Culture

Les nouveaux éclaireurs de la Chine : Hybridité culturelle et globalisation

Edith Coron, coach spécialiste en leadership global, auteure et ancienne journaliste, basée à Pékin depuis 2006 et Anne Garrigue, écrivaine-journaliste, auteure de plusieurs ouvrages sur l’Asie où elle a vécu plus de 20 ans dont cinq en Chine, se sont associées pour nous livrer un ouvrage retraçant le parcours de millions de personnes à l’identité complexe. Ces “hybrides culturels” sont à la fois les produits et les pilotes de la globalisation avec le pouvoir involontaire de transformer le monde. Rencontre avec deux auteures passionnées et passionnantes.

Par Catya Martin

Trait d’Union : Pourquoi ce livre ?
Anne Garrigue et Edith Coron : Nous avons décidé d’écrire ce livre en 2010 alors qu’avec les JO de Pékin et l’exposition universelle de Shanghai, la Chine était encore dans une période d’ouverture importante à l’international. A titre personnel, nous étions toutes deux marquées par « l’hybridité culturelle ». Chacune d’entre nous avait vécu une large partie de sa vie hors de France. Nous parlons plusieurs langues et avons partagé différentes cultures.

Edith, qui vit en Chine et est mariée à un Britannique, a été correspondante de presse aux quatre coins du monde avant de devenir coach en leadership global et spécialiste en communication interculturelle et de fonder EOC-Intercultural. Anne, écrivaine journaliste, a vécu 21 ans en Asie, dont cinq ans en Chine. Elle est arrivée au Japon à l’âge de 27 ans et a écrit une dizaine d’ouvrages sur cette zone du monde.

Nous nous sommes retrouvées sur cette analyse que la mondialisation se faisait dans la complexité et que les hybrides culturels étaient souvent des clés de voute de cette rencontre et méritaient qu’on mette leur rôle en lumière. Il nous semblait aussi que cette hybridation n’allait pas sans poser des problèmes qu’il convenait d’analyser.

Parce que la modernisation de la Chine s’est faite par l’ouverture vers d’autres cultures avec Deng Xiaoping, et que l’hybridité culturelle est arrivée comme un « sous-produit » de la transformation économique et sociale de la Chine, il nous paraissait intéressant de partir de ce géant qui était comme un gigantesque laboratoire où s’opérait une fertilisation croisée sans précédent en termes de volume et de rythme. Il faut savoir, par exemple que plus de 3 millions de Chinois continentaux ont étudié à l’étranger depuis 1978, dont 1,5 million sont retournés en Chine et que 375 000 étrangers, venus de 203 pays, étudient en Chine continentale.

Nous pensions enfin que travaillant sur l’hybridité culturelle, écrire à quatre mains, permettait de mieux encore croiser les idées et de passer nous-même pas une hybridation de notre approche.

Quelle est votre définition de l’éclaireur ? De l’hybride culturel ?
Nous définissons « l’hybride culturel » comme « une personne engagée dans un processus de transformation et qui navigue avec familiarité et aisance à travers plusieurs cultures, en revendiquant, à des degrés divers, sa complexité culturelle comme un élément clé de son identité. »

Nous avons aimé le mot « éclaireur » qui joue sur deux notions ; celle des avant-gardes – et nous pensons que les hybrides culturels sont une avant-garde dans le monde globalisé – et celle de porteur de lumière car nous pensons que les hybrides culturels, s’ils sont bien dans leur peau, sont créatifs, ouvrent des portes et joue le rôle indispensable de ponts dans le monde d’aujourd’hui.

Avez-vous réussi sans difficulté à obtenir vos témoignages ?
Nous avons interviewés en Chine plus de 250 personnes chinoises ou non chinoises venues du monde entier et exerçant leur activité aussi bien dans l’éducation que dans l’entreprise. Nous avons par exemple regardé longuement le cas de Michelin ou d’Agilent en Chine. Nous avons interrogé des créateurs, dans l’art ou la mode, des chercheurs scientifiques, des gens de la nouvelle économie, des universitaires. Nous avons aussi observé de près comment le monde politique s’intéresse à cette question en Chine et nous avons constaté que dans une Chine qui ne reconnaît pas la double nationalité, il y a de fait beaucoup d’hybrides culturels alors qu’il n’existe pas de mot pour le dire.

Dans l’ensemble nos interlocuteurs, qu’ils soient Chinois ou non, ont bien joué le jeu et étaient tous vivement intéressées par les questions que nous leur posions, qui les aidaient à réfléchir sur leur expérience puisqu’ils étaient tous par définition à des degrés divers, des hybrides culturels.

Quelle est l’histoire la plus atypique selon vous?
Il y a des dizaines d’histoires émouvantes dans le livre. On peut parler par exemple de ce jeune Chinois, fils de paysan et issu d’une université de second rang, Wen Chu, qui a créé GMIC, le principal forum de la nouvelle économie en Chine alors que rien ne le prédestinait à le devenir, parce qu’il a été capable de se transformer et de comprendre l’autre. Son initiative personnelle a abouti à une multitude de rencontres qui ont débouché non seulement sur des affaires mais sur l’élaboration d’une mémoire commune.

Comment voyez-vous la Chine de demain ?
Nous ne sommes pas des politologues spécialistes de la Chine mais nous ne pouvons que constater la fermeture récente de la Chine. Entre le moment où nous avons commencé l’enquête et celui où nous avons mis un point final en 2015, la situation a profondément évolué.

Quel est le prochain ouvrage sur lequel vous travaillez ?
Anne travaille sur un livre sur les femmes en Asie pour les éditions Philippe Picquier.
Edith écrit pour des revues spécialisées.