Economie

Les passeurs de mots

Créé en 1997 par la Franco-Anglaise Amanda Galsworthy, Alto International regroupe un réseau d’interprètes et de traducteurs internationaux. Interprète de renom auprès des plus grands dirigeants du monde, Amanda a toujours baigné dans un univers interculturel et multilingue. 

Par Catya Martin

Mariée à un diplomate français, fille de diplomate anglais, son père a travaillé plus de 40 ans dans la fonction publique et a consacré 12 années de sa carrière de 1960 à 1972 à négocier l’entrée de la Grande-Bretagne dans le marché commun. Habituée à changer de pays, Amanda, née à Bangkok, a eu la chance d’avoir un père certes europhile mais aussi linguiste. Les enfants de la famille ont été scolarisés chacun dans une école européenne différente. Amanda intègre le réseau des lycées français de l’étranger. « C’est une démarche très originale pour un homme de sa génération, né en 1919 », indique Amanda Galsworthy. Un frère à l’école allemande, une de ses sœurs ira vers l’espagnol, l’autre restera dans le système anglais et Amanda aura une scolarité en français. Une véritable organisation internationale au sein du foyer. Après son bac, ce sera Cambridge pour Amanda. «  Le gros avantage du système français est qu’il vous apprend à apprendre là où le système britannique va lui vous apprendre à réfléchir. J’ai donc eu le meilleur des deux systèmes ».

« Nous avions notre langue à la maison mais mes parents avaient des règles très strictes. Nous pouvions parler la langue de notre choix mais avec interdiction de les mélanger. C’est sans doute ce qui m’a donné la discipline qui est nécessaire dans le métier que je pratique depuis plus de 30 ans ». Amanda aime comparer avec humour sa carrière à l’histoire d’Obélix et Astérix et de la potion magique. « Je suis tombée dedans quand j’étais petite. Je n’ai jamais réellement appris une langue », explique-t-elle.

Souvent présent à Bruxelles, le père d’Amanda est fasciné par le métier d’interprète et y voit un avenir pour sa fille. Conflit générationnel oblige, la jeune femme décide de partir vers d’autres destinations que celle voulue par son père. « J’ai fait des études d’anthropologie pour surtout ne pas être interprète en contradiction totale avec le souhait de mon père. Une fois mon diplôme de Cambridge en poche je suis rentrée en France. Là j’ai entendu parler de cette école d’interprète et de traducteur rattachée à Dauphine. J’y suis allée au départ juste pour avoir quelque chose avant de trouver un vrai travail et là, le virus m’a mordu », raconte Amanda. DESS en poche, la jeune Franco-Britannique va très rapidement être propulsée sous les ors de la République française et devenir l’interprète de François Mitterrand alors président de la République. Sa carrière était alors lancée. Suivront ensuite Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. « Jamais je n’aurais imaginé que de 2004 à 2012 je serais exclusivement au service de présidents de la République française », précise-t-elle.

Ce métier, elle le vit comme une véritable vocation. Avoir une carrière est une chose mais être connue et reconnue pour la qualité du travail fourni est la priorité d’Amanda Galsworthy. « Il est important d’avoir des personnes avec une expérience. La connaissance d’un mot et de sa signification est extrêmement importante dans notre profession », explique-t-elle. « Dire que pour être interprète il faut connaître plusieurs langues, c’est comme dire que pour être marathonien il faut des jambes. Oui, mais, pour être marathonien il faut aussi du souffle, de l’endurance ou encore du mental. C’est la même chose dans notre métier, au-delà des langues, il faut une capacité d’écoute extraordinaire et d’analyse. Il faut des connaissances générales, une discipline, de l’endurance face à la concentration nécessaire pour ce métier », tient-elle à préciser.

« Nous sommes des passeurs de messages. Lorsque j’enseignais dans l’école d’interprète, je disais toujours à mes élèves, dès le premier cours, que je n’allais pas leur enseigner à traduire, ou à dire, ce que l’orateur dit, mais ce qu’il aurait dit s’il avait parlé la langue de ceux qui l’écoutent. », indique Amanda. « Peu importe ce que vous dites, la seule chose qui est importante est ce que l’autre entend », ajoute-t-elle. « Un bon interprète fait du sur-mesure. Nous sommes là pour faire en sorte que l’interlocuteur comprenne parfaitement le message et non juste pour traduire mot à mot une phrase ».

Régie par le secret professionnel et dans certain cas, « secret défense », la profession d’interprète base sa crédibilité sur la confiance de celles et ceux qui y ont recours. La récente polémique autour des discussions entre Donald Trump et Vladimir Poutine a mis en lumière cette règle primordiale pour la profession. Bien que convoquée par les démocrates qui souhaitaient connaître la teneur des discussions entre les deux chefs d’Etat, Marina Gross, l’interprète du département d’Etat, seule personne présente lors de ces entretiens, n’a jamais témoigné. « C’est une catastrophe pour nous. C’est d’ailleurs très insultant », explique Amanda. « Personne ne demande à un avocat s’il est d’accord avec ce qu’a fait son client ». « Nous n’avons pas à être d’accord avec les sujets abordés. Nous sommes là sans être là. Nous n’existons pas, on peut nous voir sur certaines photos mais jamais notre nom ne sera cité, nous sommes invisibles. Juste une voix », ajoute cette épouse d’un diplomate français.

« Il m’est arrivé qu’un président, face à son homologue, fasse sortir l’ensemble des conseillers présents, et ne garde que moi comme interprète car la confiance est là. J’ai assisté à des discussions entre chefs d’Etat et jamais je n’en parlerais. Si tel était le cas, d’abord ma carrière serait terminée et indépendamment de cela, c’est toute la profession que je trahirais », tient-elle à souligner.

Aujourd’hui cheffe d’entreprise, Amanda est fière de ce qu’est devenue sa société Alto, créée il y a plus de 20 ans. « Alto a été la première structure en France, voire au monde, à réunir sous une même bannière tous les métiers de l’interprétariat ». « Nous sommes aujourd’hui toujours unique car cette structure est dirigée par quelqu’un du métier. C’est la crédibilité d’Alto. Avec mon expérience, je sais faire la différence entre un bon et un mauvais traducteur. Nous offrons toutes sortes de services, transcription, sténotype, coaching, interprétation, langue des signes, et là depuis peu, je travaille sur la création d’un pôle de traduction avec le braille. Ca ne s’est encore jamais fait », indique-t-elle. 

Revendue depuis deux ans, Alto reste sous la direction d’Amanda Galsworthy. Présente dans le monde entier, la société Alto s’est également spécialisée dans la communication de crise. Disponible 24h sur 24, sept jours sur sept, elle peut répondre à toutes les demandes et donc à des situations d’urgence. Deux personnes à Hong-Kong, dont Masha Mallet-Antonova qui assure la direction de la branche Asie, et huit à Paris composent l’équipe d’employés de la structure. Les autres salariés sont des intermittents. « En dehors des organismes internationaux de type ONU ou encore OCDE qui nécessitent une personne à temps plein, les interprètes de qualité qui réussissent sont tous des free lance », précise-t-elle.

Avec une clientèle composée en grande partie d’entreprises du CAC 40, l’esprit d’Alto repose sur deux promesses. Une disponibilité pour les clients qui bénéficient d’un véritable accompagnement, un partenariat. Mais aussi l’assurance pour les clients réguliers d’avoir une équipe dédiée au sein de la structure. « Pour ces clients, c’est comme s’ils avaient leur propre département linguistique mais chez nous. Une sorte de prestataire intégré », explique Amanda.

Toujours en mouvement, la Franco-Britannique a le besoin permanent de lancer de nouveaux projets. Alto se développe et Amanda se tourne à nouveau vers l’enseignement et lance également des sessions de coaching axées sur l’inter culturalité. « Il s’agit d’ateliers pour la prise de parole en public en anglais. On ne parle pas à des Anglais comme on parle à des Français. La communication ne consiste pas juste à mettre des mots anglais sur une syntaxe française, ça ne marche pas. La communication dans chaque langue et chaque culture a ses codes et il faut les connaître », assure-t-elle. Lors de coaching avec ses clients, Amanda insiste sur l’importance, dans une transaction, de mettre en place une bonne communication avec leurs interlocuteurs étrangers, en évoquant quelques sujets importants de leur culture. « Vous verrez la réaction surtout venant d’un Français, vous entrez directement dans leur culture et vous leur signalez que vous vous y intéressez, que vous la respectez ».

Celle qui incarne le métier d’interprète conclut notre rencontre avec une citation de Nelson Mandela. Citation qui, pour elle, 

illustre tout son parcours. « Cette phrase dit tout, résume tout », affirme-t-elle. « If you speak to a man in a language he understands that goes to his head, if you speak to him in his language that goes to his heart ». « Il faut parler aux gens leur langue. Ils vous écoutent à défaut de vous entendre. C’est la clé de la communication », conclut-elle.

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