Tranche de vie

Parler français.

Dans les débuts de notre expatriation, j’étais occupée à améliorer mon anglais de débutante et à découvrir les sons pincés du cantonnais. J’étais persuadée que jamais je ne chercherai mes mots dans ma langue maternelle et que le « franglais » était réservé à Jean-Claude Van Damne. Je pensais que parler le français à la maison suffirait à l’acquisition de notre langue par mes fils. Alors, quand j’ai entendu mon petit dernier prononcer son premier mot en disant : « bird » j’ai cru tomber à la renverse.

Par Perrine Tavernier

Lors de la visite médicale des un an de mon cadet, son médecin hongkongais m’a demandé si mon fils prononçait quelques mots et à ma tête dépitée, il a tout de suite compris. Il parlait anglais, pas un mot de français ne sortait de sa bouche. Son médecin m’a alors partagé son expérience personnelle et il m’a rappelé que le français, tout comme le cantonais, sont des langues difficiles à apprendre. 

A côté, l’anglais est un bonbon à avaler. Pour aider à son apprentissage, il fallait rendre ludique le français. Notre langue, si difficile à acquérir, a été façonnée par des siècles d’auteurs. Alors, pour la remettre à l’honneur dans le quotidien de mes fils, j’ai choisi la lecture et la musique. 

Enfant, j’ai été élevée par deux êtres que tout oppose. Mon père est un fou de musique et à l’évidence un poil bipolaire. Il est capable de passer en un quart de seconde de la musique classique à du rock’n‘roll, avec son indétrônable Johnny Hallyday. C’est lui qui m’a transmis l’amour de la musique. Lorsque nous étions plus jeunes, il nous accompagnait à des concerts et son dos se souvient encore de la fosse du Parc des Princes…

Ma mère est à l’opposé : 3 min de musique un peu forte et on frôle l’agacement. C’est un rat de bibliothèque mais un rat branché. Toujours à l’affut des dernières technologiques, elle aurait pédalé s’il avait fallu pour nous connecter à Club Internet en 1995. Elle peut lire du Proust comme la pire daube sur le net. Bien loin des conservateurs proches de l’apoplexie à la moindre faute de français, ma mère ne s’est jamais offusquée d’un “ouech” et d’un mot en verlan. Être à l’écoute des nouveautés, c’est s’ouvrir à l’infini des possibilités qu’offre notre langue. 

Forte de cette éducation très classique, je me suis attelée à la tâche pour apporter la langue française à la maison. Et pour mes fils, j’ai acheté les contes de Perrault, les fables de La Fontaine, les Claude Ponti et, planqué au fond de la bibliothèque toute la collection de T’choupi. Ce manchot anthropomorphe (et un peu simplet) m’a bien épaulé : un sujet, un verbe, un complément. Côté syntaxe, il est difficile de faire plus simple. Quand mon petit garçon a brandi l’exemplaire de « T’choupi déménage » en me disant « T’choupi carton » j’ai considéré que l’apprentissage du français était en marche. Lorsque je propose à mes garçons de choisir les livres pour l’histoire du soir, j’ai beau faire la technique du supermarché i.e. mettre à hauteur de leurs yeux les classiques de la littérature française, je les retrouve à plat ventre au pied de la bibliothèque pour me sortir un T’choupi. Quand je pense que Paul Éluard est proposé dans la sélection d’ouvrages pour entrer dans une première culture littéraire à l’école maternelle en France*, je peux vous dire que chez nous, ce n’est pas gagné…

C’est au travers de la musique que j’ai réussi à distiller le plus facilement la langue française à la maison. Mon mari et moi sommes sensibles à la musique électro, la French touch. C’est très sympa mais il y a un hic. « Harder, better, faster, stronger » il ne se passe pas grand-chose niveau paroles et surtout rien en français.

Ouvrir le répertoire de la variet’ c’était replonger dans ces  interminables trajets en voiture où mes grandes sœurs passaient du Hélène Segara : « y’a trop de gens qui t’aaaaAAAAAAAAIIIIIIIIIIIIMMMMmmmeeeent » un supplice. Ne pouvant compter sur l’ouverture musicale de mon cher et tendre, j’ai donc exploré seule ce répertoire méconnu. J’ai découvert de supers artistes qui, au travers de leur mélodie, promeuvent la langue française et c’est poétique : Clara Luciani, Juliette Armanet, Brigitte, Vianney, Julien Doré… J’ai cru que mon mari allait faire un malaise en découvrant que j’avais téléchargé Maître Gims. Force est de constater que notre petit dernier prononce parfaitement bien le mot « Caméléon ».

Et évidemment, je n’ai pas oublié les pionniers. Oui, papa, les murs de Hong-Kong ont tremblé au son de Johnny Hallyday ! 

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* Liste des ouvrages « La littérature à l’école » disponible sur eduscol.education.fr, Paul Eluard, Grain-d ’Aile

 

Ma playlist

Artiste : Johnny Hallyday

Titre : Gabrielle

Album : Derrière l’amour

 

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