Evasion

Ayutthaya : Capitale royale de l’âge d’or du Siam

Deuxième capitale du Siam après Sukhothaï, la cité historique somnole langoureusement sur la rive du fleuve Chao Phraya, offrant aux visiteurs les vestiges d’un glorieux passé. Ayutthaya commerçait alors avec tout l’Orient, de l’Inde à la Chine, et au Japon, mais ses fastes attirèrent les convoitises des Portugais tout d’abord, puis celles des Français. Tant et si bien, que le Roi Soleil en personne, décida d’y envoyer une ambassade. Comme Sukhothaï, Ayutthaya est aujourd’hui classée au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Par Christian Sorand

La richesse culturelle de la Thaïlande, est peut-être dûe au fait de son exceptionnelle pérennité qu’aucune puissance étrangère n’a pu vaincre, malgré plusieurs tentatives. Ayutthaya en porte l’empreinte la plus probante, comme son histoire le révèle.

Ayutthaya est aujourd’hui une ville de taille modeste. La campagne environnante offre le paysage bucolique des grandes plaines centrales, où canaux et rizières perpétuent une tradition asiatique séculaire. En fait, la ville royale est construite sur une île artificielle, entourée par le cours de trois rivières. Il faut garder à l’esprit que, jusqu’au XIXe, aucune route n’existait dans le pays. On se déplaçait alors toujours en barque, dans un entrelacs de cours d’eau et de canaux. Même aujourd’hui, cette coutume n’a pas totalement disparu. La persistance des marchés flottants en est un héritage direct.

Une visite à Ayutthaya donne l’occasion d’explorer le passé pour mieux comprendre le présent. Les sites historiques jalonnent un grand parc, un peu à l’écart du trafic automobile. Le visiteur y trouvera un lieu propice à la flânerie pédestre, au plaisir d’une randonnée à bicyclette, et même au charme exotique d’une promenade à dos d’éléphant.

L’âge d’or du Siam

Ayutthaya supplante progressivement la prépondérance du Royaume de Sukhothaï. L’ère de Sukhothaï s’est étalée de 1220 à 1349. L’ère d’Ayutthaya a duré 417 ans, de 1350, date de sa fondation, à 1767, date de sa destruction par les Birmans.

Sa construction sur une île entourée de trois rivières lui procurait une défense naturelle tout en la protégeant des crues saisonnières. En même temps, la navigabilité du fleuve Chao Phraya lui offrait un accès direct au Golfe du Siam, tout en la protégeant des velléités coloniales de l’époque. Cette position stratégique privilégiée a donc servi à établir sa réputation commerciale et diplomatique. À l’instar de Malacca, sur la côte Occidentale de la péninsule Malaise, la capitale royale se trouvait ainsi à mi-chemin des routes maritimes, entre la péninsule Indienne et les Empires de Chine et du Japon.

La fondation d’Ayutthaya au XIVe est attribuée au Prince U Thong (1314-1369). Ce dernier fut ensuite couronné roi, sous le titre de Ramathibodi Ier (1350-1369). Ayutthaya trouve son origine dans le Ramayana où est décrite la cité d’Ayodhya, révélant la prépondérance de l’héritage hindouiste qui sera ravivé suite aux luttes contre l’Empire Khmer, et à la chute d’Angkor, provoquée par les armées d’Ayutthaya.

Les souverains du Royaume d’Ayutthaya restèrent malgré tout, les héritiers de l’esprit de Sukhothaï, inspiré par les idéologies hindouiste et bouddhiste. Le bouddhisme theravada (Petit Véhicule) restait la religion établie, mais il fut souvent influencé par le bouddhisme mahayana (Grand Véhicule) des Chinois et des Japonais, l’islam du Golfe Persique, et même le catholicisme des missionnaires portugais et français.

Le XVIIe correspond à l’apogée du Royaume d’Ayutthaya, dès lors que le Prince Naraï (1633-1688), devient roi, sous le titre de Ramathibodi III (1656-1688). Son règne sera marqué par une intense activité commerciale et diplomatique. Un aventurier Grec, Constantin Phaukhon (1647-1688), arrivé à Ayutthaya en 1675, devient le conseiller du Roi Naraï. Afin de pouvoir contrer les différends avec les Hollandais, le Roi accorde une concession à la France. C’est ainsi que le Chevalier de Beauregard (1665-1692) devient l’administrateur du port stratégique de Bangkok sur la rive gauche du Chao Phraya. Durant son règne, le Roi Naraï a envoyé plusieurs missions diplomatiques, en Chine, en Inde, en Perse, mais aussi en Angleterre, au Vatican, et surtout en France. En 1673, Monseigneur Pallu (1626-1684) présente une lettre de Louis XIV, au Roi Naraï. En 1680, une première mission Siamoise en route pour la France coule au large de Madagascar. En 1684, une deuxième mission Siamoise est enfin reçue à Versailles. L’année suivante, en 1685, Louis XIV délègue Alexandre de Chaumont (1640-1710) en tant qu’ambassadeur à la cour du Siam, accompagné de l’Abbé de Choisy (1644-1724) qui pensait pouvoir convertir le roi.

Ce sont finalement les Birmans qui mettront fin au Royaume d’Ayutthaya. Une première confrontation armée eut lieu (1759-1760), puis une deuxième (1765-1767). En avril 1767, après un siège de quatorze mois, Ayutthaya tombe aux mains des troupes birmanes qui raseront presque complètement la cité royale du Siam, mais pas son royaume.

À l’heure d’aujourd’hui, cet épisode demeure le plus dramatique de l’histoire du pays, mais il marque le début d’une nouvelle ère, qui conduira lentement le Royaume Siamois sur les chemins de la modernité.

La visite du site historique

Fort heureusement, grâce aux archives conservées, un grand nombre de monuments ont pu être restaurés, permettant ainsi de préserver la mémoire d’une époque prestigieuse.

Dans le domaine artistique, l’ère d’Ayutthaya a donné naissance à l’école d’Ayutthaya. Le prang Khmer, le chedi Cinghalais, et le toit des temples (wihan), s’élèvent pour refléter une volonté de puissance. Le décor devient plus chargé. La statuaire se fait plus colossale, tout en devenant plus rigide.

Le site historique d’Ayutthaya comprend deux aires distinctes ayant fait l’objet de plusieurs restaurations.

Sur l’île royale tout d’abord, un certain nombre de monuments méritent la visite. Wat Mahatat (1374) était le centre spirituel sacré. C’est ici qu’une tête de Bouddha retenue dans les racines d’un banian est devenue l’emblème d’Ayutthaya. Wat Ratchaburana (1424) conserve un prang érigé sur une plate-forme encadrée de chedi décorés de garuda (oiseau hindou mythique). Si l’ancien palais royal (Wang Luang) est en ruine, les trois chedi de la chapelle royale (Wat Phra Si Sanphet, 1448) s’élèvent toujours à proximité. L’imposant Wihan Phra Mongkhon Bophit (1448-1601) abrite un monumental Bouddha assis, de 17m de hauteur, attirant encore une foule de fidèles. Restauré en 1955, il accrochés au recouvert de feuilles d’or en 1990, sous les auspices de SM la reine Sirikit. On peut également visiter une maison traditionnelle grandeur nature exposée au centre d’études historiques. Le Musée National Chao Sam Phraya offre, quant à lui, un panorama de l’histoire de l’art Siamois.

Lorsque l’on quitte l’île, on peut également se rendre sur le site de l’ancien village Portugais, le long du Chao Phraya. C’est ici que, dès 1511, les premiers commerçants Portugais se sont établis. La nouvelle Cathédrale St-Joseph a été reconstruite au XIXe sur l’ancien édifice en bois, édifié par le Français Lambert de La Motte au XVIIe. L’un des plus beaux sites est vraisemblablement Wat Chai Wathanaram. Construit en 1630 par le Roi Prasat Thong (1600-1656), pour commémorer la victoire Siamoise sur les Khmers, ce monastère royal a été inspiré par Angkor Wat. Le prang central a une hauteur de 35m. Le projet de restauration a été achevé en 1992. Cet ensemble demeure l’une des plus belles inspirations de l’architecture Khmère. Également à l’Est de l’enceinte royale, à environ 4km, se trouve un autre site méritant un détour. Il s’agit du Wat Yai Chai Mongkhon, un monastère d’inspiration Cinghalaise, construit en 1357 par le premier souverain d’Ayutthaya, U Thong. Le monastère possède un Bouddha couché de 7m de long, et un imposant chedi de 60m de haut, édifié en 1592 par le Roi Naresuan (1555-1605), pour célébrer la victoire d’une bataille contre les troupes Birmanes.

En l’espace de quatre siècles, la prospérité et le rayonnement du Royaume d’Ayutthaya ont été marqués par de nombreux conflits: les Khmers à l’Est, les Birmans à l’Ouest. Pourtant, l’esprit d’indépendance et la fierté nationale n’ont jamais fléchi, même après la destruction d’Ayutthaya par l’armée Birmane. Une autre caractéristique du peuple Thaï apparaît ici: sa résilience et une volonté inébranlable de résistance. Cette période montre également le début de l’ouverture du Siam sur le monde Occidental, sans perdre son identité intrinsèque. Ces deux traits perdurent encore aujourd’hui.

L’ère suivante viendra confirmer ces tendances nationales.

A 80km au nord de Bangkok, Ayutthaya offre l’aspect d’une ville plutôt modeste avec une population de 82 000 habitants (en 2016). Autour des années 1600, sa population était estimée à 300 000h et passa même à 1M dans les années 1700, au sommet de sa gloire. Si le site historique d’Ayutthaya, classé par l’UNESCO en 1981, attire de nombreux touristes, la région est devenue une zone industrielle de première importance, en fonction de sa proximité des installations portuaires et aéroportuaires de Bangkok. Les Japonais ont beaucoup investi dans cette zone, devenue un maillon incontournable de l’économie thaïlandaise.

L’ère de Sukhothaï correspond à la naissance du Siam et de son identité culturelle. Celle d’Ayutthaya révèle une longue période de maturité, marquée par son classicisme, et une volonté de reconnaissance universelle, qui engendrera l’ère du modernisme, après une transition douloureuse, comme les volets suivants le révèleront.

Bibliographie:

Ayutthaya, by Chaiwat Worachetwarawat (local booklet)

Thaïlande, Le Guide Vert Michelin, 2016,

Boulogne Billancourt, ISBN : 978-2-06-720790-5

Liens:

• Historic city of Ayutthaya (UNESCO) : http://whc.unesco.org/en/list/576

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