Evasion

Le Sarawak : l’incroyable diversité d’une province atypique

Bornéo, troisième plus grande île de la Terre, demeure encore l’un des derniers domaines de la grande forêt tropicale. Cette immense jungle abrite un monde d’une grande richesse naturelle, caractérisée par une faune, une flore et une culture toutes aussi riches et impénétrables. Province malaisienne du nord-ouest de la grande île, le Sarawak ne fait pas exception à la règle. 

Par Christian Sorand

Il existe deux Malaisie: la plus connue est un État péninsulaire de l’Asie du Sud-Est, l’autre, la Malaisie orientale, est constituée de deux grandes provinces du nord de Bornéo: le Sabah et le Sarawak.

À lui seul, le territoire du Sarawak est plus grand que toute la Malaisie occidentale. Par contre, sa population n’est que de 2,6M d’habitants, en fonction des espaces forestiers s’étendant sur une côte de 750 km, le long de la mer de Chine méridionale. L’autre particularité réside dans le fait que les Malais, de confession musulmane, ne représentent qu’un quart de la population. Les descendants des Chinois forment un autre quart, tandis que les tribus indigènes constituent une majorité. Le christianisme est donc la religion principale du Sarawak, puisque beaucoup de descendants chinois sont aussi chrétiens.

Le Sarawak bénéficie d’un climat équatorial, propice à la diversité des espèces florales et animalières. L’Équateur traverse l’île de Bornéo de part en part, de Pontianak à l’ouest, à Samarinda à l’est. Le Kalimantan forme la partie indonésienne de l’île. Cette grande forêt équatoriale est aussi peuplée par les Dayaks, une culture tribale ancestrale, riche en savoir-faire et en particularismes. 

Une telle diversité explique l’originalité du Sarawak: un lieu unique et fascinant. D’autant plus, que l’infrastructure de la Malaisie est un atout supplémentaire. Kuching (1), la capitale régionale, en est le centre névralgique. Ce texte se propose toutefois de nous entraîner au cœur de cette province.

Une nature exubérante

L’un des tous premiers ressentis à l’arrivée est l’infinie richesse et la toute puissance du monde végétal. Les fûts des arbres de la grande forêt défient toute comparaison avec ce que l’on a l’habitude de voir ailleurs. Les essences les plus rares s’y trouvent. On croise une quantité de fleurs inconnues. Et si la chance le veut, on peut jouir du spectacle rare d’une rafflesia, la plus grande fleur du monde, à l’odeur nauséabonde. Les plantes carnivores abondent, comme les feuilles tactiles qui se rétractent au toucher. Beaucoup de plantes, dites d’intérieur, prolifèrent ici et se multiplient dans d’inimaginables proportions.

La faune de Bornéo semble suivre un parcours exotique semblable. On n’évoquera pas seulement les serpents, ni même les crocodiles marins, mais plutôt une multitude d’oiseaux aux plumages flamboyants et aux chants étranges et inconnus; ce sont aussi ces geckos du soir qui chantent la nuit venue, ou encore ces crapauds-buffles dont la voix rauque, martèle les oreilles. à n’en plus finir! Bornéo est le royaume des orang-outangs, grands singes roux et pacifiques, se nourrissant des fruits de la sylve. Que dire des nasiques, aux nez proéminents, singes endémiques des régions côtières ? Comment ne pas évoquer les lémuriens volants ? Quant au calao (“hornbill’, en anglais), c’est l’oiseau emblématique du Sarawak. Ses plumes sont particulièrement recherchées par les Dayaks. La forêt tropicale abrite aussi quelques espèces animales adaptées à l’environnement: des éléphants nains, ou une toute petite espèce de daims miniatures.

Pour partir à la rencontre de ce monde étrange, il faut visiter les nombreux parcs nationaux du Sarawak. À proximité de Kuching, le parc national de Bako offre une multitude de chemins balisés permettant de découvrir la faune et la flore locales. C’est également un lieu privilégié pour côtoyer les singes nasiques. 

Dans la banlieue sud de Kuching, on trouve une réserve dédiée à la réhabilitation des orang-outans (Semenggoh Nature Reserve). Ce parc naturel permet aussi de faire une belle approche de l’atmosphère moite et crissante de la grande forêt tropicale.

À l’extrémité nord-ouest du Sarawak, en bordure de la mer de Chine méridionale, le parc national de Gunung Gating est l’un des meilleurs endroits pour voir l’éclosion d’une rafflesia, dont la floraison est éphémère. Beaucoup plus loin à l’est (à environ 250 km de Kuching), il existe un lieu sublime autour d’un grand lac artificiel: Batang Ai National Park. Un hôtel de grand standing a été construit sur un éperon rocheux. On y accède uniquement par bateau au beau milieu de la grande forêt. En étant accompagné d’un guide, on peut alors partir à la découverte de la jungle soit à pied, soit en pirogue. Ce territoire possède une communauté Iban vivant encore dans une “longhouse”. 

L’évocation des Dayaks permet de faire le lien avec le monde indigène fascinant de Bornéo. 

Une culture ethnique caractéristique

Les indigènes de l’île de Bornéo appartiennent à cette longue chaîne aborigène allant de Taïwan à l’archipel indonésien. Ces peuplades se distinguent des Malais par leurs traits physiques, leurs langues et leurs coutumes.

Au Sarawak, on parle des “Bidayuh”, un terme générique servant à qualifier ces ethnies, plus connues sous le nom de Dayaks. En réalité, il faudrait faire une distinction entre plusieurs groupes: les Land-Dayaks – autrefois appelés “Klemantan” (à l’origine du Kalimantan, nom de la province indonésienne) – les Sea-Dayaks (ou Ibans), ou encore les Punans.

Par convenance, on utilisera le terme de Dayak. D’autant plus que les us et coutumes de tous ces groupes ethniques se ressemblent beaucoup.

Les Dayaks ne sont plus les coupeurs de tête d’antan, voulant s’accaparer l’âme et la force de ceux qu’ils avaient vaincus. Pourtant, dans chaque communauté ancestrale, les crânes humains sont toujours conservés, en souvenir du passé. Il existe à ce sujet une anecdote racontée par un reporter de CNN pendant la crise qui a ensanglanté le Kalimantan, il y a seulement quelques décennies. Alors que l’équipe filmait un groupe de jeunes footballeurs de Pontianak (Kalimantan occidental), les reporters ont soudain réalisé avec stupéfaction que le ballon n’était rien d’autre qu’une tête humaine fraîchement coupée! 

Les Dayaks utilisent le tatouage comme un moyen de protection. Ils avaient également l’habitude d’étirer les lobes de leurs oreilles; ce qui leur a valu le surnom de “longues oreilles”. Cette pratique est officiellement réprouvée et semble appartenir à une autre époque. Mais au cœur de la grande forêt, on voit encore quelques beaux portraits, attestant de cette vieille coutume. Aujourd’hui, il est vrai, les poids en bronze servant à allonger le lobe des oreilles, se trouvent plutôt chez les antiquaires du vieux Kuching!

L’une des particularités fondamentales des Dayaks est de vivre dans une grande bâtisse communautaire, appelée “longhouse” (une maison longue sur pilotis). Plusieurs familles se regroupent et vivent de part et d’autre d’une allée centrale en bambou. Au sud de Kuching, à la frontière du Kalimantan, il existe une communauté pratiquant toujours ce style de vie: “Annah Rais Bidayuh Longhouse.” Les tenants des lieux se sont simplement un peu modernisés.

La culture Dayak s’exprime dans le costume, la musique et les danses. Ils excellent dans l’art du tissage (les ikat) et de la vannerie, souvent décorées de perles multicolores. Les porte-bébés Dayaks sont devenus des objets recherchés par les collectionneurs, comme le sont certaines statues ou masques, ayant une troublante parenté avec ceux du continent africain. (troublante)

On conviendra que le voyage au Sarawak s’ouvre sur un monde à la fois mystérieux et fondamentalement subjuguant. 

Il faudrait aussi ajouter quelques lieux phares, appartenant au patrimoine mondial de l’Unesco, dans la région de Miri, proche du sultanat du Brunei. Il y a deux sites naturels exceptionnels. Il s’agit d’abord du parc national du Gunung Mulu, dominé par un pic karstique de 2.377m, possédant une forêt de cheminées de fées, ainsi que la plus grande salle souterraine du monde, longue de 600 m x 400 m, et haute de 80 m. Le second site, en voie d’inscription au patrimoine mondial, est le parc national de Niah, où l’on a retrouvé des restes préhistoriques vieux de 40,000 ans.

Le Sarawak est sans nul doute l’un des lieux les plus fascinants de l’Asie du Sud-Est grâce à ses richesses naturelles et ethniques. Si beaucoup de ces sites font l’objet d’une stricte protection environnementaliste, et qu’il existe une solide volonté locale pour préserver l’environnement, les menaces écologiques sont pourtant bien réelles. Il ne s’agit pas seulement d’une urbanisation et d’une industrialisation constantes, mais d’une exploitation outrancière de la forêt.