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Première gorgée de thé et autres plaisirs minuscules

Peut-être connaissez-vous le délicieux petit ouvrage de Philippe Delerm, « La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules » ?. En ce mois de mai, l’atelier des « Mots Passants » de Wuhan vous invite à repérer ce qui, dans votre quotidien chinois, est source de sérénité, de joie intérieure. Il vous propose d’être attentifs à ces « plaisirs minuscules » qui font une journée plus belle, un moment plus intense, une rencontre plus harmonieuse. Difficile ? Non point ! Faites confiance à votre imagination et à votre mémoire. Elles savent toujours ce qui fait du bien à l’âme et au cœur !

Par Marie-Christine Huguenin

Sur une feuille de papier, ou mieux sur une nouvelle page de votre carnet de voyage, faites la liste des petits moments vécus en Chine, apparemment insignifiants, souvent inattendus dont vous vous souvenez avec plaisir.

• Choisissez-en un : celui qui vous a apporté un certain bien-être, qui, peut-être vous a donné l’impression d’être à votre « juste place », d’être en harmonie avec vous-même ou avec le monde.

• Associez à ce moment un détail visuel, auditif, olfactif, tactile ou gustatif…

• Revivez mentalement ce moment, observez ce détail et avec des mots simples et précis racontez-le, décrivez-le en essayant de faire surgir à nouveau l’émotion initiale. Est-elle la même ou s’est-elle transformée ?

• N’hésitez pas à nommer les sentiments que vous éprouvez au moment de l’écriture. Peut-être serez-vous surpris de constater que le « petit plaisir minuscule » orignal a encore gagné en intensité !

Comme les participantes de notre atelier qui vous offrent quelques-uns des « plaisirs minuscules », laissez-vous guider par votre sensibilité. Elle est une excellente observatrice du quotidien et comme le dit Milan Kundera dans La Fête de l’Insignifiance « L’insignifiance, mon ami, c’est l’essence de l’existence. Elle est autour de nous. Elle est présente même là où personne ne veut la voir. Elle est présente avec toute son évidence, avec toute son innocence, avec toute sa beauté. Elle est la clé de la sagesse, elle est la clé de la bonne humeur. »

Le bazar de Wuhan

Neuf heures du matin, tout le quartier est en ébullition. D’énormes ballots arrivent de partout, se croisent, louvoient, s’entassent. On se fait bousculer, pas de terrasse de café avec parasol pour se mettre à l’abri. Un muret fera l’affaire.

Plaisir intense que ce spectacle incroyable où le même ballet se rejoue chaque jour. Rien ne semble cohérent et pourtant les marchandises circulent. Comment peuvent-elles arriver à destination sans code barre avec juste quelques idéogrammes mal tracés comme fil d’Ariane ?

« Wei, wei ». Des hommes tirent des charges énormes, s’interpellent et rudoient le passant gênant.
Des femmes trônent sur d’énormes sacs, comptant des liasses de billets.

On s’oublie dans ce capharnaüm organisé où les klaxons n’émeuvent plus personne…
Quel bonheur de passer inaperçue !

Cette force vitale semble venir de loin, de très loin, de si loin…du temps où à la confluence de la rivière Han et du fleuve Yang Tsé convergeaient les jonques et les sampans venus déverser leurs marchandises. Caisses de thé, du cœur de la province, déchargées par des coolies pressés jusqu’aux entrepôts de Hankou. Au sortir des usines, défilés des palanches, lourdes des briques de « Pu’er » compressées, oscillant jusqu’aux steameurs en partance pour la Russie ou l’Europe.

Cette frénésie est toujours là, palpitante au cœur du bazar. En être spectateur est comme s’octroyer un voyage clandestin dans le passé.

Magali S.

Tableaux de rue

Les scènes de rue, ces instantanés qui vous happent dès que vous sortez de chez vous sont partout en Chine.

A droite, à gauche, devant vous, derrière vous. Partout ! Fermez les paupières, ouvrez-les à nouveau et un nouveau tableau apparaîtra devant vos yeux comme si vous étiez au théâtre.

Lever de rideau

Scène 1 : Un groupe de retraités se pressent concentrés et penchés, autour des joueurs de mah-jong installés sur le trottoir sur des chaises et des tables faites de bric et de broc au-dessus desquelles s’élèvent des volutes de fumée.

Scène 2 : Un jeune enfant au pantalon fendu et à la démarche mal assurée est suivi de près par ses grands-parents, essoufflés, mais aux visages rieurs, heureux de partager les premiers pas de leur petit-fils.

Scène 3 : Au bazar, au premier plan, une femme se brosse les dents en se servant de l’eau qui sort de la gouttière. En arrière plan, le vendeur de moules de gâteaux de lune (1) négocie bruyamment avec son acheteur dans sa boutique qui ressemble à un couloir exigu.

Ces moments Polaroïd qui rendent cette Chine si attachante et si vivante resteront à jamais gravés dans ma mémoire.

Laurence D. M.

Eclats de douceur

Devant moi, une petite poupée de dix-huit mois qui avance cahin-caha, à pas mal assurés. A côté d’elle, un dos voûté, un visage strié de rides, qui la suit, clopin-clopant, à pas comptés. Une petite menotte lovée dans la grande main, ils cheminent, cahin-caha, clopin-clopant.

Elle a vu un papillon et ses tresses « encerisées » de rubans tressaillent. Elle veut le suivre et ses petites fesses rebondies sous son pantalon fendu tressautent dans la course. Son grand-père la suit, comme il peut.

Tout à coup, elle décide de s’asseoir sur le trottoir. Papi devance son désir, sort fébrilement son journal de sa poche et le glisse sous le popotin rieur. Mais Mademoiselle en a décidé autrement : elle se relève, se déplace à peine… renouvelle son geste. Il la suit, tente d’installer le coussin de papier. Elle plie les genoux, hésite « S’assiéra ? S’assiéra pas ? ». Va plus loin…

Qui se joue de qui ? Qui rit de qui ? Un même éclat de rire réunit la bouche à quatre quenottes et la bouche édentée des deux complices. Délice de l’enfance !
Par lui, elle apprend le nom des fleurs et la danse lente du tai-chi.

Pour elle, il court après un papillon et réapprend à sourire.

Inséparables, le petit bourgeon à peine éclos et la vieille branche rabougrie défient les bourrasques du temps, les colères du vent.

Quand, dans cette cité chinoise qui court après demain, la foule m’affole, quand mon ciel hérissé de grues me heurte à m’en recroqueviller, à n’en plus bouger, je me glisse entre vous, cahin-caha, clopin-clopant.

Je m’engloutis dans les grelots cristallins de vos rires et je savoure ce «  petit plaisir minuscule » maintes fois renouvelé, instant tellement précieux de printemps-bonheur et de merles chanteurs.

Marie-Christine H.

Liste mouvante

Le piquant du gingembre
Et pourquoi pas celui de la mangue verte
Les saveurs inconnues
La bouche à instruire
La farce des raviolis
Et le verre d’eau tiède
Le jus des litchis
Entre langue et palais
Les nouilles suaves
Laiteuses et alanguies
L’explosion du Sichuan
Et les piments qui brûlent
Les mains qui appuient
La nuque raidie
La soie et sa douceur
Et les doigts qui reviennent
Et le corps qui se rend
Et cet épice qui entête
Le marché qui enivre
Les viandes qui pendent
Et le linge qui sèche
La chaleur de l’été
La ronde des thés
Avant la soif
Leur tremblante transparence
Les verts et les blancs
Le jasmin
Les huit trésors
Les rouges et les noirs
Les chrysanthèmes
Les voix qui explosent
Les tons qui bercent
Les mots inconnus
Et encore la saveur de la coriandre
Et ce fruit d’un autre âge
Le lourd durian
Sa chair blanche
Epaisse et gluante
Et les gestes du matin
La toupie qui virevolte
Le fouet qui cingle
Le tofu qui pue
Les fleurs du prunier
Les graines de lotus
Et la grâce d’une silhouette
La légèreté d’un éventail
D’un ruban au vent
Et ce groupe de femmes
Qui dansent nos vieilles danses
Une valse à mille tons

Une liste fragile

Catherine D.