Evasion

L’île de Zanzibar : parfums capiteux et saveurs d’épices

Les sens humains les plus secrets s’éveillent en abordant cet archipel tropical de l’océan Indien. Les saveurs olfactives et gustatives évoquent un héritage persique venant se mêler aux épices d’un Orient mythique aux senteurs de cardamome, de girofle et de cannelle. Voici donc une autre Afrique qui, à l’instar des boutres d’antan, aurait largué ses amarres pour naviguer en solitaire sur les eaux chatoyantes des mers du sud, aveuglant les yeux de par son soleil et ses couleurs. 

Par Christian Sorand

Tout est dit déjà dans cette évocation picturale cherchant à reproduire, d’une manière illusoire, une ambiance instantanée grâce à quelques coups de pinceau sur la toile de l’imaginaire. On sait pourtant qu’en débarquant sur le sol de Zanzibar, on pose un pied sur le continent africain. Or, il s’agit d’un petit archipel, rappelant que les îles sont souvent des lieux singuliers.

Cette échappée insulaire nous emmène en réalité sur la plus grande île de ce chapelet marin appelé Zanzibar, celui de l’île d’Unguja. Bon vent donc à ces alizés qui nous y poussent par la magie de la plume et de l’image !

En théorie, on pourrait croire que l’on est bien en Tanzanie, pays de l’Est africain. Certes, mais en martelant le mot ‘zan-zi-bar’, n’y a-t-il pas déjà là une autre sonorité ? Car ce son tri-phonique illustre parfaitement une triple identité. Si la population est négroïde à l’origine, elle se colore aussi du sang oriental indien et persique, voire de gènes européens. On pose ainsi le pied dans un ailleurs inattendu !

Le goût de l’océan Indien

Les îles de l’océan Indien ont en commun une longue histoire de croisement des peuples. Sans doute, cela est-il dû aux courants marins et aux alizés, tout autant qu’à une certaine proximité continentale. Cet espace insulaire a été le point convergent de trois horizons différents. 

À Zanzibar, la grande île d’Unguja est séparée de la côte africaine par un chenal d’une trentaine de kilomètres seulement. Sa flore et sa faune appartiennent donc au continent noir. 

Or, on constate que depuis la plus haute antiquité (vers 1.800 av. J.-C.), d’autres hommes y sont venus, attirés par l’attrait d’un exotisme inhérent à notre espèce. Ainsi, les Egyptiens, avides d’encens pour honorer leurs dieux, éprouvaient le besoin d’en faire le négoce. Comme leur navigation se cantonnait le long du Nil, ils firent donc appel à leurs voisins sémites, les Phéniciens, à la fois grands navigateurs et commerçants dans l’âme. C’est ainsi que naquit la première grande route maritime de l’histoire : la route de l’encens. Par sa proximité, Zanzibar, en était une escale. L’encens était plutôt l’apanage du sous-continent indien tandis que l’or, l’ébène et l’ivoire ajoutaient un négoce complémentaire à la cargaison des navires.

Plus tard encore, au Moyen Age, les peuples du golfe Persique avaient pris le relais des Phéniciens et avaient acquis des techniques de construction navale et de navigation maritime. Les Perses de Shiraz furent donc les premiers, au Xe siècle, à commercer avec les îles de l’archipel depuis le port de Bassorah. Certains s’y installèrent en y construisant palais et bains orientaux. Leurs voisins omanais et yéménites ne mirent pas longtemps à leur emboîter le pas, convaincus d’y avoir trouvé « le paradis d’Allah », tant les paysages idylliques, la verdure et les fruits semblaient coller à cette évocation coranique. Ce fut donc la période mythique de Sindbad, le marin. Les boutres omanais commerçaient également avec l’Inde. Une nouvelle vague migratoire s’instaurait; les effluves des senteurs se sont mêlées aux parfums de cannelle, de cardamome et de vanille, comme aux épices de poivre et de gingembre. 

Évidemment, dès la fin du Moyen Age, les puissances européennes d’alors avaient entendu parler de toutes ces épices exotiques. Les Portugais, en route pour l’Inde (XVe siècle), furent les premiers, bientôt suivis par les Hollandais qui avaient opté pour les îles de la Sonde. Or, les lointaines « îles aux épices » – aujourd’hui les Moluques – étaient devenues un nouvel Eldorado. Elles recelaient à profusion d’un produit magique: le clou de girofle. Ce commerce, longtemps tenu secret pour d’évidentes raisons commerciales, donna lieu à des affrontements belliqueux. Des corsaires anglais, puis français, se sont emparés de plants qu’ils ont embarqués vers l’archipel des Mascareignes et toutes les autres îles de la région comme les Seychelles (1) et Zanzibar.

Les vicissitudes de l’histoire ont donc modelé le peuplement et l’économie de Zanzibar. Malgré tout, il ne faudrait pas oublier le triste commerce de l’esclavage. Il a initialement été l’apanage des Perses et des Omanais jusqu’à la fin du XIXe, quand Zanzibar en était un important maillon. Ce trafic a finalement été débouté par le protectorat britannique.

Un pied en Afrique de l’Est

Zanzibar a donc hérité d’un brassage multiculturel qui a vraisemblablement forgé l’empreinte de son identité locale. Même si l’archipel appartient à la Tanzanie, il garde une certaine autonomie, et même quelques velléités indépendantistes. L’île d’Unguja est à la fois la plus grande et la plus peuplée d’un archipel composé des îles de Pemba, au nord et de Mafia, au sud.

Situé dans l’hémisphère austral, l’archipel est soumis aux fluctuations des alizés dont le rôle a été essentiel pour le commerce de la voile. Unguja offre deux facettes bien distinctes. La partie orientale de l’île est au vent, tandis que la moitié occidentale est sous le vent. Tous les autres archipels de cette partie de l’océan Indien étaient autrefois rattachés au continent africain et il existe donc une flore et une faune originales. Le parc national de Jozani Chwaka se trouve au centre de l’île. À l’origine, il s’agit d’une zone de mangroves sur laquelle la végétation a évolué à partir de la roche corallienne originelle, purement endémique par sa salinité. On y trouve encore une variété de singes appelés le colobe roux de Zanzibar (Procolobus kirkii). Ce petit primate, totalement végétarien et fort peu sauvage, est une espèce unique hautement protégée. Le dernier comptage recensait environ 1.500 individus. Comme il se nourrit essentiellement de fruits trouvés dans cette forêt, il ne peut donc vivre que dans cet environnement en fonction de la salinité du terrain qui n’existe pas ailleurs.

La division climatique de l’île fait que la côte Est est plus ventée, mais également plus sèche. Elle demeure le domaine des plus belles plages de sable blanc et d’un lagon corallien parallèle à la côte. Ceci explique pourquoi elle est devenue un paradis pour les planchistes et surtout pour le kite surf, particulièrement à Jambiani, agréable petite communauté de pêcheurs. Paje, quelques kilomètres plus au nord, est un lieu plus branché.

À la pointe méridionale d’Ugunja, Kizimkazi, se situe un autre village idyllique de pêcheurs. On vient ici à la rencontre de la colonie des grands dauphins (Tursiops truncatus) vivant au large de la côte. Hélas, le nombre des barques de pêcheurs vivant en marge d’un commerce touristique devenu hautement lucratif, enlève beaucoup de charme à cette rencontre. Les dauphins y sont en nombre mais on se demande comment ils peuvent encore paisiblement évoluer dans ces eaux turquoises!

Diamétralement opposée tout au nord, la plage de Nungwi, illustre à merveille ces lieux paradisiaques des mers du sud. Cette partie de la côte n’est pas soumise aux caprices de la marée. Ceci a donc donné lieu à un développement touristique encore plus intense. Deux extrêmes se jouxtent sans jamais se croiser : d’une part des villégiatures de luxe très fermées et d’autre part une zone plus couleur locale, domaine d’une clientèle jeune, un tantinet hippie. Il n’en demeure pas moins que l’on garde en mémoire de ce lieu, ses extraordinaires couleurs exotiques et ce, malgré l’état de la route d’accès.

La capitale régionale, Zanzibar Town, se trouve sur la côte ouest, au centre de l’île. Son vieux quartier historique, Stone Town, a été classé sur la liste de l’Unesco. Son intérêt et sa richesse exceptionnelle seront le sujet d’un autre article.

L’île d’Unguja est donc un lieu ne manquant pas d’attrait et de charme. Bien entendu, son particularisme s’exprime aussi dans les senteurs ou dans le plaisir exotique et parfumé de sa cuisine.

Un cocktail exotique aux saveurs uniques

Les saveurs culinaires sont un mélange d’Afrique et d’Asie faisant une large place aux épices et aux condiments inhérents à l’environnement. Poissons et fruits de mer, accompagnés souvent de riz, demeurent les mets principaux, sachant que la cuisine d’origine indienne a largement influencé la table zanzibarienne. 

L’archipel a longtemps été l’un des principaux producteurs du clou de girofle après l’Indonésie. L’industrie des huiles essentielles comme la citronnelle et la fleur d’Ylang-Ylang ou d’Aloé Vera complémentent le tourisme, devenu aujourd’hui l’activité prépondérante. 

À proximité de Bububu, un peu au nord de Stone Town, se trouve une jolie forêt tropicale dans laquelle il y a de nombreuses fermes aux épices. Certaines sont des plantations qui se visitent. On peut donc s’y procurer tout l’éventail des épices : cannelle, cardamome, cumin, curcuma, gingembre, noix de muscade, piment, poivre vert ou noir, vanille.

Malgré tout, ce que l’on rapporte de Zanzibar, c’est un émerveillement des yeux où dominent les couleurs d’un océan allant de l’aigue-marine au vert émeraude, en passant par la couleur turquoise. 

A vrai dire, cet archipel de l’océan Indien, est un lieu rêvé d’escapade. Bien desservi par les compagnies aériennes, son infrastructure hôtelière est largement à la hauteur des normes internationales. Seul parfois, l’état actuel de l’aéroport et de certaines routes, rappelle qu’il s’agit d’une Afrique en voie de développement. La gentillesse de la population locale, le coût modéré des prestations essentielles et les paysages de rêve viennent largement combler ce handicap, sachant par ailleurs que la liberté de déplacement n’est nullement entachée par un manque de sécurité quelconque.

On en revient donc, les yeux éblouis, le cœur léger, avec pléthore de parfums exotiques rendant ce voyage encore plus pérenne dans la sphère des souvenirs.

Bibliographie

– Zanzibar, Petit Futé, 2015, ISBN 97827 46982628

– Kenya, Tanzanie/Zanzibar, Le Routard, Hachette, 2016/17, ISBN – 978-2-01-161245-8

Liens Internet

www.futura-sciences.com

wikipedia

wikitravel

Trait d’Union Magazine, novembre 2017 : http://www.traitdunionmag.com/les-seychelles-des-iles-au-gout-suave-dun-eden-retrouve/