Joindre l’inutile au désagréable
En vain, en pure perte, battre l’eau, brasser de l’air, mettre un pansement sur une jambe de bois (alors qu’un cautère sur une jambe de bois peut potentiellement servir à faire du feu), pisser dans un violon, mener les moules pisser (dans un violon ou ailleurs ?), peigner la girafe…
Par Stéphanie Delacroix
Avant de rentrer dans le vif du sujet : « inutile » de cette chronique, je vous autorise à faire fi des deux points et des deux guillemets si d’aventure vous les trouviez inutiles et donc à en cesser derechef la lecture puisque « inutile » deviendrait alors l’adjectif de « sujet » qui dans cette phrase est complément d’objet direct, mais je m’égare en terrain grammatical et glissant.
Qui diantre a bien pu avoir l’idée de pisser dans un violon ou même de l’expression « pisser dans un violon » ? Ce serait en fait la déformation humoristique de l’expression siffler ou souffler dans un violon, ce qui, contrairement à souffler dans une trompette ou un cor, ne sert effectivement à rien. L’incongruité de la chose a probablement grandement contribué à son succès sémantique.
Peigner la girafe, est à la fois une expression moins incongrue et moins inutile que de pisser dans un violon. Son origine est disputée puisqu’il pourrait s’agir : D’une référence à une des tâches les moins utiles incombant au soigneur de Zarafa (la girafe capturée bébé au Soudan en 1925 offerte par Méhémet Ali à Charles X en 1826, et qui vécut 18 longues années de captivité dans la ménagerie du Jardin des plantes à Paris, et que vous pouvez voir empaillée au museum d’histoire naturelle de la Rochelle). A ce sujet, est-ce utile de vous demander de vous interroger 5 minutes sur la raison qui pousse les humains à considérer que les
animaux sont des choses ?
D’une référence à une coiffure en vogue à la même époque, coiffure inspirée par l’infortuné.e mammifère ongulé.e artiodactyle ruminant qui j’espère tirait un peu de réconfort de ce contact quotidien rassurant avec une personne bien intentionnée à son égard. Coiffure inutilement compliquée pour les femelles homo sapiens…
D’une analogie entre la longueur du coup des girafes et celle des phallus des mâles humains fanfarons, dans la même veine (!) que se “polir la colonne” ou “s’astiquer le jonc”. Outre-manche, Outre-Atlantique et Outre-mer on juge qu’il est inutile de siffler dans le vent / whistle in the wind, (alors que c’est bien pratique pour s’entraîner sans être entendu), de fouetter un cheval mort / flog a dead horse et d’apporter du charbon à Newcastle / carry coal to Newcastle.
Les Japonais parlent quant à eux d’apporter des glaçons au pôle Sud 南極に氷をもっていくような (Nankyoku ni kōri o motte iku yōna) …pourvu que cela reste inutile le plus longtemps possible ! Un fil mouillé étant difficile à utiliser mais séchant très vite, la version indonésienne (probablement née des traditions des tissages ikat, songket etc.) de l’illustration d’un acte inutile est le redressage de fil mouillé (meluruskan Benang basah).
Ressasser les erreurs du passé est aussi une action inutile…en plus, c’est validé par un adage chinois : « Rien n’abrège la vie comme les pas perdus, les paroles oiseuses, et les pensées inutiles ».
Ressasser ne sert effectivement à rien d’autre que de se pourrir la vie sauf si ça sert pour apprendre ou changer quelque chose. A l’image de mes deux oublis du mois derniers ! Où donc avais-je la tête lorsque j’omettais de vous dire qu’il s’agissait de tourner sa langue dans sa propre bouche, sinon ça s’appelle une galoche, un patin, un palot, une pelle, une pelloche, un patin, une gamelle. Et encore en omettant d’écrire que « incompétent » ne signifie pas forcément abruti souffrant de flatulences intempestives. Voilà deux erreurs corrigées !
Si vous êtes fâchés d’avoir passé quelques minutes à lire ma chronique de décembre, je vous informe que rester en colère (non plus ça) ne sert à rien non plus ! Bouddha aurait dit que « c’est comme saisir un charbon ardent avec l’intention de le jeter sur quelqu’un ; c’est vous qui vous brûlez », et pour me faire pardonner je vous conseille d’acquérir, pour vous ou pour offrir, l’indispensable « Dictionnaire amoureux de l’inutile » de François et Valentin Morel aux éditions Plon.
Par association d’idées décembre à offrir à cadeau à Noël à enfants et non pas : violon à girafe à charbon à glaçons à pôle Sud à pôle Nord à père Noël à enfants, voilà deux citations fort utiles, l’une de Jean Giono : « La jeunesse, c’est la passion pour l’inutile », et une de Georges Duhamel : « Ce qu’il y a de plus utile pour former de jeunes esprits, ce sont les choses inutiles. ».