Culture

Dans les coulisse du Han Show

Depuis le 20 décembre, The Han Show triomphe à Wuhan. Franco Dragone, créateur metteur en scène et Anne Tournié, chorégraphe et metteuse en scène associée du spectacle se sont confiés en exclusivité à Trait d’Union à l’issue de la première.

Franco Dragone : « Dans toutes les civilisations, dans toutes les cultures, les êtres humains pleurent ou rient pour les mêmes raisons ».

Trait d’Union : Quelle est l’histoire du spectacle « The Han Show » ?

Franco Dragone : L’histoire que nous essayons de raconter est toute simple, c’est juste un petit fil conducteur. C’est l’histoire d’adolescents qui sont happés, avalés par le fameux nuage virtuel, par la machine communication, par la machine réseaux sociaux qui aujourd’hui est indispensable dans notre vie. Je ne suis pas du tout contre les nouvelles technologies. Cependant en Chine les adolescents, que nous pouvons croiser dans la rue et même lors des répétitions, dès qu’ils ont une seconde non concentrée sur quelque chose sont sur leur téléphone portable.

L’histoire toute simple : la jeune fille est happée par la machine et le jeune homme essaye de la ramener de ce côté-ci du réel, du mouvement du monde. The Han Show c’est une petite histoire d’amour que les Chinois souhaitent, qui se situe entre leur héritage culturel et le futur. La génération de la fameuse politique de l’enfant unique a créé, peut-être, cette génération d’enfants gâtés, d’enfants qui vivent la transformation de la Chine, la transformation du monde et qui sont pris entre la mémoire de la tradition culturelle, de tout ce que la Chine a inventé tout en devant inventer le futur. Inventer le futur, sans oublier
les traditions. C’est là-dessus que le spectacle s’appuie. Cette équation à résoudre sur laquelle je me suis basée pour imaginer ou inventer des images vivantes, des peintures vivantes.

Une histoire prétexte à l’expression artistique ?

C’est un prétexte à fusionner des disciplines, la danse, l’acrobatie en essayant cependant le plus possible de désintégrer les numéros de cirque. C’est ma phobie, mon souhait, je prétends qu’il est possible de raconter une histoire beaucoup plus complexe, plus sophistiquée en utilisant un langage visuel. Ce langage je l’appelle la symbolique universelle, le langage commun à tout le monde. Je pense qu’il y a eu une langue originelle, je me l’invente même si ça n’était pas vrai. Ce langage universel ce sont évidemment les archétypes. Dans toutes les civilisations, dans toutes les cultures, les êtres humains pleurent ou rient pour les mêmes raisons. Ces fondations de la symbolique universelle, ce langage universel, nous permettent de communiquer mais surtout dans un spectacle vivant que j’appelle théâtre visuel, ils nous permettent de forcer le spectateur à travailler.

C’est votre « quête » lors de chaque spectacle ?

C’est ma volonté et ma recherche depuis des années. Je veux que le spectateur ait son espace, qu’il travaille pendant le spectacle en se posant les questions sur les raisons de son émotion. Pourquoi moi Franco, lorsque je regarde un navet hollywoodien, je pleure alors que lorsque je regarde des informations dramatiques sur ce qui se passe en Syrie, en Irak ou n’importe où sur la planète je ne suis même plus ému. Il y a un rapport à la fiction et au réel qui est assez bizarre, assez interpelant.

La communication virtuelle est cependant un peu contrôlée en Chine. Derrière la belle histoire du spectacle, n’avez-vous pas glissé un message subliminal de liberté ?

J’ose dire qu’un pays qui a autant de jeunes qui vont à l’université, doit certainement s’attendre à des bouleversements. Des bouleversements certainement encadrés. Je m’interroge.

Lorsque je suis arrivé à Las Vegas je me posais la question de ce que j’allais faire là-bas dans ce désert du jeu, ce désert culturel. En y allant, nous avons peut être un peu contribué à y installer un petit ferment de réflexion. En étant présent ici en en Chine, par la pratique elle-même, par cette espèce de liberté totale que nous avons eu pour travailler sur ce spectacle, je pense que nous contribuons d’une certaine manière à faire réfléchir, à réfléchir ensemble en n’étant surtout pas des donneurs de leçons. On parle souvent de la machine hollywoodienne qui colonise la planète, je pense qu’il y a une intention très grande, très avouée de la Chine de devenir globale, d’être très forte dans ce « soft power ». C’est pour cela que les Chinois investissent dans l’industrie culturelle. Je pense qu’ils sont aussi intelligents et ils font appel à des personnes qui vont peutêtre, dans leur démarche et sans intention velléitaire aucune, faire se questionner et peut être rendre plus difficile l’encadrement s’il y a encadrement. Il y a une intelligence derrière cela que j’apprécie. Participer à ce petit moment d’histoire, c’est vrai que ça me titille et ça m’intéresse.

L’industrie culturelle est un domaine assez nouveau pour le groupe Wanda…

Derrière ce projet avec Wanda et son président, il y a aussi l’intention du gouvernement chinois d’investir dans l’industrie culturelle. Si nous réfléchissons un peu, notre spectacle fait partie de cette politique appelée le « go west », c’est-à-dire apporter de l’activité économique à l’intérieur et vers l’ouest de la Chine.

90 % des artistes sur scène sont Chinois, c’est une première pour vous. Est-ce difficile de travailler avec des artistes chinois ?

C’est un projet qui a été très, très difficile de part nos approches respectives du travail. La difficulté vient de la formation des artistes chinois. Dans notre façon de travailler, nous interpelons la personne. Nous lui demandons ce qu’elle propose, nous ne lui imposons rien, nous ne lui disons pas ce qu’elle doit faire. Si je choisis de travailler avec mes collaborateurs et mes concepteurs ce n’est pas pour leur dire ce qu’ils doivent
faire, c’est pour qu’ils me proposent. Ce qui m’intéresse c’est leur univers et la difficulté ici ça a été un peu cela. Le patrimoine chinois est tellement fort, tellement puissant, tellement lourd que d’y toucher ce n’est pas simple !

Vous vous êtes attaqué à un patrimoine artistique séculaire ?

Je suis originaire d’Italie et je sais combien il est difficile de toucher à certaines traditions du théâtre italien. En Chine c’est la même chose. Pour les artistes chinois, ces jeunes qui pendant toute leur enfance -et leurs parents pendant toute leur vie – ont travaillé dans un service public comme artistes de cirque, danseurs, travailler du jour au lendemain dans une relation de la proposition, ça a été difficile. Parfois j’ai perdu patience parce que j’étais devant des montagnes qu’il fallait déplacer. Petit à petit, ils ont compris
que dans le travail théâtral il faut proposer. Nous ne sommes pas là comme des exécutants mais le muscle le plus important c’est l’imagination.

Pour arriver à déplacer ces montagnes vous avez fait appel à un certain nombre de complices dont Anne Tournié pour la chorégraphie et la mise en scène associée.

Vous aviez besoin de vous sentir « en famille » pour affronter ce défi chinois ?

Anne et moi nous connaissions depuis dix ans, nous nous sommes très peu parlé finalement ! J’avais besoin d’avoir un socle d’amis qui pouvaient tenir le coup ! Je leur tire mon chapeau, notamment à Anne qui est ici depuis le mois d’avril et qui a traversé toutes les péripéties, toutes les difficultés. Elle a été l’exploratrice avant moi ! En fait elle m’a aussi appris à reconnaître chez les artistes chinois ce qu’il y avait de beau, ce qu’il y avait de touchant.

Quels sont vos projets pour 2015 ?

2015 va commencer très vite pour vivre un autre moment historique ! Je vais me retrouver à Paris pour la création de la nouvelle revue du Lido. Une aventure qui va certainement poser autant de difficultés mais autant de plaisir ! Je ne connais pas mais je suis autant intéressé parce que je veux apprendre et il paraît qu’en voulant apprendre on se maintient en forme ! Signer le plus grand spectacle au monde en Chine et la revue parisienne la plus célèbre au monde, c’est une belle reconnaissance pour le petit garçon d’immigrés italiens arrivés en Belgique à la fin des années cinquante…

Réalisez-vous le chemin parcouru ?

En fait je ne regarde pas souvent en arrière, c’est pour cela que je ne suis pas encore riche, du moins je ne connais pas ce que sont les habitudes des riches ! Je suis touché par les mêmes choses même je suis arrivé
à un moment où je reconnais plus facilement ce qui me touche de manière plus pertinente, je peux l’avouer et en parler. L’orgueil est mieux géré, l’humilité et la modestie aussi ! Je n’ai jamais été au rendez-vous avec l’âge que j’avais, j’étais souvent en retard ou en avance. Je travaille à un jour être à l’âge que j’aurai mais je ne sais pas encore ni quand, ni comment !