L’engagement culturel et économique de la France en Chine : Entretien avec Bertrand Lortholary
Échange avec Bertrand Lortholary, ambassadeur de France en Chine, présent à Hong Kong où il participait, notamment, au lancement de la quatrième édition du « Museum Summit 2025 », organisé en partenariat avec le Musée Guimet sur le thème « Aller plus loin ». Ce sommet de deux jours a rassemblé plus de 30 personnalités et professionnels de musées et d’institutions de renommée mondiale dans 17 pays pour échanger et partager leurs expériences.
Propos recueillis par Catya Martin

Vous avez, il y a un an, fait une déclaration sur ces échanges culturels en indiquant : « Les échanges culturels entre la France et Hong Kong sont denses et nous souhaitons continuer à les renforcer, avec le West Kowloon Cultural District comme partenaire majeur ». Pouvez-vous nous en dire plus sur ces échanges, et notamment ce que la France a pu développer avec la Chine en général et Hong Kong en particulier ?
Bertrand Lortholary : Nous travaillons depuis bientôt dix ans sur le West Kowloon Cultural District à Hong Kong, pour contribuer à ce que ce district puisse à la fois atteindre l’ambition qu’il s’était fixée, à savoir être un hub culturel international de premier plan, et qu’au sein de ce hub, la France y occupe une place privilégiée.
Je crois que nous y avons réussi, d’abord parce que c’est un hub qui a un succès qui ne se dément pas. On y trouve la présence de musées de qualité exceptionnelle, avec une programmation qui fait la part belle à nos grandes institutions culturelles.
L’année dernière, par exemple, nous avons eu une remarquable exposition photographique de la Bibliothèque nationale de France. Au moment où nous parlons, le Musée M+ accueille une exposition exceptionnelle que j’ai visitée, intitulée « Picasso : une conversation avec l’Asie ». J’invite vraiment vos lecteurs et vos auditeurs à la visiter, car elle donne une perspective tout à fait nouvelle sur l’immense œuvre de Picasso. Nous allons bien sûr continuer cette collaboration avec l’ensemble des musées de Hong Kong et en particulier ceux de West Kowloon.
Vous avez évoqué le sommet des musées. En effet, c’était un événement de très grande envergure au sein duquel quatre des plus prestigieuses institutions culturelles étaient représentées : le Musée Guimet, partenaire exclusif de l’organisation de ce sommet, mais aussi le Musée des Confluences de Lyon, le musée de l’Homme à Paris et le musée du Grand Palais.
De plus, j’ai évoqué ces sujets de coopération culturelle quelques instants avant notre interview avec le chef de l’exécutif de Hong Kong (NDLR : John Lee) que je suis allé rencontrer. Notre ambition est une ambition tout à fait partagée et qui s’inscrit en parfaite symbiose, en parfaite résonance même, avec l’ambition que nous avons, entre la France et la Chine de façon plus large, de mettre les échanges humains et en particulier les échanges culturels au cœur de la relation.

Vous parliez de l’entretien que vous avez eu avec le chef de l’exécutif de Hong Kong. Quels pour la France, les défis à relever afin de permettre un renforcement cette coopération culturelle ?
Je crois qu’il est important de rappeler qu’il y a une sympathie vire même un intérêt à l’égard de la France et en particulier de la culture française qui ne se dément pas à Hong Kong et qui est profondément ancrée chez les Hongkongaises et les Hongkongais. Tout cela fait d’ailleurs écho de façon plus large à cette même curiosité, cette même envie de connaître davantage la culture française que l’on constate à l’échelle de l’ensemble de la Chine.
Notre ambition est de répondre toujours davantage à cette soif de culture française qui s’exprime ici.
Bien sûr, la culture vit dans un environnement plus large, celui de la dynamique des territoires. Vous savez qu’en Chine de façon générale et à Hong Kong, après la pandémie, l’économie connaît quelques difficultés, et donc la culture n’est évidemment pas imperméable à cela. Mais pour autant, je constate que ces événements culturels recueillent un succès remarquable. Ça vaut pour la culture, et ça vaut aussi pour d’autres aspects de ces échanges humains, bien sûr. Je pense en disant cela au sport en particulier. Comme vous le savez, nous venons d’assister au dernier jour du tournoi de rugby à 7 à Hong Kong.
Oui, la France était en finale
Absolument. Ce tournoi est une des grandes institutions sportives de la vie de Hong Kong. Nous étions très heureux et très fiers que nos compatriotes, notre équipe féminine et notre équipe masculine de rugby à 7, aient eu un parcours aussi brillant. Nos équipes sont allées presque au bout de chacune des deux compétitions.
Les filles se sont classées en 4ème position.
Voilà, absolument. Et les garçons, sont arrivés en finale face à l’Argentine, qui, après le foot, nous pose à nouveau une petite difficulté sur les grandes finales de sport (sourire). Mais c’est évidemment le sport qui veut ça, et ils ont donné, les garçons comme les filles, le meilleur d’eux-mêmes pour le plus grand bonheur de tous les spectateurs français, bien sûr, mais aussi hongkongais et au-delà, qui étaient là.
Le sport à l’évidence est un sujet sur lequel nous allons continuer à travailler. D’ailleurs, au moment où nous parlons, l’INSEP signe à Hong Kong un accord en vue d’approfondir cette coopération en matière de formation d’athlètes et d’entraîneurs.
Ce que nous voudrions aussi, c’est travailler davantage sur les questions d’infrastructures sportives. Nous avons construit, dans la perspective des Jeux Olympiques et Paralympiques à Paris, des infrastructures de tout premier plan, à la fois en matière de performances sportives mais aussi de performances énergétiques, et donc nous avons des choses à partager sur ce sujet-là. Nos entreprises ont des choses à partager sur ces thématiques-là.
Ce sont donc les sujets sur lesquels nous voulons travailler.

Donc sur les échanges culturels et sportifs, nous avons un ambassadeur de France plutôt optimiste ?
Oui, absolument, et je le suis parce que le public est là, le public est enthousiaste, et les autorités de Hong Kong elles-mêmes partagent cette même ambition de montrer toujours davantage de culture française ici à Hong Kong. Donc nous répondons présent et nous sommes évidemment heureux de le faire.
Nous sortons juste du mois de la francophonie. Qu’en est-il aujourd’hui de la promotion de la langue française en Chine en général et à Hong Kong en particulier ?
La promotion de la langue française dans l’enseignement secondaire et dans l’enseignement supérieur chinois reste une de nos grandes priorités, bien entendu. Nous en avons beaucoup parlé entre la France et la Chine ces dernières semaines, et nous allons en parler encore un peu plus à la faveur de ce que l’on appelle le dialogue franco-chinois sur les échanges humains qui se tiendra dans quelques semaines à Paris. Nous voulons, en effet, que la langue française, que ce soit pour la France mais aussi au profit de l’ensemble du monde francophone, soit toujours plus présente.
Pour parler peut-être plus spécifiquement de Hong Kong, vous l’avez dit, nous sortons tout juste du festival de la francophonie. En l’espace de trois semaines, nous avons pu organiser près de 30 événements dans des domaines très variés qui représentent l’ensemble de ce que nous sommes au sein de la famille francophone, que ce soit bien sûr la littérature, mais aussi le sport, les affaires, la gastronomie. Cette année, je suis heureux de le dire, nous avons eu trois fois plus de participants que l’année dernière. Donc vous voyez, la langue française, comme plus généralement tout ce que nous sommes, tout ce que nous représentons, suscite beaucoup d’intérêt auprès des Hongkongaises et des Hongkongais.
Après la culture et le sport, qu’en est-il des relations économiques entre la France et Hong Kong ?
Les relations économiques ont aussi de belles perspectives. L’année dernière a été « un petit peu moins brillante » qu’antérieurement, mais je relève que Hong Kong reste aujourd’hui le troisième excédent commercial de la France, donc c’est tout à fait considérable.
Pourquoi « un petit peu moins brillante » ?
Tout simplement parce que dans un contexte de demande de consommation peut-être un peu plus modeste que les années précédentes, cela se manifeste, par exemple, sur la consommation de biens de luxe, qui est un secteur sur lequel traditionnellement nos grandes entreprises sont très présentes.
Il y a ce phénomène-là, puis il y en a évidemment d’autres qui expliquent le fait qu’aujourd’hui, un certain nombre de Hongkongaises et de Hongkongais vont sur le continent, et en particulier à Shenzhen, pour consommer des loisirs et des produits de luxe. De ce fait, une partie de la consommation de ces biens de luxe français se fait désormais un peu plus à Shenzhen et peut-être un peu moins à Hong Kong, et cela donne les résultats que l’on connaît.
C’est plus sur un changement d’habitude de consommation en fait ?
Ça en fait partie, évidemment, avec des politiques incitatives qui sont mises en place par Shenzhen sur les questions de taxation des consommations. Vous avez également des phénomènes conjoncturels, comme les taux de change. L’appréciation du dollar de Hong Kong fait que cela coûte un petit peu plus cher de venir dépenser de l’argent ici, et à l’inverse, vous avez d’autres pays de la région, à commencer par le Japon, qui attire en ce moment beaucoup, car le yen est aujourd’hui dans une situation favorable. Les touristes de l’ensemble de l’Asie viennent aujourd’hui plutôt consommer au Japon qu’ailleurs en Asie. Cet ensemble de phénomènes cumulés fait que sur ce secteur fort de notre présence à Hong Kong, nous avons fait peut-être « un tout petit peu moins bien » l’année dernière.
Mais je voudrais quand même souligner que le luxe, aussi important soit-il, n’est pas le seul aspect de notre présence commerciale ici à Hong Kong. Le secteur aéronautique, au regard des montants concernés, a un impact très important, sachant que nous avons des commandes importantes d’Airbus. Tout cela se traduira dans les chiffres dans les années qui viennent de façon très positive pour nous.
J’ajoute que nous avons parlé, là aussi avec le chef de l’exécutif de Hong Kong, des projets de développement économique de la région de Hong Kong, qui sont des projets dans lesquels les entreprises françaises ont une vraie valeur ajoutée, que ce soit dans le domaine de la transition écologique, qui est, depuis un moment déjà, mais peut-être encore plus aujourd’hui, au cœur de l’ambition du gouvernement de Hong Kong, tout comme les questions de haute technologie ou encore d’industrie pharmaceutique. Il y a donc de très belles perspectives pour les entreprises françaises.

Donc vous restez optimiste sur l’ensemble : les relations économiques, la culture, le sport. La France a donc plutôt le vent en poupe ?
Je crois qu’on peut le dire comme ça.
Je rappelais aussi au chef de l’exécutif que la moitié de la communauté française de Chine est en fait à Hong Kong, et donc cela nous donne là aussi un atout remarquable pour promouvoir nos atouts, nos savoir-faire et ce que nous sommes de façon plus générale.
C’est toujours d’ailleurs un grand plaisir pour moi de venir à la rencontre de nos compatriotes ici à Hong Kong et de voir à quel point ils sont engagés, dynamiques, enthousiastes et donnent à voir le meilleur de ce que nous sommes. Donc tout ceci, en effet, prête à beaucoup d’optimisme.
Vous êtes en poste depuis deux ans, c’est votre quatrième visite à Hong Kong. Est-ce important, cette présence de l’ambassadeur de France en Chine à Hong Kong ?
C’est peut-être plus à vous qu’à moi de le dire, mais je crois, pour ce qui me concerne, que c’est important d’avoir un dialogue régulier avec les plus hautes autorités de Hong Kong, car en effet, les intérêts de la France sont très nombreux. Les attentes du gouvernement de Hong Kong à l’égard de la France sont également importantes.
Nous avons la chance d’avoir, je le disais, une communauté française absolument remarquable à tout point de vue ici. Nous avons aussi la chance d’avoir des équipes, au Consulat, avec une Team France qui fait un travail remarquable au bénéfice des intérêts de notre pays. Donc pour ce qui me concerne, si je peux, à intervalles réguliers, contribuer à cet effort collectif, je suis évidemment dans mon rôle en le faisant, mais je suis surtout très heureux de le faire.