Culture

Coup de cœur litteraire

Ici Radio Bambou : roman d’apprentissage sur fond d’occupation japonaise à Hong-Kong

Par François Dremeaux

 

Le 8 décembre 1941, l’armée impériale japonaise lance une attaque massive sur la colonie britannique de Hong-Kong. Le territoire, dont Churchill disait qu’il n’avait « pas la moindre chance » d’être défendu, succombe sous les assauts nippons le 25 décembre. C’est le Black Christmas, et le début d’une longue et douloureuse période d’occupation.

Ici Radio Bambou commence précisément ce jour de Noël 1941. On découvre le jeune héros, Nicholas Holford, errant dans les rues désertes du quartier résidentiel du Peak. Il a onze ans, ses parents ont disparu. Il est recueilli par les domestiques de sa famille et, pour lui éviter l’emprisonnement dans un camp japonais, il est conduit dans un hameau des Nouveaux Territoires. De l’autre côté de la baie, une nouvelle vie l’attend. Pour ne pas être découvert, il doit devenir Chinois.

Cet enfant de colon britannique, élevé dans le luxe et choyé par son statut, participe aux corvées de la ferme, apprend le cantonais, découvre les mœurs et les croyances de Ah Kwan, Ah Tang et Ah Mee, ces personnes qui ont toujours fait partie de son entourage, sans qu’il n’ait jamais cherché à comprendre qui ils étaient vraiment. Toute la trame de ce court roman d’apprentissage repose sur la révélation de ce monde inconnu au jeune Nicholas. Dans la première partie du récit, la guerre et l’occupation japonaise ne forment qu’une toile de fond lointaine. Nicholas est isolé, il apprend. C’est seulement dans la deuxième partie que la réalité du monde extérieur le rattrape et lui permet d’éclore. L’initiation au monde chinois est alors complète.

 

A ce titre, l’auteur Martin Booth a mis beaucoup de lui-même dans cet ouvrage. L’écrivain anglais n’a pas connu cette sombre période – il est né en 1944 dans le Lancashire – mais il a grandi à Hong-Kong où il est resté jusqu’en 1964. Il a profondément aimé ce territoire, et semble avoir cherché à s’extraire du cocon occidental pour mieux comprendre cette perle d’Asie, ce confetti d’empire pareil à nul autre. Son récit autobiographique posthume, Gweilo (2004), est probablement sa plus belle déclaration d’amour à Hong-Kong. Dès 1997 néanmoins, il pose déjà, dans Ici Radio Bambou, des anecdotes et des lieux qui ont enflammé son imagination d’enfant.

Dans Gweilo, l’écrivain et scénariste prend quelques libertés. Il s’agit davantage d’un assemblage de souvenirs, parfois vécus par procuration, dont la vraisemblance est critiquable.

 

Ici Radio Bambou est un roman et, par essence, il peut s’affranchir de la vérité sans s’éloigner pour autant de la grande Histoire. Derrière son aspect initiatique somme toute classique, cet ouvrage mérite d’être lu pour le contexte historique qu’il développe : rares sont les fictions (comme les travaux académiques d’ailleurs) qui abordent le point de vue chinois de l’occupation japonaise à Hong-Kong. Et encore moins l’organisation de la résistance intérieure, ainsi que ses réseaux avec la Chine continentale. Le jeune Nicholas entre dans cet univers de manière cocasse et, non sans quelques péripéties, participe au réseau de Radio Bambou. C’est donc la deuxième partie des aventures du jeune homme, sur une période relativement courte, qui donne son titre au roman.

Ce biais permet à Martin Booth d’évoquer les véritables difficultés de la population chinoise placée sous le joug nippon entre décembre 1941 et août 1945. Il parvient également à esquisser les conditions de vie des prisonniers européens dans les camps d’internement. Toujours avec tact et sans détails morbides, il rend compte, à travers les yeux de Nicholas, d’une période peut-être encore méconnue de l’histoire de la colonie britannique, et de la Seconde Guerre mondiale plus généralement.

Sur les rapports entre colons et colonisés, car c’est aussi de cela qu’il s’agit, Martin Booth échappe aux poncifs de son temps, sans renier ses origines et son milieu. Usant du regard d’un Candide, il ne juge pas, mais il guide les observations de son jeune héros à travers les seuls adultes qu’il côtoie : des domestiques chinois qui luttent contre l’oppression japonaise. Ici, il n’est jamais question d’identité hongkongaise, notion qui apparaît d’ailleurs plus tardivement dans l’histoire du territoire. Ces hommes et ces femmes sont Chinois avant que d’être sujets britanniques, et leur désir de renouer avec la Chine continentale résonne de façon particulière dans le contexte de la sortie de ce livre, en 1997, année de la rétrocession de Hong-Kong !

 

Ici Radio Bambou est une belle lecture pour adolescents. Les codes de l’émancipation et de l’apprentissage sont présents : de la peur au doute, de l’affirmation à l’action. Au-delà, Martin Booth offre un petit roman bien ficelé et édifiant. Une occasion rare de se pencher sur la Seconde Guerre mondiale vue de Hong-Kong par des Chinois.