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Dossier : Défense nationale et coopération internationale – Le Porte-avions Charles de Gaulle à Singapour

Parti de Toulon le 5 mars dernier dans le cadre de la Mission Clémenceau, le fleuron de la Marine Nationale française, en escale au port naval de Changi, a ouvert son pont aux civils du 28 mai au 3 juin dernier.

Par Fabienne Caparros (notre correspondante à Singapour)

Pour les quelques 750 heureux Français de Singapour qui s’étaient inscrits à temps sur le site de l’Ambassade, c’était la chance de leur vie : monter à bord du porte-avions Charles de Gaulle et découvrir par eux-mêmes ce qui, pour le commun des civils, demeure inaccessible. Le rendez-vous avait été donné au Pass Office de la base navale de Changi où un bus autorisé à entrer dans la zone interdite les attendait. Sécurité et rayons obligent, le passage se fait au compte-gouttes et l’accès au quai en bus. Débarqués aux pieds de cet incroyable bâtiment de la Marine nationale, les visiteurs prennent alors la mesure de l’honneur que leur fait aujourd’hui la France. C’est d’ailleurs en ces termes que Marc Abensour, Ambassadeur de France à Singapour, s’est exprimé le 29 mai lors de la conférence de presse. « C’est un honneur pour la France d’offrir à nos concitoyens la possibilité de visiter, ici à Singapour, le Charles de Gaulle. Ce porte-avions, dont le dernier passage dans cette région date de 2002, est aussi le leur. Il sillonne les mers pour assurer leur défense, les intérêts de la France et le maintien de la paix dans le monde. » Et de rappeler à cet effet que la France, dans la zone Asie-Pacifique, est la troisième communauté étrangère.

De gauche à droite, Olivier Lebas, Commandant du porte-avions ; Marc Abensour, Ambassadeur de France à Singapour et  Marc-Antoine Lefebvre de Saint Germain, capitaine du vaisseau.

 

2.000 visiteurs en six jours

Outre ces 750 Français de Singapour, 2.000 personnes sont montées à bord du Charles de Gaulle lors de ces journées d’exception. Le personnel de l’Ambassade, les représentants des entreprises françaises établies dans la Cité-Etat, mais aussi des Singapouriens, ministres, chercheurs, industriels, étudiants, et quelques 150 élèves du Lycée Français de Singapour (LFS), ont pu visiter l’intérieur du vaisseau. Au programme de la visite guidée : les coursives du porte-avions, son poste de commande, et puis bien sûr son pont avec ses vingt rafales, ses deux avions de guet Hawkeye, ses deux hélicoptères Dauphin et son Caïman marine.

L’occasion était aussi de rencontrer l’équipage, d’échanger et de comprendre peut-être un peu mieux le quotidien de ces 1.900 hommes et femmes engagés pour la France et embarqués durant de longs mois à bord de cet incroyable vaisseau naval.

Sur le pont du porte-avions Charles de Gaulle, les rafales peuvent catapulter toutes les 30 secondes.

 

Pour la petite histoire

Ainsi apprend-on dans la confidence comment les pilotes ont nommé les brins d’arrêt disposés sur la piste qu’ils doivent accrocher avec la crosse lorsqu’ils appontent. Ils sont au nombre de trois. Le premier, il en va de soi, porte le nom de la Déesse de la Guerre, Athéna. Le deuxième, le plus prisé, s’est vu attribuer celui d’Aphrodite, parce que tout être humain, marins et pilotes compris, aspire à l’amour. Enfin le dernier répond à celui d’Andromède, en référence à la constellation, car qui loupe le troisième et dernier brin doit remettre les gaz et s’envoler de nouveau vers les cieux pour refaire son approche.

En signe d’une coopération étroite entre les deux pays, drapeau singapourien et drapeau français flottaient côte à côte.

 

150 élèves du LFS sur le pont

Pour l’occasion, ils portaient eux-aussi un uniforme, celui du lycée Français de Singapour (LFS). Point de mention « Marine Nationale » accolée au dos de leur polo, mais des initiales – LFS – portées sur la poitrine, côté cœur. Fiers ils étaient d’être Français aujourd’hui, et de pouvoir monter à bord du plus gros porte-avions nucléaire jamais construit par la France.

En file indienne, aussi disciplinés qu’impressionnés, ils se sont frayés un chemin sur la passerelle les transportant du quai de la Base Navale de Changi vers le vaisseau mythique de la Marine Nationale française. Autour d’eux marins et officiers œuvraient à leurs fonctions rendant leur présence parmi eux aussi solennelles qu’irréelles.

 

Une Journée Défense et Citoyenneté d’exception

Et pourtant, pour ces quelques 150 élèves de Premières et Terminales du Lycée Français, la visite de ce mardi 28 mai 2019 était bien « officielle ». Elle s’inscrivait dans le cadre de la Journée Défense et Citoyenneté (JDC) à laquelle tout Français, entre 16 et 25 ans, est astreint. Ce rendez-vous civil permet aux jeunes Françaises et Français de s’informer, non seulement, sur leurs droits et devoirs en tant que citoyen, mais aussi sur le fonctionnement des institutions. Ainsi à bord du porte-avions Charles de Gaulle, avec pour guide et maître de conférence Jean-Réné Degans, le capitaine du vaisseau, jamais le fonctionnement de la Marine Nationale, de l’Armée et de la Défense n’aura été aussi concret pour ces jeunes citoyens français de Singapour.

Rappeler à la jeune génération que la paix est fragile, que la liberté se défend à chacun instant, et que nos vies en dépendent, tel était le message délivré en ce jour. Sans oublier bien sûr les valeurs de la France – liberté, égalité, fraternité – fièrement développées par le capitaine !

Plus tard sur le pont, la main posée sur un Rafale, les yeux levés sur le drapeau français et la Croix de Lorraine, les souvenirs de cette incroyable journée citoyenne s’immortalisaient en pixels. Les visages étaient radieux. En fond d’écran, majestueux, apparaissait le Charles de Gaulle. Le ciel de Singapour était parfaitement bleu et la France rayonnait.

 

Le porte-avions Charles de Gaulle en quelques chiffres

Premier et unique porte-avions à propulsion nucléaire construit en Europe occidentale, le Charles de Gaulle n’opère jamais seul. Lors de ses missions, il est escorté de trois autres navires de guerre, un destroyer et deux frégates, ainsi qu’un sous-marin et un navire de ravitaillement. Le groupe aéronaval ainsi composé compte 1.900 membres de l’équipage dont 15% de femmes et 1.200 sur le porte-avions lui-même.

Ce dernier pèse 42.500 tonnes, soit quatre fois le poids de la Tour Eiffel. Quant à son pont de 75 mètres de long, il peut supporter une charge de 15 à 25 tonnes, en fonction du nombre d’avions à son bord. Car le Charles de Gaulle c’est surtout une force de frappe aérienne composée de vingt Rafales, de deux E-2C Hawkeye, d’un Caïman et de deux hélicoptères Dauphin.

 

De Toulon à Singapour, la Mission Clémenceau

Le groupe aéronaval ainsi constitué autour du porte-avions Charles de Gaulle a appareillé de la base navale de Toulon le 5 mars dernier pour relier Singapour trois mois plus tard. Ce déploiement opérationnel dans les zones d’intérêt stratégique (Méditerranée, Mer Rouge et Océan indien) s’inscrit dans le cadre de la Mission Clémenceau. Celle-ci permettra à la France d’assoir sa position politico-militaire dans la région Indo Pacifique et de renforcer ses partenariats stratégiques avec ses alliés.

Baptisée d’après le grand architecte de la victoire de la Première Guerre Mondiale, Georges Clémenceau, cette mission a double résonnance à Singapour. Elle célèbre à la fois la puissance militaire de France dans le monde et les liens forts qui unissent, politiquement et militairement, les deux pays. Déjà en 1920, rappelle son Excellence M. Marc Abensour, Ambassadeur de France à Singapour, la visite de Georges Clémenceau dans la Cité Etat officialisait la volonté de coopération entre les deux pays. De ce pacte scellé au siècle dernier, il en reste notamment l’avenue Georges Clémenceau, la plus longue artère de Singapour !

A l’arrière du vaisseau, on aperçoit le drapeau avec La Croix de Lorraine, le symbole de l’Armée Française (Terre, Air, Marine) et qui flotte sur tous les navires de la Marine nationale.

 

Des relations franco-singapouriennes renforcées

En 2017, c’est François Hollande, alors Président de la République, qui réaffirmait sur le sol singapourien cette volonté de coopération dans le cadre du Forum Innovation France-Singapour. Organisé conjointement par les services de l’Ambassade de France à Singapour et A*Star, l’agence chargée de piloter la Recherche à Singapour, l’événement avait rassemblé près de 500 représentants d’entreprises, universitaires et personnalités institutionnelles, français comme singapouriens, dans le but d’une collaboration bilatérale dans la recherche et l’innovation. Par ailleurs, le Président François Hollande et le vice-Premier Ministre Tharman Shanmugaratnam s’étaient aussi entendus sur la nécessité d’une ouverture commerciale et d’un libre-échange entre les deux pays afin de renforcer leur prospérité économique respective.

Autre moment fort d’une coopération militaire avérée. En juillet 2018, le Premier Ministre singapourien, Lee Hsien Loong, est reçu par le Président Emmanuel Macron en tant qu’invité d’honneur dans le cadre des festivités du 14 Juillet. C’est d’ailleurs le drapeau singapourien qui ouvrira la parade militaire sur les Champs-Elysées.

 

Dialogue constant entre les deux ministères de la Défense

C’est donc dans ce contexte de coopération politico-militaire que l’escale singapourienne du porte-avions Charles de Gaulle s’inscrit. Outre le fait que la France soit le seul pays européen à possédé, grâce aux îles de La Réunion et Mayotte, des bases militaires permanentes dans l’Océan Indien, la présence du Charles de Gaulle dans cette région du globe était placée sous le signe de la coopération internationale.

« La Mission Clémenceau est avant tout un partenariat entre la France et Singapour », a rappelé Marc Abensour, Ambassadeur de France à Singapour. « Un pilierde défense stratégique entre nos deux pays, a-t-il rajouté. Depuis vingt ans, poursuit-il, la Singapore Air Force s’entraine avec l’Armée Française. En 2017, cinq bateaux de la Marine française naviguaient dans les eaux singapouriennes, puis trois en 2018. Depuis dix ans nous partageons informations et données informatiques. Depuis vingt ans, nos deux pays sont mutuellement engagés dans le processus de sécurité et de maintien la paix dans la région. Et ensemble, ils coopèrent dans le domaine de la recherche et d’innovation. »

Ainsi, lors de l’escale du Charles de Gaulle dans la base navale de Changi, des militaires singapouriens, mais aussi des chercheurs, politiques et ministres, sont montés à bord du porte-avions pour s’enrichir des nouvelles technologies dont est équipé le Charles de Gaulle. Et le Capitaine Marc-Antoine Lefebvre de Saint Germain de rappeler qu’« il aussi très important pour l’équipage du Charles de Gaulle de rencontrer et donc de mieux comprendre les populations que le porte-avions croise, en l’occurrence ici, les Singapouriens. »

 

Coopération internationale et rayonnement de la France

Outre les exercices et les échanges avec l’Armée singapourienne, la Mission Clémenceau s’inscrivait dans un partenariat politico-militaire plus large, englobant les alliés de la France dans la région Indo Pacifique. Ainsi les armées de plusieurs pays, dont l’Egypte, l’Inde, la Malaisie, l’Australie et, pour la première fois, le Japon, ont pu s’entrainer et échanger avec la Marine nationale, faisant par-delà rayonner la France.

 


Conférence internationale sur la sécurité et la défense dans la zone Indo Pacifique

Shangri-La Dialogue : La Ministre française des Armées y représentait la France

Du 31 mai au 2 juin 2019, s’est tenue à Singapour la 18eédition du Shangri-La Dialogue, une conférence internationale organisée chaque année depuis 2002 par l’International Institute for Strategic Studies (IISS). Elle doit son nom à l’hôtel (Le Shangri-La) qui l’accueille et a pour thème la défense et la sécurité dans la zone Indo Pacifique.

Par Fabienne Caparros (notre correspondante à Singapour)                      

Au discours inaugural du Premier Ministre Singapourien, Lee Hsien Loong, se sont succédés les représentants des Armées de quelques 50 pays dont la France, les Etats-Unis, le Royaume Uni, l’Australie, le Vietnam, La Corée du Sud, la Malaisie, l’Inde, le Japon et la Chine pour ne citer qu’eux.

Cette année, la conférence coïncidait avec la venue à Singapour du Charles de Gaulle donnant à la Ministre française des Armées, Florence Parly, toute la latitude pour honorer la France de sa présence à Singapour, promouvoir la sécurité et défendre les intérêts français dans la zone Indo Pacifique.

Dans son discours du 1erjuin adressé aux hautes autorités politiques et militaires des pays de la région, Florence Parly a souligné, non sans humour, que cette année elle était venue à Singapour avec un porte-avions, vingt rafales et 1.900 membres de la Marine nationale. Plaisanterie à part, elle a rappelé la présence de l’Armée française et son implication dans le maintien de la paix dans cette partie du monde, en évoquant notamment le rôle primordial qu’a joué en 2018 le porte-avions Charles de Gaulle dans la lutte anti-terroriste en Syrie.

« L’implication de la France dans cette partie du monde est totale, explique la Ministre française des Armées, car nous faisons partie de la région, rappelle-t-elle. Nous y avons des territoires ; nous y avons plus de 1,6 millions de citoyens français, plusieurs îles avec pour chacune des statuts différents, une vaste zone économique et des responsabilités en conséquent. Le maintien de la sécurité dans cette zone nous affecte tout particulièrement. »

Durant cette conférence la France s’est engagée non seulement à protéger ses intérêts nationaux dans la région mais aussi à œuvrer au maintien de la sécurité par une présence militaire française visible et la coopération renforcée ses alliés de la région dont Singapour, l’Inde, l’Australie et la Malaisie. Enfin, Florence Parly a insisté sur la nécessité d’ouvrir et maintenir des zones internationales de navigation et de rester vigilent sur les risques de prolifération de l’arme nucléaire. Cinq points sur lesquels le Président Général de l’IISS, Dr John Chipman, est revenu pour féliciter la France de son implication dans la région.

 Quelques chiffres sur la présence française en Asie Pacifique

La France dans la zone Indo Pacifique, c’est sept territoires d’outre-mer (La Réunion, Mayotte, Wallis-et-Futuna, la Nouvelle Calédonie, les Terres australes antarctiques et françaises, la Polynésie française et l’Ile Clipperton) ; 1,6 millions de citoyens français ; plus de 200.000 Français expatriés ; et la deuxième plus grande zone économique exclusive (ZEE) du monde,après les Etats-Unis.