait un peu peur !

Aviez-vous repéré les inspecteurs du guide ?
Oui en fait toute personne qui dîne seule au restaurant nous l’appelons le « Michelin Man » et puis ils prennent des notes mais on ne l’apprend qu’après qu’ils sont du Michelin !

Michael Ellis, Directeur Général du Guide répond à Trait d’Union

Propos recueillis par Philippe Dova

Trait d’Union : Des restaurants de rue qui entrent au Michelin, c’est de la provocation ?
Michael Ellis : Pas du tout ! Le guide Michelin reflète les conditions des locaux. Comment mangent les locaux c’est notre objectif depuis la création du guide. Nos inspecteurs ont constaté que depuis quelques années il y avait une nette amélioration dans la qualité de la nourriture de rue et que les cuisiniers qui faisaient ce type de cuisine étaient devenus sédentaires dans des petits locaux de quelques mètres carrés… A partir du moment où il y a une adresse fixe nous pouvons y envoyer nos lecteurs…

C’est un coup marketing pour faire parler du guide et de la marque ?
Pas du tout ! Nous voulons vraiment refléter la condition gastronomique d’une ville où nous sommes présents. Comme la cuisine de rue est une partie intégrante de la vie hongkongaise, Hong-Kong est une ville où les gens sont obsédés par la cuisine, ils mangent 24h/24h, cela fait partie de leur vie et nous nous pensions que c’était vraiment le bon moment de parler de cette cuisine dans le guide !

Cela veut-il dire qu’il n’y a pas vraiment de nouveauté dans les tables traditionnelles pour être obligé de faire entrer ce type de restaurant dans le guide ?
Au contraire ! Nous avons un nouveau trois étoiles et deux nouveaux deux étoiles cantonnais et trois nouveaux une étoile avec la cuisine chinoise. Cette année est celle de la cuisine cantonaise avec une diversité extraordinaire. La cuisine locale reste extrêmement ancrée pour les consommateurs locaux ici.

Les critères pour ces restaurants sont ils les mêmes que pour les autres établissements ?
En terme d’hygiène par exemple… Bien sûr ! Nous cherchons la qualité des ingrédients, l’équilibre des saveurs et le goût. Evidemment il n’y a pas de distinction pour les restaurants de rue et j’insiste là dessus, il n’y a pas de Bib Gourmand ni d’étoile pour ces restaurants mais nous avons fait une sélection de ceux que nous considérions comme les meilleurs restaurants de rue dans certains quartiers. Etre dans la sélection du guide Michelin sans distinction est un signe de qualité.

Des restaurants de rue étoilés l’an prochain ?
Pour l’instant ils ne sont pas étoilables mais s’ils correspondent à nos critères pourquoi pas !

Des sites comme Trip Advisor concurrencent-ils le Guide Michelin ?
Tous ces sites sont très populaires mais le problème c’est que les gens sont perdus ! Ils ne savent pas qui laissent les avis, si ces avis sont liés avec un acte de consommation, si l’auteur est un ami ou un ennemi du chef. Face à ce marasme, les consommateurs cherchent de vraies références et je pense que c’est la force du Guide Michelin, donner avec nos critères, notre objectivité, ces références.

Beaucoup de chef français sont présents à Hong-Kong, certains attendaient leurs troisième étoile, d’autres leur première et il y a une forte déception… C’est plus difficile pour vos inspecteurs par rapport aux restaurants locaux ?
On ne peut pas créer des étoiles on ne peut que les constater ! Chaque année le groupe Michelin nous donnent les moyens d’envoyer nos inspecteurs dans les établissements qui correspondent à nos critères. Nous adorons donner des étoiles mais nous ne pouvons pas le faire si nos critères ne sont pas respectés.

Un message pour ces chefs ?
Objectif numéro un continuer à remplir vos restaurants avec des clients qui sont contents de revenir. Si vous le faites particulièrement bien le Michelin va vous découvrir.

Un guide Michelin en Chine populaire avec l’arrivée prochaine de Joël Robuchon à Shanghai c’est d’actualité ?
En Chine Populaire le Guide Michelin est très suivi et considéré comme une référence importante. Aujourd’hui tous les chefs que je rencontre dans le monde constatent une importante clientèle chinoise orientée par le guide Michelin

Mais créer un Michelin pour la Chine populaire c’est d’actualité ?
Aujourd’hui nous regardons un peu partout dans le monde pour voir ce qui est intéressant mais je ne peux pas vous confirmer un plan concret à ce jour.

Joël Robuchon : Un retour aux sources

Le chef français le plus étoilé était comme à son habitude présent lors de la soirée de gala de lancement du guide et s’est confié à Trait d’Union. Un discours à l’unisson avec le guide, digne d’un ambassadeur…

Propos recueillis par Philippe Dova

Que pensez-vous de ces restaurants de rues dans le Michelin ?
Joël Robuchon : C’est un retour aux sources, à l’origine le guide Michelin était fait pour des représentants de commerce. Il y avait vraiment des restaurants à bas prix, bon marché et je pense que l’on retrouve ainsi les origines du Michelin. Il n’y a pas que de grandes maisons étoilées, il y a des maisons qui méritent aussi d’être mentionnées et qui correspondent aujourd’hui à l’attente de la clientèle.

Et cela ne risque pas de choquer les habitués du guide ?
Je pense que ce sera très bien perçu dans l’avenir, notre clientèle qui fréquente les étoilés va aussi dans ce genre d’établissement. Par conséquent faire connaître ce genre d’établissement c’est rendre service et demain tout le monde trouvera cela très bien.

Des « food trucks » bientôt étoilés ?
J’espère qu’il y en aura dans tous les guides du monde !