Jacques Godfrain : “ Pour être un grand politique il faut avoir l’immense désintérêt qu’avait le général de Gaulle »
47 ans après la mort du général de Gaulle le 9 novembre 1970, la fondation Charles de Gaulle continue d’entretenir la mémoire de l’homme de l’Appel du 18 juin avec, pour missions, d’entreprendre et faciliter toute recherche historique, de rassembler les documents et objets gaulliens mais aussi de faire connaître l’œuvre et l’action du général de Gaulle au grand public, en France et à l’étranger. Elle entretient des relations privilégiées et régulières avec la Chine. Dans ce cadre, Jacques Godfrain, ancien ministre et président de la fondation s’est rendu en juin dernier à Pékin et Shanghai accompagné d’une délégation.
Propos recueillis par Philippe Dova
Trait d’Union : Quelle est l’origine des relations privilégiées entre la fondation Charles de Gaulle et la Chine ?
Jacques Godfrain : La décision du général de Gaulle de reconnaître le gouvernement de la République populaire de Chine comme l’interlocuteur légitime de ce pays et en conséquence d’ouvrir avec lui des relations diplomatiques le 27 janvier 1964 lui vaut, encore aujourd’hui, de jouir d’un prestige inégalé auprès des Chinois qu’ils soient ou non des représentants officiels du régime. La fondation qui incarne cet héritage en bénéficie et est devenue un interlocuteur privilégié des autorités chinoises pour la célébration de ce que l’amitié sino-française doit au général de Gaulle, à Mao Tsé-toung et à Chou En-Lai, en particulier depuis le début des années 2000. L’intérêt que portent ses partenaires chinois à la fondation revêt un caractère d’exception qu’il importe de conforter et développer afin de la placer au service direct de la relation France-Chine. C’est dans ce cadre que nous rencontrons régulièrement nos interlocuteurs pour construire ensemble des projets universitaires, économiques, culturels comme l’exposition « Charles de Gaulle, l’homme des tempêtes » en 2004/2005 à Pékin, Shanghai, Wuhan et Chengdu ou les événements organisés en 2014 à Pékin et Shanghai.
Que s’est-il passé depuis ces événements ?
Comme son prédécesseur Hu Jintao, le président Xi Jinping a souhaité lors de son voyage officiel en mars 2014 à Paris, venir se recueillir dans le bureau du général de Gaulle et lui rendre hommage. C’est un geste d’une grande importance et une véritable marque d’affection pour le général. Nous sommes là pour l’entretenir.
Comment ?
Par des programmes d’échanges universitaires, d’échanges croisés que nous développons depuis 2007 avec l’Institut des Affaires étrangères du peuple chinois (CPIFA) et allons amplifier à l’issue des différentes réunions que nous venons d’avoir.
Nos interlocuteurs chinois souhaitent également mieux nous connaître à travers nos métiers d’art. Les régions de France abritent des artisans de très grande qualité (denteliers à Calais et au Puy, gantiers à Millau…) et nous pourrions les mettre en relation avec nos amis chinois.
Est-ce le rôle de la fondation ?
Nos interlocuteurs chinois connaissent le grand sérieux de notre fondation, son important réseau de relations avec les élus français et les entreprises françaises. S’il y a des opportunités pour ces dernières, grandes ou petites, d’approcher le marché chinois, c’est notre rôle de faciliter ces démarches.
Quels sont les autres centres d’intérêts de vos interlocuteurs ?
Nous avons ressenti l’intérêt des Chinois à venir visiter en France les lieux où le général de Gaulle avait vécu. Pour eux, le tourisme en France ne se limite pas au Moulin rouge et Versailles. Il y a des lieux mythiques, Colombey-les-Deux-Eglises en fait partie car ils n’oublient pas que l’homme qui a donné une envergure mondiale à leur pays y a vécu. Nous allons donc faciliter l’organisation de visites sur mesure des lieux où le général de Gaulle a vécu dans la lignée du livre « Dans les pas de Charles de Gaulle – Lille Paris Colombey » que nous venons d’éditer chez Artélia.
Quelle est l’originalité de ce livre ?
La fondation est à l’origine des lieux gaulliens emblématiques. Le premier grand projet a été la construction de la croix de Lorraine à Colombey-les-Deux-Eglises en 1972. Aujourd’hui nous comptons environ 80.000 visiteurs par an à Colombey. Il y a eu ensuite l’achat et la remise en état de la maison natale du général de Gaulle à Lille, la construction du mémorial à Colombey et celle de l’Historiale aux Invalides.
Ce livre est destiné à susciter l’intérêt du public, nous n’avons pas voulu faire un guide touristique ou un énième recueil historique. Des grands écrivains de renom comme Denis Tillinac, Alexandre Jardin, Régis Debray ou Hua Wang (ami chinois âgé aujourd’hui de 80 ans qui en 1964 faisait partie de l’équipe envoyée en France pour installer la nouvelle ambassade de la République populaire de Chine) amis de ces lieux ont chacun écrit ce qu’ils ressentaient lorsqu’ils les visitaient. C’est une approche plutôt littéraire dont nous sommes très heureux.
Ce n’est pas un hasard si deux présidents chinois ont souhaité visiter le bureau du général de Gaulle rue de Solférino à Paris. C’est très important de situer l’individu dans un lieu. Chateaubriand sans le château de Combloux en Bretagne ne serait pas Chateaubriand. De Gaulle ne serait pas de Gaulle sans les immenses forêts autour de Colombey-les-Deux-Eglises et l’immense perspective du panorama qu’il admirait depuis sa fenêtre. A travers une sorte de parcours touristique historique, ce livre explique toute la modernité du général de Gaulle et que ce n’est pas un retour à l’histoire de visiter le mémorial mais un ancrage dans la modernité d’aujourd’hui que l’on vient chercher.
Le général de Gaulle est-il plus connu par les jeunes Chinois que par les jeunes Français aujourd’hui ?
Les jeunes Français savent bien qu’il y a de Gaulle. Il y a des cours d’histoire et des lycées, des avenues, des places, un aéroport portent son nom ! Pour eux, de Gaulle c’est bien évidemment la libération de la France, les institutions de la cinquième république et, puisqu’ils les utilisent quotidiennement, des technologies qui n’auraient certainement pas existé sans l’action du général de Gaulle. Le 3 juin dernier, nous avons soutenu et inauguré à Pékin l’exposition « Charles de Gaulle et la Chine » réalisée par les élèves de deux classes de troisième du lycée Charles de Gaulle. Les élèves s’étant particulièrement investis dans ce projet, je leur ai remis le prix de la fondation Charles de Gaulle, un prix créé en 2016 pour récompenser les meilleures actions pédagogiques.
Les jeunes Chinois savent que la Chine est sortie de son désenclavement par une reconnaissance qui tout d’un coup les a mis sur le devant de la scène internationale. Ils savent très bien qu’ils doivent cette ouverture sur le monde à leurs dirigeants mais aussi au général de Gaulle.
Lors de la récente élection présidentielle française, la quasi totalité des candidats se revendiquait gaulliste. Cela vous a-t-il surpris ?
Pour certains oui car nous savons qu’ils étaient de fervents opposants mais en fait cela illustre les propos du général de Gaulle lorsqu’il disait « tout homme a été, est ou sera gaulliste » et Malraux ajoutait : « le gaullisme, c’est comme le métro, on y rencontre tout le monde ». Je trouve assez admirable qu’après des années de combats contre le général, d’aucuns reconnaissent qu’il représentait parfaitement la France !
De Gaulle, ce n’est pas du passé ?
Dans vingt ans je pense que nous aurons toujours la nostalgie de de Gaulle. Pas une nostalgie négative : nous aurons un modèle et ceux qui ambitionneront d’avoir un rôle dans la direction de la France dans dix ou vingt ans devront toujours avoir en tête que l’intérêt national demande un désintérêt pour soi-même. C’est un modèle, c’est une leçon. Pour être un grand politique il faut avoir l’immense désintérêt qu’avait le général.