Tranche de vie

Les angoisses

J’ai sauté en parachute. Dès mon premier saut, j’ai sauté seule avec le déclenchement automatique de mon parachute relié à l’avion comme les militaires. J’avais 24 ans, j’ai adoré cela et j’ai sauté plusieurs fois. Je suis heureuse de l’avoir fait car aujourd’hui, je ne sais pas si je le referai parce que maintenant, j’ai peur ! 

Par Perrine Tavernier

 

Certes, j’ai sauté en parachute mais je n’ai jamais été une tête brûlée. Ainsi, je n’aurais pas fait de parapente ou de saut à l’élastique (beaucoup plus dangereux) et je n’ai pas non plus sauté en tandem en remettant ma vie dans les mains d’un inconnu pour une activité qui reste un loisir…. Donc j’ai toujours mesuré les risques mais maintenant que je suis devenue mère, je les mesure un peu trop.

Je suis persuadée qu’au moment de mon premier accouchement, il y a quelque chose qui a complètement dévissé dans mon cerveau parce que depuis ce jour, tout un tas de questionnement et d’angoisse sont apparus. J’ai fait mon entrée au royaume des névroses.

Prenons l’exemple de l’avion. Comme beaucoup, j’ai voyagé et j’ai toujours eu plaisir à prendre l’avion. Plus jeune, j’étais même excitée à l’idée de découvrir le programme des films disponibles comme si je n’allais jamais au cinéma bref…

Aujourd’hui, prendre l’avion est une épreuve. Regarder un film est même compliqué puisque je suis focalisée sur les bruits de l’avion comme si j’étais mécanicienne aéronautique. J’essaie de faire bonne figure avec les enfants mais discrètement, mon mari me tient la main pour tenter de me rassurer. Les cimes de l’angoisse étaient atteintes quand je prenais l’avion avec mon mari sans les enfants. 

Tout ceci me parait loin compte tenu de la gestion sanitaire à Hong-Kong qui aura, peut-être, comme seul effet bénéfique de me faire aimer reprendre l’avion le jour où…

 

Autre sujet transcendant : la santé. 

Là aussi, sujet passionnant pour toute personne souhaitant se faire du souci. Avant d’être mère, il m’est arrivé des petits ennuis mais rarement le scenario du pire m’envahissait. 

Aujourd’hui, c’est une autre paire de manche. J’ai la trouille avant d’avoir le résultat d’une analyse ou mieux, avant même de passer un examen. Un mal de ventre et c’est l’ablation de la vésicule biliaire qui me passe par la tête, un bleu sur une jambe et c’est l’insuffisance veineuse bien sûr… Au début de la pandémie, je vous laisse deviner, j’ai eu environ 426 fois le COVID en un mois. 

Je sais qu’on est tous un peu comme cela mais, je trouve cela usant. Que j’aimerais revenir à des fonctionnements plus rationnels de ma pensée ! 

 

Je finis en fanfare avec le sujet de prédilections pour du stress à revendre : les enfants.

Alors là, je fonctionne à plein tube et pour toute situation inconfortable, je dresse en 2 minutes une cartographie des risques complète. La semaine dernière, mon petit dernier a eu une écharde dans le pied. Un truc sans gravité mais pas très joli et qu’il a fallu soigner. Bien malgré moi, au moment des soins, l’amputation m’a traversé l’esprit. Insupportable !

Bien sûr, je force le trait mais une part de cela est vrai. J’ai honte de toutes ces angoisses car je sais qu’elles sont pour la plupart irrationnelles. Et si je le cache sous quelques traits d’humour, vous n’imaginez pas combien cela m’a couté de l’écrire. Surtout que le peu de fois où j’ai livré mes craintes, j’ai eu des réponses : « mais faut que t’arrêtes, tu vas stresser tes enfants avec toutes tes angoisses, faut pas les projeter sur eux » et gnagnagnaaaa… Comme si tout ceci était intentionnel de ma part et que j’avais besoin qu’on me fasse culpabiliser en plus de stresser.

Évidemment mon quotidien n’est pas dirigé par cela mais, dans mon cas, les angoisses sont bien plus présentes maintenant qu’auparavant.

Avant d’avoir des enfants, on m’avait dit : « tu n’as pas d’enfants, tu ne peux pas comprendre… ». Pour ma part, je n’ai jamais pensé que les femmes qui n’avaient pas d’enfant ne pouvait pas le comprendre. 

En revanche, j’ai toujours dit que mon niveau d’angoisse avait considérablement augmenté en devenant mère. Comme si le fait d’avoir donné la vie faisait prendre conscience qu’on pouvait la perdre aussi. Je n’aurais jamais soupçonné pouvoir m’inquiéter autant. Car certaines angoisses sont bien fondées. Comme celle de la situation de Hong-Kong qui nous sert la gorge au regard des décisions prises par la « cité sans cas ». Ce type d’angoisse bien réelle est le lit des autres irrationnelles. Alors, il faut savoir dompter ses projections d’un quotidien, déjà mal mené comme partout ailleurs, mais ici, il peut vaciller d’une minute à l’autre avec la menace permanente d’un enfermement certain dans des camps bien réels.