Evasion

Madère : Incomparable jardin sur roc

Caillou de feu sorti des eaux de l’océan, polie par l’érosion du vent et de la pluie, cette petite île-continent, bénie par les rayons du soleil d’Afrique, est devenue le réceptacle d’une végétation luxuriante d’une incroyable variété. L’eau y coule en abondance ; tous les fruits de la terre y poussent. Existe-t-il une meilleure image d’un paradis terrestre ? 

Par Christian Sorand

 

La lave, issue d’une faille annexe du rift atlantique sur la plaque africaine, a modelé un volcan sous-marin dont l’éruption au tertiaire poussa la lèvre hors des flots, malgré la profondeur de la fosse atlantique (environ -4,500 m). Ainsi naquit tout d’abord l’île de Porto Santo, puis le grand rocher de Madère dont certains pics approchent les 2,000 m. Ce petit archipel reproduit en miniature la genèse de la planète. Avec le temps et les éléments, le noir du basalte et la porosité rougeâtre des scories et du lapilli ont été polis par le vent du large, les eaux océaniques et les pluies battantes durant des lustres. Peu à peu, la richesse minérale du sol volcanique a généré une gaine verte d’une incroyable diversité.

Par son isolement, cette île est restée vierge jusqu’à la période des grandes découvertes quand les navigateurs portugais ont commencé à éprouver leurs caravelles face aux espaces marins.

 

Un espace écologique unique

En 1410, trois navigateurs portugais envoyés par le Prince Henri le Navigateur (1394-1460) prennent possession d’un groupe d’îles nouvellement découvertes. En remerciement, le roi du Portugal leur attribue trois concessions destinées à mettre les îles en valeur : l’île de Porto Santo, Machico et Funchal sur l’île de Madère. Or cette dernière était alors le domaine d’une forêt dense éponyme (madeira veut dire “bois”). Alors pour mettre les terres en valeur, on s’emploie à défricher la forêt en la brûlant. Malheureusement, le feu n’est pas maîtrisé et la forêt continuera à se consumer pendant sept années ! 

Qu’on se rassure tout de même. Une partie de la forêt laurifère primaire [Laurissilva] a été conservée sur les cimes de l’île. Le Parc naturel de Madère [Parque Natural da Madeira] a été créé en 1999. Il s’agit de la dernière plus grande forêt de lauriers primaire survivante (les autres sont aux Canaries et aux Açores). Bien évidemment cet espace écologique recèle des espèces animales et végétales endémiques. Le “pigeon trocaz” (Columba trocaz) demeure l’une de ces espèces emblématiques. On rencontre également un tout petit oiseau, le roitelet de Madère [Regulus madeirensis], mangeur d’insectes. Si l’île n’abrite aucun serpent, les lézards cohabitent par milliers.

Il existe des espèces végétales endémiques dont le laurier, la bruyère arborescente [Erica arborea], la violette de Madère [Viola paradoxa] et l’orchidée de montagne [Dactylorhiza foliosa]. Les espèces sont si nombreuses qu’il est impossible de toutes les citer.

Si le volcanisme a créé un sol propice à la diversité végétale, le courant froid des Canaries pourvoit des poissons en abondance et toutes sortes d’espèces marines. Le petit port méridional de Camara de Lobos (“l’antre des loups”) reste le principal port de pêche de l’île. Les “loups de mer” à l’origine du nom sont en fait les phoques moine qui étaient autrefois chassés. La population a été décimée mais une colonie, hautement protégée survit sur les rochers des îles Desertas. Caniçal, sur la côte est, à proximité de l’aéroport, a longtemps été un port traditionnel de pêche à la baleine. Cette activité a disparu en 1982. Toutefois, on peut visiter son très beau musée de la Baleine [Museo da Baleia]. La population des cétacées s’observe désormais depuis des bateaux d’excursion.

Le climat océanique et le relief pourvoient à une profusion d’eau potable. La force des fleuves a creusé d’impressionnantes vallées, tandis que de gigantesques chutes d’eau dévalent des hauteurs. Certaines se jettent littéralement dans l’océan comme à Paul do Mar (“marécage marin”), au sud-ouest, ou à plusieurs endroits de la côte nord (la plus arrosée). Afin de contrôler la richesse en eau, les premiers colons madériens ont creusé dans les montagnes un remarquable réseau de canaux appelés localement les “levadas”. Si cette région du globe était autrefois le domaine des Titans [Océanos, Ὠκεανός est le fils d’Ouranos (le Ciel) et de Gaïa (la Terre)], le réseau des levadas est véritablement une œuvre d’art titanesque ! Cet ouvrage a d’ailleurs été lui aussi classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Ce réseau permet d’irriguer des cultures en terrasses. Au départ, on plantait surtout de la canne à sucre. Mais de nos jours l’agriculture locale s’est profondément diversifiée (bananes, papayes, vignes, etc.). Comme les canaux sont doublés d’un sentier, ce sont aussi d’excellents chemins pédestres pour la plus grande joie du tourisme vert. La petite localité montagnarde de Ribeiro Frio (“ruisseau froid”, à 860 m d’altitude) permet à la fois de visiter une partie de la réserve naturelle et de faire des randonnées le long des levadas. C’est également ici que l’on peut voir le conservatoire des “truites arc-en-ciel” introduites de Californie. 

Des paysages à couper le souffle

Tout cela implique évidemment que cette île recèle de paysages exceptionnels dont les éléments sont composés de pics volcaniques, de falaises vertigineuses, de vallées encaissées, de hautes cascades mais aussi de criques faites de galets volcaniques ou parfois de sable noir, ou de piscines naturelles ; toute une panoplie d’éléments atypiques ! Certains lieux vous laissent ébahi ; il faut parfois avoir un cœur bien accroché pour s’aventurer sur certaines petites routes de l’intérieur ! 

Ceci dit, l’île se traverse d’est en ouest par une autoroute surélevée, enjambant des vallées sur des viaducs et coupant la montagne au travers d’une succession de tunnels. Ces derniers sont si nombreux qu’en fait on voit assez peu le paysage. Mais ils ont l’avantage de rendre accessibles rapidement tous les lieux habités de l’île. Les routes nationales suivent le même modèle pour traverser l’île au centre ou pour longer en corniche la côte nord.

Le village de pêcheurs de Paul do Mar au sud-ouest est un bon exemple de site sépoustouflants. En quittant la nationale sur les hauteurs, à la hauteur d’une forêt de cèdres, une route en lacets vertigineuse mène au village côtier tout en bas. En arrivant au petit port de pêche, protégé des vagues par une digue de pierres, il suffit de lever les yeux sur la falaise volcanique pour ressentir le frisson final, d’autant plus qu’une chute d’eau de plusieurs centaines de mètres se jette littéralement dans l’océan !

Ponta do Sol, sur la côte sud, est un très joli village portugais qui a la particularité d’être le berceau de la famille de l’écrivain américain John Dos Passos (1896-1970). Non loin d’ici, en direction de Camara de Lobos, se trouve le belvédère du Cabo Girao (580m) l’une des plus hautes falaises d’Europe et du monde.

La route nationale du centre qui va de la côte sud à la côte nord, en traversant une vallée encaissée, arrive à Sao Vicente, autre site sublime par ses falaises. Une route en corniche conduit à la pointe nord-ouest de l’île à Porto Moniz. C’est vraisemblablement l’une des plus sauvages et des plus belles de l’île. Porto Moniz a la particularité d’avoir quelques piscines naturelles formées dans les creux d’une coulée de lave solidifiée. Le vieux fortin du cap abrite un aquarium.

À l’extrémité nord-est, juste après le port baleinier de Caniçal, l’île se termine par un cap spectaculaire : Ponta de Sao Vicente. En revenant en direction de Machico, seconde plus grande ville, une route nationale va vers Porto da Cruz, autre village de pêcheurs de la côte nord, ayant une distillerie de rhum et surmonté par un rocher emblématique de 590m : le Penha da Aguia [“le mont de l’aigle”].

Funchal (de “funcho”, le fenouil), la capitale de l’archipel (112,000 habitants), est une grande ville blanche de style portugais où Christophe Colomb a vécu un certain temps (en 1478). En 1479, il a épousé la fille du gouverneur de Porto Santo. La ville possède une cathédrale, un fort militaire et une superbe allée de jacarandas près d’un jardin municipal qui mérite une visite pour la richesse de ses essences végétales et florales. Le Marché central est le lieu idéal pour découvrir l’abondance et la variété des fruits et des fleurs. Sur les hauteurs, entre Santa Luzia et Monte, on découvre quelques beaux exemples de “Quintas” et de vieilles demeures coloniales (du XIXe) et surtout l’incomparable jardin botanique [Jardim Botanico da Madeira]. Aujourd’hui un téléphérique relie le jardin au vieux port de pêche de Funchal.

 

Autre célébrité de l’île, le footballeur Cristiano Ronaldo, né à Funchal en 1985, a donné son nom au nouvel aéroport international. La piste littéralement suspendue au-dessus de la côte ne déroge pas au spectaculaire ! Lisbonne est à 950 kilomètres au nord (90 mn de vol) et la côte africaine, à 600km à l’est. On ne vient pas à Madère pour ses plages. Son climat subtropical doux a longtemps été un lieu favori des Anglais, dont Winston Churchill (1874-1965). L’île est surtout un paradis pour les naturalistes et les amateurs de randonnées pédestres. La douceur de son climat et l’extraordinaire variété de sa végétation lui ont donné le surnom de jardin de l’Atlantique. Mais on l’aura bien compris, ce gros rocher luxuriant est l’image d’un continent en miniature. Car ici le vin de Madère n’est que le substitut de l’ambroisie des Titans.

 

Liens:

http://www.visitmadeira.pt/ 

Wikipedia

https://whc.unesco.org/fr/ 

https://www.aujardin.info/

 

Bibliographie:

Madère, Éditions C.J. Bucher GmbH, 1990, Munich, Germany.

Madère, Carnet de voyage, Le Petit Futé, Paris, ISBN: 9791033101215