Evasion

Les Seychelles : des îles au goût suave d’un Eden retrouvé

Être aux Seychelles, c’est bien entendu se plonger dans la moiteur indolente des îles des mers du sud. Plus surprenant malgré tout, d’y découvrir un univers atypique ; un écosystème unique évoquant l’image d’un paradis de couleurs, un monde de diversité et d’harmonie. Cette petite république de l’océan Indien, au sud de l’Équateur, est un heureux mélange créole épicé de parfums venus d’Asie ou d’Afrique.

Par Christian Sorand

 

Quelques coins de paradis subsistent peut-être encore. En cet âge de voyages aériens et de tourisme tout azimut, cela peut paraître invraisemblable. Or, au beau milieu de l’océan Indien, un archipel d’îles, les Seychelles, pourrait bien faire figure d’exception. Douceur du climat, nature exubérante et nourricière, eaux transparentes et poissonneuses, tout cela colle au cliché des rêves exotiques. Or, souvent, la beauté naturelle ne va pas de pair avec le bien-être, surtout quand il s’agit du continent africain.

 

Pour une fois, l’image cadre avec l’imaginaire. Cette petite république créole, maniant le bilinguisme des langues anglaises et françaises, semble avoir réussi le pari d’allier douceur et art de vie dans un cocktail tropical aux saveurs métissées. Ici, on vit paisiblement entre la nonchalance et une certaine aisance, générée par la manne des vacanciers débarqués par avion ou par bateau. Sans atteindre le développement au souffle métropolitain de l’île de la Réunion, les Seychelles offrent un cadre de vie plus authentique, plus paisible. La population créole donne l’apparence d’une société heureuse de vivre sous le vent des alizés, sur l’un des plus beaux environnements qui soient.

 

Voyage aux sources de la diversité

D’emblée, ce qui frappe en arrivant, c’est une triple diversité : de splendides paysages marins, un environnement naturel exceptionnel, et une mixité raciale paisible et tolérante.

L’aventure humaine des Seychelles ne date véritablement que du XVIIIe siècle. En 1502, les îles sont signalées par Vasco de Gama, qui les appelle « Amirantes » (îles de l’amiral). Avant cela, ce n’était qu’un lieu de mouillage pour des commerçants arabes du golfe Persique ou les pirates qui écumaient l’océan. En 1609, la compagnie anglaise des Indes orientales y fait une expédition. Il faudra attendre 1742 pour que le Maloin Mahé de la Bourdonnais (1699-1753) vienne explorer les lieux. Un an plus tard, deux autres Français, Lazare Picault (1700-1748) et Jean Grossin, débarquent en nommant la grande île « La Bourdonnais » (Mahé) et la seconde par sa superficie « l’île des Palmes » (Praslin). Les tribulations de l’archipel vont alors osciller entre Anglais et Français. En 1883, l’esclavage y est aboli et en 1976, les Seychelles deviennent une république gérée par une démocratie pluraliste.

Géologiquement, cet archipel de 115 îles est une résurgence océanique de l’ancien Gondwana, ce continent qui liait l’Inde à l’Afrique. Ce fait explique sans doute l’origine des espèces endémiques des règnes animal et végétal des îles. Cet archipel, au large des côtes de Tanzanie et du Mozambique, s’étale dans l’océan Indien en deux types d’îles. L’ensemble des îles intérieures (au nombre de 41) constitue les seules îles océanes granitiques du monde ; et celui des îles extérieures (74) qui sont d’origine corallienne.

La flore est d’une diversité étonnante : flamboyant, croton, arbre du voyageur, anthurium, frangipanier, poinsettia, vacoa, fougère arborescente, oiseau-de-paradis, alpinia, hibiscus, allamanda, bougainvillier. Une espèce endémique, le coco de mer, fait même la richesse du pays. Les Seychelles sont également un paradis pour toutes les épices : cannelle, patchouli, piment, thé, vanille. Le panier des fruits tropicaux est du même ordre : mangues, bananes, jamalacs, cœurs-de-bœuf, corossols, goyaves, fruits de la passion, noix de coco.

La faune abonde de spécimens rares voire uniques. Les eaux recèlent des coquillages exotiques : murex, triton, cône, casque, mitre, porcelaine. Les plongeurs s’y complaisent aussi : poisson-papillon/ perroquet/ clown/ étendard/ ange-empereur/ trompette, mérou, hérisson de mer, rascasse volante. Sur terre, les oiseaux sont également d’une variété exceptionnelle. Hormis le héron garde-bœuf ou le cardinal de Madagascar, certaines espèces sont uniques au monde : le garde-mouche de paradis ou le perroquet noir (à Praslin). Quant aux tortues géantes d’Aldabra, elles n’ont d’équivalent qu’aux Galápagos.

Le patrimoine naturel englobe donc deux façades : une façade maritime et un espace terrestre. Chacune des trois îles principales (Mahé, Praslin, et La Digue) possède à la fois des plages sublimes et des parcs protégés (jardin du Roy à Mahé, vallée de Mai à Praslin, parc de la Veuve à La Digue).

La mixité du peuplement semble presque être calquée sur l’environnement naturel. Il y a les Mozambiques, les grands Blancs, les Blancs cocos, les Indiens, les Chinois. On comprend alors pourquoi la meilleure cuisine créole de l’océan Indien se trouve ici.

 

L’île de Mahé

On arrive forcément aux Seychelles par la « grande île ». Mahé est à la fois l’île la plus grande et la plus peuplée, mais aussi économiquement la plus développée. Outre son port et son aéroport international, elle est le siège de la capitale et donc du gouvernement de la république des Seychelles. Victoria, une capitale de 26.000 habitants, a gardé un charme tout tropical et joliment désuet. La tour de l’horloge (1903, ‘Clock Tower’), reproduction miniature de Big Ben, s’élève au cœur de ce gros bourg, mélange de demeures coloniales et de bâtisses modernes. Le buste de Pierre Poivre (1719-1786) se cache dans un sous-bois, à proximité de la Cour suprême, de style résolument britannique. La maison des Capucins (1934) a été construite en granite dans le style portugais à l’intérieur du jardin de la cathédrale de l’Immaculée conception. Un beau temple tamoul se trouve à proximité du marché central, dont la visite s’impose.

Située au nord de l’île, Victoria est dominée par d’impressionnants pics rappelant le Pain de Sucre de Rio : le Morne seychellois (905m), le Morne blanc (667m) et les Trois Frères (699m). Les contreforts montagneux abritent la forêt Noire, domaine du parc national seychellois. À Mission Lodge, la plantation de thé (Tea Factory) offre une vue imprenable sur toute la côte occidentale de l’île.

La superbe petite route de la côte ouest longe des criques et des plages de sable blanc, en traversant de pittoresques villages : Port Glaud et Port Launay, au nord ; puis Baie Lazare, dominé par une jolie église, au sud, Anse Takamaka enfin, réputée pour ses couchers de soleil.

Avant de remonter par la côte orientale, il ne faut surtout pas manquer d’aller au jardin du roi. La vieille maison coloniale date de 1860, à côté de la terrasse panoramique du café-restaurant. On vient ici pour admirer les espèces d’un jardin luxuriant abritant les épices importés d’Inde et d’Indonésie (clou de girofle, noix muscade), une magnifique forêt tropicale, des bananiers et bambous, et en outre des spécimens de cocos de mer.

Sur la côte Est, on peut faire une halte à Takamaka Baie pour y admirer une maison coloniale en bois sur pilotis, dont le domaine est devenu une distillerie de rhum. Un peu plus loin, le domaine de Val des Près fait office de village artisanal. La « Grann Kaz » est une maison coloniale à varangue datant de 1870. Elle est entourée par de petites cases créoles reconverties en ateliers d’art.

Pour se rendre à Praslin, deuxième île de l’archipel par sa superficie, on peut emprunter soit le catamaran de Cat Cocos (1h de traversée), soit un petit appareil de la compagnie Air-Seychelles (15mn de vol).

 

L’île de Praslin

D’abord baptisée, « l’île des Palmes » en 1744 par Lazare Picault, elle a été ensuite rebaptisée en 1768 par le capitaine Marion Dufresne (1724-1772), en l’honneur de Gabriel de Choiseul, duc de Praslin, alors ministre de la Marine.

Cette île de terre rouge aux sombres rochers granitiques a longtemps été un repaire de pirates et de flibustiers.

Au large de la côte orientale, le chenal de l’île Curieuse est un aquarium naturel baptisé parc marin national. Deux bourgades praslinoises se partagent le territoire : Grand’Anse (à l’ouest), à proximité du petit aéroport, et Baie Sainte-Anne, à l’est, abritant un port naturel dans une grande anse. La plupart des hôtels se situent sur la côte Est, à Anse Volbert, site d’une plage de sable de trois kilomètres de long. Au nord, Anse Lazio est classée comme l’une des plus belles plages granitiques des Seychelles, voire souvent comme l’une des plus belles plages de la planète. Toutefois, la curiosité principale de l’île est sans conteste le parc national de la Vallée de Mai, pour sa forêt de cocos de mer unique au monde. Classé au patrimoine mondial de l’Unesco, ce parc abrite 4.000 cocos de mer géants, mais aussi 50 plantes indigènes, dont six espèces de palmiers endémiques des Seychelles. C’est aussi le dernier habitat du perroquet noir, parmi bien d’autres espèces animales comme le pigeon bleu, le boulboul, le gecko-bronze, le lézard vert, le caméléon-tigre ou le boa des Seychelles.

À quelques encablures, au sud de Baie Sainte-Anne, la traversée du détroit vers La Digue, se fait en moins d’une demi heure (Inter Island Ferry).

 

L’île de La Digue

Voici donc l’île la plus attachante des Seychelles. Lazare Picault l’avait baptisée « l’île rouge » en 1744.

Son charme est multiple. D’abord, parce que seuls quelques véhicules de transport ou de service sont autorisés à circuler. Ensuite, parce que subsistent encore quelques chars à bœufs traditionnels servant de taxis. Enfin, parce que tout ici invite à la marche ou au vélo. On y voit des cases en bois sur pilotis et de jolies cabanes créoles, certaines de couleurs vives. La plantation d’Union Estate est une vaste cocoteraie fabricant le coprah. Elle a conservé ses plants de vanille, de safran et de patchouli. Outre un émouvant cimetière colonial, l’Union plantation house est un magnifique exemple de maison coloniale à varangue ayant servi au tournage du film « Emmanuelle ». Ce domaine est aussi le site d’une des plus belles plages. Anse Source d’Argent est une pure merveille de la nature avec ses grands rochers de granite plantés dans l’eau d’un lagon aux anses multiples naturellement ombragées. Roman Polanski a d’ailleurs choisi le site pour le tournage du film « Pirates ». Grand’Anse sur la côte orientale est la plus grande plage de l’île. Elle permet d’accéder, à pied seulement, à deux autres très belles plages : Petite Anse et Anse Cocos. L’ultime curiosité de La Digue est la réserve naturelle de la Veuve. Outre les takamakas et les lataniers, la forêt est le domaine des badamiers géants. La réserve abrite la dernière espèce du gobe-mouches de paradis des Seychelles pour qui le parc a été créé. Grâce à cette initiative, l’espèce est en voie d’être sauvée.

Il semble donc que ce soit un des rares archipels de la planète ayant su préserver son écosystème. C’est vraisemblablement ce qui rend le voyage aux Seychelles une expérience unique en soi. Avec les Galápagos, l’île de Komodo, ou la Nouvelle-Guinée, c’est encore un des derniers espaces protégés. Madagascar est déjà, paraît-il, menacée, comme le sont les forêts de Bornéo ou d’Amazonie. La chance de l’archipel seychellois est son isolement insulaire et sa capacité restreinte ne lui permettant pas d’accueillir trop de touristes. À cela s’ajoute bien sûr une volonté nationale de protéger la particularité de cet héritage. Souhaitons qu’il en soit ainsi pour longtemps encore.

 

Bibliographie

  • Seychelles, Guide Vert Michelin, 2015, ISBN : 978-2-06-720686-1

 

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