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« Picasso for Asia : A Conversation»

Rencontre avec Cécile Debray, conservatrice générale du patrimoine. Après avoir dirigé le musée parisien de l’Orangerie, elle devient présidente du musée national Picasso-Paris en novembre 2021, renouvelée par le président de la République en novembre 2024. Elle nous parle de l’exposition proposée dans le cadre du French May « Picasso for Asia : A Conversation», présentée jusqu’au 13 juillet au M+ à Hong Kong, et de sa vision concernant l’art de Picasso et son impact culturel.

Propos recueillis par Catya Martin

Est-ce que vous pouvez nous parler de cette exposition “Picasso pour l’Asie : une conversation” ?

Cécile Debray : C’est une exposition que nous avons conçue de manière assez novatrice, en partenariat avec le musée M+, et avec Suhanya Raffel, sa directrice, sur une sorte de rétrospective de Picasso.

Une rétrospective qui puisse s’adresser, à Hong Kong, à tous les publics, à partir d’un ensemble de chefs-d’œuvre de notre collection, mais qui soit en dialogue avec la collection du M+, donc en dialogue avec l’art chinois ou l’art asiatique. Je tiens beaucoup à ce mode, je dirais, peut-être plus inclusif ou plus collaboratif, ce mode de relation à l’étranger ou à l’extérieur. C’est une collaboration un peu pilote sur laquelle on attend beaucoup de voir la réaction du public.

Comment avez-vous choisi les œuvres de Picasso à exposer aux côtés de pièces d’artistes asiatiques ?

Alors, le principe de la collaboration s’est fait en désignant deux commissaires, un commissaire côté musée Picasso, François Dareau et un commissaire côté M+, Doryun Chong. Tous les deux ont travaillé sur le concept de l’exposition. Nous avons accueilli les idées de notre collègue de Hong Kong, Doryun Chong, qui nous a fait une proposition sur la manière dont la figure de Picasso pouvait être perçue mondialement, avec des sortes d’archétypes du génie, de l’étranger, de la radicalité, etc. Et à partir de ces principes, nous avons sélectionné un certain nombre

Oui, notamment avec ses relations avec les femmes.

Voilà. La question de la sexualité, des rapports amoureux est vraiment au centre de l’œuvre de Picasso. Et donc, cela a suscité beaucoup de polémiques, de rejets aussi de la part de la jeune génération.

En arrivant, je me suis dit qu’il fallait prendre en compte ces questions de réception difficiles et que j’étais nommée, pour porter l’œuvre de Picasso et pour la porter à travers le XXIe siècle.

Et donc, il m’a semblé qu’il était vraiment important de rappeler la place, dans le contexte artistique et surtout les apports plastiques, de l’œuvre de Picasso, et puis également d’évoquer plutôt la question de la réception de Picasso, c’est-à-dire comment Picasso a été vu, montrer que la réception difficile qu’on lui fait aujourd’hui, eh bien, il l’a connue aussi dans les années 30, dans un contexte où le fascisme montait, où les nationalismes, le racisme étaient très prégnants. Et donc, relativiser finalement ces questions de réception permet, je crois, aujourd’hui d’avoir une distance historique plus intéressante.

Et vous constatez une évolution depuis ?

Considérablement. On a fait tout un travail avec France Culture, avec des podcasts ou encore un séminaire fermé sur cette question.

Et je dois dire que depuis que je suis au Musée Picasso, là où j’ai invité beaucoup d’artistes femmes, Sophie Calle, Orlan, ou encore Faith Ringgold et on continue, je n’ai jamais été attaquée. Le Musée Picasso n’a pas été attaqué. Nous avons même une meilleure fréquentation qu’auparavant.

Ça a donc été positif ?

Tout à fait. Et on s’aperçoit même que le fait de mettre plus en avant la figure politique de Picasso contribue finalement à une nouvelle approche, un nouveau regard sur son œuvre.

Et aujourd’hui, les expositions au Musée Picasso sont consacrées davantage à la réception de Picasso, c’est-à-dire pas à Picasso lui-même, mais à un contexte presque épistémologique de son œuvre.

Quand aujourd’hui nous montrons l’art dégénéré, en reprenant l’histoire de cette réception de l’art moderne par les nazis, nous avons énormément de monde.

Et cela permet de rappeler que Picasso a été presque l’artiste dégénéré emblématique pour les nazis. Donc, je pense que ce sont des choses qui sont intéressantes de rappeler aujourd’hui.

Revenons sur l’exposition de Hong Kong au M+. Quelle réaction attendez-vous aujourd’hui du public face à cette exposition, et notamment à travers toutes cette controverse autour de la vie de Picasso ?

Nous avons approché cette collaboration avec humilité. Dans le sens où, comme je vous le disais, finalement, on a accepté la proposition de Doryun Chong, qui a voulu travailler sur ces archétypes associés à Picasso. Et je pense qu’à Paris, on ne le ferait pas, parce que ça peut être ambigu. Mais je trouve que c’est intéressant de se laisser faire, de voir. Alors après, il faut discuter sur la manière de le faire, je pense qu’en France, on manie beaucoup plus le second degré, l’ironie. En Asie, c’est une autre approche, qui est sans doute plus entière. Par exemple, la première section, où l’on va parler de la notion de génie, je pense qu’on hésiterait plus aujourd’hui à parler de génie. Cette approche permet de déconstruire aussi ces notions, mais de manière assez subtile. Dans l’exposition nous montrons deux tableaux de Yan Pei-Ming, artiste chinois qui vit à Paris, qui dépeint Picasso enfant, pour parler justement de l’enfant prodige, qui est une sorte d’image, voire une sorte de poncif du génie. Il y a le génie, l’outsider, celui qui est dans les marches. La troisième section est sur l’idée de l’artiste magicien. Cela permet d’aborder le côté superstitieux et spirituel de Picasso, qui est un aspect très important.
Et enfin, « The Apprentice », sur la question de la virtuosité, etc.
En fait, nous, on apprend à travers cette collaboration, à travers ce regard, comment on regarde Picasso, comment il est perçu.
Et c’est finalement une sorte de réception en Asie de Picasso, dans laquelle on se glisse. On essaie de l’illustrer avec les œuvres. Et le regard et les mises en relation, en parallèle avec les artistes chinois ou asiatiques, viennent illustrer finalement, à la fois l’impact de l’œuvre de Picasso, mais aussi les formes de dialogue ou de points communs qui permettent de relativiser la place de Picasso et d’être moins autocentré sur Picasso. Donc, je ne vois que du positif dans cette collaboration.

Est-ce que pour vous, l’art joue un rôle de dialogue dans le dialogue culturel, notamment là, entre l’Occident et l’Asie, surtout dans le contexte de cette exposition ?

Eh oui, alors c’est vrai que nous sommes dans une période qui est un peu tendue en ce moment.

Je crois beaucoup à la possibilité, dans le monde de l’art, d’exprimer, ou même de suggérer des lectures. Je pense que, lorsque l’on fait au musée Picasso à Paris une exposition sur l’art dégénéré, on rappelle l’histoire du totalitarisme et de son rapport à l’art. Et quand je vois le succès qu’a cette exposition, c’est bien qu’il y a une soif d’histoire. C’est donc notre rôle aussi. Et dans la relation avec l’Asie, oui, évidemment, c’est un pont qui est important.

Vous parliez d’une rencontre entre artistes asiatiques et cette exposition. Pensez-vous que cette exposition va pouvoir ou pourrait influencer les artistes contemporains asiatiques et leurs relations à l’héritage de Picasso ?

Ah, j’en suis certaine. On avait fait une exposition en 2022 à Dakar pour commémorer l’unique exposition qui s’était tenue en Afrique. Et nous avions apporté une quarantaine de tableaux de Picasso. Ça a été incroyable, dès que vous présentez ses œuvres, il y a une telle force que je pense que c’est très difficile de rester indifférent à son travail.

Très souvent, lorsque l’on n’a pas accès aux œuvres, on peut avoir une vision un petit peu simpliste de Picasso. Et dès que l’on peut les voir, dès qu’on commence à regarder sa sculpture, ses dessins, je pense que tout artiste est fasciné. Donc, oui, je suis absolument certaine qu’elle peut frapper à la fois les artistes mais aussi les jeunes qui ne connaissent pas, et qui ont vu peu d’originaux de Picasso. En général, ça produit son effet.

Quel message vous souhaiteriez transmettre au public, à travers cette exposition ?

Le message, c’est un peu celui que j’ai exprimé en parlant de la collaboration avec le M+, c’est que nous venons avec humilité pour montrer une partie de nos œuvres et les faire dialoguer avec la collection du M+, et on espère que ça sera pour le bonheur de tous, que l’exposition aura du succès, qu’elle sera visitée.

Nous ne sommes pas ici pour dire “on arrive avec nos chefs-d’œuvre de Picasso, et vous allez voir ce que vous allez voir”. Nous sommes sur une exposition qui est extrêmement ouverte et accessible à tous. L’objectif étant que le public qui ressortira de cette exposition en saura un peu plus sur Picasso. Nous voulons avant tout donner des clés de lecture de son œuvre.

Et, dernière chose, nous espérons recevoir ces visiteurs un jour à Paris, dans notre musée, que ça leur donnera envie de venir visiter les collections parisiennes. En fait, que cette découverte leur donnera l’envie d’aller plus loin dans la découverte de Picasso.

Cette exposition va-t-elle avoir un futur ?

Pour cette édition, nous nous sommes reposés sur le M+, et je crois qu’il n’y aura que cette étape. Mais nous avons d’autres projets avec la Chine, qui n’est pas le même.

Peut-on en savoir plus ?

Peut-être pas encore, mais bientôt…

Rendez-vous est pris pour revenir à la rencontre de Cécile Debray afin d’en savoir plus sur cette prochaine étape en Chine…

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« Picasso for Asia: A Conversation » Jusqu’au 13 juillet, dans le cadre du French May.

M+ – West Gallery – 38 Museum Dr, West Kowloon