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Passeport pour Alexis Michalik !

Acteur, dramaturge, metteur en scène, scénariste, réalisateur, écrivain et producteur, Alexis Michalik s’est
très vite imposé comme une figure majeure de la scène culturelle française. En 2016, sa pièce Edmond
remporte cinq Molières sur sept nominations possibles, faisant de son auteur l’un des metteurs en scène
les plus jeunes jamais récompensés. Ses pièces telles que Le Porteur d’Histoire (2011) ou Intra Muros (2017)
battent des records de longévité, étant toujours à l’affiche en France. Ne craignant pas de mêler les genres
et les techniques narratives, l’artiste est aussi bien acclamé par le public que par la critique.

Propos recueillis par Marion Demeneix-Chorus

Qu’est-ce qui vous réjouit en ce moment dans l’actualité théâtrale francophone ?
Alexis Michalik : Je reviens d’Avignon et j’ai été ravi de trouver que le Off est en grande vitalité. C’est un festival qui a beaucoup évolué depuis 20 ans, l’année où j’ai fait mon premier festival. Il se professionnalise. La qualité des spectacles est de plus en plus au rendez-vous. Il y a des lieux qui émergent, à la jonction du théâtre public et du théâtre privé, faisant naître des spectacles aux formes nouvelles passionnants, parfois ludiques, parfois touchants. C’est très encourageant.

Quelle est la fonction du théâtre d’après vous ?
La fonction du théâtre est avant tout une communion athée. L’origine du théâtre, que ce soit la tragédie ou la comédie, est la communion : rire ensemble, pleurer ensemble, vivre des émotions ensemble, l’espace d’un moment. C’est aussi un des rares endroits aujourd’hui où il n’y a pas de téléphone qui sonne. On est obligé de se déconnecter pendant deux heures et d’être ensemble dans une même salle. Ce n’est déjà pas mal.

Comment définiriez-vous votre théâtre ? 
C’est un théâtre populaire et exigeant.

Votre travail n’est pas engagé politiquement. Si Passeport porte un message qui dépasse la politique nationale, quel est-il ?
C’est un message d’humanisme et de tolérance, plutôt de gauche, plutôt progressiste, d’accueil et d’ouverture vers l’étranger, au contraire d’une politique un peu en vogue de repli identitaire et d’extrême droite, un peu nauséabonde.

Pensez-vous que votre théâtre ait fait des émules en proposant une autre dramaturgie, un jeu, une mise en scène différente ?
Comme mes pièces ont été beaucoup vues, elles ont forcément inspiré des jeunes comédiens, metteurs en scène, ou créateurs. Je suis extrêmement flatté et heureux lorsque quelqu’un vient me voir en me disant « c’est toi qui m’as donné envie de me lancer et de faire mes propres pièces ».Nous sommes tous la somme de nos inspirations. On commence en s’inspirant de nos maîtres puis l’on trouve sa voie. Moi, j’ai été fortement inspiré par Wajdi, Ariane Mnouchkine, Peter Brook. L’important est que chacun trouve sa voie.

Que dites-vous aux jeunes qui veulent faire une carrière dans le théâtre ?
Il faut aller souvent au théâtre, voir plein de choses, beaucoup de films, lire des BD, écouter de la musique et des podcasts. Tout ce dont on peut se nourrir va servir à créer plus tard. S’il veut faire du jeu, je dirais qu’il faut commencer une école et puis initier des projets. Surtout, il faut être sympa et travailler dur. S’il veut faire de la mise en scène, je dirais qu’il faut commencer tôt à monter les projets dont il a envie.

Pensez-vous qu’il faille faire une école de théâtre pour devenir acteur ou metteur en scène ? 
Je ne pense pas que ce soit obligatoire. Cependant, l’avantage d’une école est la rencontre potentielle de gens qui pourraient avoir la même envie que vous de faire du théâtre et de la troupe.

Vous êtes célèbre et respecté, quel metteur en scène êtes-vous devenu ? Comment évoluez-vous ? La notoriété vous contraint-elle ?
Je suis le même qu’avant, je pense.
Je pense que la notoriété n’impacte pas particulièrement ma créativité. La notoriété impacte plutôt la vie de tous les jours. Mais c’est une notoriété tout à fait relative et confortable, puisque moi, personne ne m’embête quand je prends le métro. C’est toujours très respectueux et gentil. Ce n’est pas tant la notoriété que les succès passés qui aident : je n’ai pas trop de mal à trouver des financements pour un spectacle. En revanche, cela me pousse à une plus grande exigence car je sais que je vais avoir du public dans la salle et des critiques. J’ai donc une pression supplémentaire, vis-à-vis de la presse notamment.

Incendie de Wajdi Mouawad se trouve de nouveau à l’affiche au Québec. Vous aimez beaucoup cet artiste libano-québécois, pourquoi ?
La première fois que j’ai vu sa trilogie littoral-incendie-forêt, j’ai eu le sentiment de voir du Shakespeare contemporain. Je trouve qu’il y a un souffle épique dans ses récits, quelque chose de cinématographique qui tient de la tragédie moderne. Plongeant dans les perversions de l’être humain, il raconte des histoires porteuses d’une parole humaniste dont l’ampleur, la profondeur, la douleur et les rebondissements nous touchent tous, nous émeuvent tous. Ce sont vraiment des œuvres importantes. C’est Forêt, le premier spectacle que j’ai découvert, qui m’a donné la permission spirituelle d’écrire. Je me suis dit, “ah bon, en fait, on peut faire aujourd’hui quelque chose de shakespearien, quelque chose d’aussi marquant que nos classiques.”  

Quel avantage y a-t-il à monter ses propres pièces ? 
La liberté ! L’auteur ne s’offusque pas quand je lui dis « coupe ça, change ça, fais-moi une réplique différente ». Il y a un ping-pong permanent au plateau. Entre la version écrite de ma dernière pièce, Passeportqui est celle que l’on peut trouver chez Albin Michel et la version finale,15 minutes au moins ont été coupées.

Quelle est la plus grande difficulté que vous rencontrez quand vous entreprenez un projet tel que Passeport ?
Il n’y a pas vraiment une grande difficulté. Ce sont toujours les mêmes questions. Est-ce pertinent ? Est-ce juste ? Est-ce que cette scène est intéressante ? Est-ce que je peux couper ici ou là ? Est-ce que je m’ennuie ? Il y a plein de petites questions qui s’accumulent et qui débouchent sur un résultat dont je serai satisfait, en tout cas je l’espère.

Quelle pièce classique aimeriez-vous monter ?
Aujourd’hui, je me rends compte que lorsque j’écris moi-même mes pièces, l’impact est plus fort. Donc, je ne sais pas si j’aurais envie de remonter un classique de sitôt. Peut-être un Shakespeare ou un opéra mais plus vraisemblablement une autre comédie musicale après les Producteurs.

Rêvez-vous d’un rôle à tenir ?
Moi, j’aime les surprises. Donc, je ne rêve pas de jouer Hamlet, par exemple. J’aimerais plutôt être surpris par quelqu’un qui me proposerait un rôle que je n’attendrais pas du tout.

Pouvez-vous citer deux choses que vous demandez toujours à vos comédiens ?
Souvent, on démarre les répétitions par un filage (passage complet de la pièce). Je leur dis donc “apprenez bien votre texte “. Le premier jour, je fais un rappel en disant que la ponctualité est primordiale.” On démarre à l’heure, donc arrivez bien à l’heure. Et puis on s’arrête à l’heure aussi, donc je veux pouvoir utiliser le maximum de ce que j’ai comme horaire.” A part ça, je leur demande de citer une chose qu’ils aiment et une qu’ils n’aiment pas. Puis, ils se présentent. Je le fais avec toutes mes équipes.

Sur scène, quel est l’acteur idéal ?
Pour moi, l’acteur idéal, c’est quelqu’un qui fait tout très sérieusement sans jamais se prendre au sérieux. C’est quelqu’un qui est toujours disponible et en même temps toujours force de propositions. C’est un élément qui a conscience du groupe, qui est d’une grande humilité et qui réserve ce qu’il a à dire pour le plateau.

Recourez-vous beaucoup à l’improvisation ? 
Ça dépend du spectacle. Intramuros, je l’ai fait au plateau avec des comédiens. On a improvisé le texte ensemble, même si je leur avais raconté l’histoire et qu’il y avait un canevas. Mais sur la plupart des spectacles comme Passeport ou Edmond,il n’y a pas du tout d’improvisation. Il s’agit d’un texte que j’ai écrit et que je réécris au plateau.

Quels sont vos projets ?
En ce moment, je travaille sur un film que je ne vais pas réaliser, que j’ai proposé à quelqu’un d’autre et qu’on va sûrement produire. Je vais aussi faire un peu l’acteur, dans une série à partir de septembre.