Alma Brami : “Je suis venue à Hong-Kong par amitié et j’y suis restée par amour”
Révélation littéraire en 2008 avec son premier roman, « Sans elle », Alma Brami a depuis publié sept romans et un album pour enfants. Aujourd’hui mariée et mère de trois enfants (une petite fille de 2 ans et demi et des jumeaux de 15 mois), la romancière française a publié, l’été dernier, son septième roman « Qui ne dit mot consent ». Editée et traduite en 2011 en Chine pour ses trois premiers romans, Alma Brami nous entraîne dans ce dernier ouvrage vers la véritable descente aux enfers d’une femme refusant de voir la cruauté de son mari. Rencontre avec une jeune écrivaine qui a élu domicile à Hong-Kong il y a trois ans.
Par Catya Martin
Trait d’Union : Sept romans et un album jeunesse. Pourquoi ce livre pour enfants ?
Alma Brami : En fait, il y quelques années, je gardais trois enfants à qui je racontais des histoires tous les soirs à partir d’un lieu et d’un personnage qu’ils trouvaient. Chaque année j’apportais un de mes romans à leurs parents et ils étaient tristes de ne rien avoir. J’ai donc décidé d’écrire un livre pour enfants que je leur ai dédié. C’est une promesse tenue.
Même dans ce livre pour enfant vous restez dans vos thèmes.
Oui, absolument. J’aborde, dans mes romans, la solitude, le malaise que l’on peut ressentir ou encore la recherche de soi. Dans ce livre, il s’agit d’une petite fille qui vit difficilement le rapport à son image, elle a l’impression que personne ne la regarde, que les petits garçons sont amoureux de sa copine. Sans être jalouse, elle ne comprend pas et va commencer à décrypter tout ce qui ne va pas chez elle.
Finalement, les livres que j’ai pu écrire, notamment « Lolo », mon cinquième roman, traitent exactement de ça, du complexe des femmes.
Dans mon dernier roman, « Qui ne dit mot consent », il y a cette scène où l’héroïne, Emilie, se regarde dans un miroir et se demande ce qu’elle a de moins que les autres. Elle se rend compte qu’elle a vieilli. Tout le monde se pose des questions mais je pense que les femmes sont plus concernées. Le poids de l’image pour une femme est très fort dans notre société.
Vous publiez un livre par an, est-ce volontaire ?
Non, ce n’est pas voulu et ce n’est en rien une demande de mon éditeur. J’ai énormément écris. La première fois que j’ai été publiée j’avais 23 ans et j’avais beaucoup écrit avant, j’ai pris cette habitude d’écrire beaucoup.
Je réussis à me régénérer assez vite entre deux romans pour pouvoir m’y remettre.
Je ne me force pas.
2008, « Sans elle », le succès arrive avec la révélation littéraire et votre premier roman publié, comment réagissez-vous ?
Très simplement… Quand mon livre a été publié, je sortais d’un très grave accident de voiture et en fait, j’étais surtout très heureuse d’être en vie.
Finalement le succès était là, j’étais contente de ce succès, que l’on me lise, mais j’étais surtout heureuse d’être en vie. Ce qui pouvait m’arriver de bien c’était parfait mais je n’attendais rien.
Pour votre livre « Qui ne dit mot consent », comment vous est venue cette histoire ?
Cette idée que dans un couple une personne puisse vous demander de vous abandonner totalement est réelle. On s’aperçoit alors de tout ce que l’on peut faire juste par amour. C’est d’ailleurs souvent à la fin d’une histoire d’amour que l’on a suffisamment de recul pour voir tout ce que l’on a accepté, d’inacceptable pour un être normal, uniquement par aveuglement amoureux.
C’est cette idée là, pourquoi accepte-t-on ça ? Pourquoi trouve-t-on cela tout à fait normal à ce moment-là ? Peut-être parce que l’on est sûr de l’amour de l’autre et que l’on se dit que s’il nous impose ça c’est par amour. J’ai toujours été intriguée par les faits divers. Je me suis toujours demandé comment ces personnes en étaient arrivées là. Où sont les torts etc..
Je décortique la vie, les gens qui m’entourent même si mes romans ne sont que des fictions. Je me suis toujours posée la même question, comment devient-on ce que l’on est ?
Cette histoire de couple est une sorte de piège. D’après vous jusqu’où peut-on aller par amour ? Dans votre livre c’est sans limite, la limite est imposée par l’extérieur ?
La limite est souvent imposée par l’extérieur. Regardez le nombre de femmes qui meurent sous les coups de leurs conjoints, en étant sûres que ces derniers les aiment, sont gentils, fragiles ou encore malades. Elles pensent les aider mais les vrais malades qui devraient être secourues sont ces femmes. Il ne s’agit plus d’amour.
Dans votre livre on est face à un mari qui semble d’un côté aimer sa femme, lui disant des mots doux, et de l’autre agir en pervers manipulateur.
Oui absolument. Ce qui m’intéressait c’est ce schéma avec des femmes qui vous expliquent comment leurs tortionnaires sont en fait des personnes gentilles qu’il faut comprendre. J’ai pris un homme tout à fait normal. Il a l’air profondément gentil avec elle, amoureux d’elle, il l’appelle « mon cœur », il n’a pas un mot plus haut que l’autre. Mais ce qu’il lui impose est pire que tous les mots et peut s’apparenter à des coups. Elle n’est plus rien, elle est dans une situation d’objet, de faire valoir. C’est ce qui m’intéressait, cette idée du papier cadeau. Tout est emballé, jolie. Il est doux, il l’embrasse, il se couche avec tendresse à côté d’elle. Ils ont encore une relation qui semble intime et pourtant il est en train de la détruire totalement.
Y-a-t-il une limite en amour ? Vous évoquez l’image de ce chat qui rapporte sa proie devant son maître. Il a besoin de son regard sur ses frasques.
Oui c’est juste et c’est ce qui est pervers dans ce roman. Emilie, l’héroïne, a des moments où elle reprend une place. Elle a l’impression d’être une reine lorsqu’il l’incite à faire partir les femmes qu’il lui impose au domicile. Là, elle a le sentiment de reprendre ses droits et de ne plus être cette petite chose. Elle aime ces moments et cette place qu’il lui donne, alors qu’elle est dans une situation de destruction.
Face à toutes les situations de harcèlement, qu’il soit moral ou physique, la victime, très souvent, se sent vitale, essentielle et persuadée de pouvoir changer son bourreau.
De façon plus générale, le couple pour vous est-il un piège pour la liberté ou pas ?
Dans ma réalité, non. Si le couple est bien pensé et bien équilibré, c’est un moteur qui permet à chacun de former un « nous » tout en se construisant individuellement.
Nous vivons dans un monde où il y des dominés et des dominants. On est tous à un moment de notre vie l’un ou l’autre. C’est votre vision ?
J’ai entendu parler depuis peu des « influenceurs » sur les réseaux sociaux. Je trouve ce mot horrible. Je suis peut être un peu décalée. Vous parlez de dominants et de dominés, je ne vois pas les choses comme ça mais j’ai peut être tort.
Quand je découvre qu’il y a des gens payés pour tenter de vous influencer dans une mode ou un goût, je trouve ça dangereux. Surtout avec les réseaux sociaux où la parole se propage très vite. La parole entre dans tous les foyers et cela peut être dangereux.
Avez-vous envisagé une adaptation cinématographique de vos romans ?
C’est mon rêve que mes romans soient adaptés au théâtre ou au cinéma.
S’il devait y en avoir un ?
Je pense à « Qui ne dit mot consent ».
Vos trois premiers romans ont été traduits en chinois. Comment cela s’est-il fait ?
J’ai écrit mon 1er roman et mon éditrice m’a proposée d’aller en Chine pour représenter la jeune génération de la littérature française, à l’initiative de l’ambassade de France. Je suis donc allée avec d’autres écrivains à Pékin et à Shanghai et nous avons rencontré des éditeurs. Un éditeur chinois de Shanghai a été intéressé et a acheté mes trois premiers romans pour les traduire et les publier en Chine.
En parallèle j’ai été invité à participer à une résidence écrivains par l’association des écrivains de Shanghai et j’ai passé deux mois là-bas. Une expérience fabuleuse.
J’ai fait des périples en Chine invitée par les Alliances pour parler littérature, j’ai fait des circuits avec toujours de belles rencontres. Ce circuit s’est terminé à Hong-Kong par la librairie Parenthèses. C’était la première fois que je venais ici et j’ai adoré cette ville.
Pourquoi être venue vous installer ici il y a trois ans ?
Ce qui m’a emmené est la rencontre avec quelqu’un qui était un ami à l’époque et qui depuis est devenu mon mari et le père de mes enfants.
Je suis venue à Hong-Kong par amitié et j’y suis restée par amour. On a construit notre famille ici. C’est une ville extraordinaire, je ne sais pas combien de temps on va y rester, 10 ans, 20 ans moins, toujours…
Bibliographie
- Sans elle, éd. Mercure de France, 2008
- Ils l’ont laissée là, éd. Mercure de France, 2009
- Sans elle, éd. Folio n°5022, 2010
- Tant que tu es heureuse, éd. Mercure de France, 2010
- Moi j’aime pas comme je suis, Ill. Amélie Graux, album jeunesse éd. Albin Michel, 2011
- C’est pour ton bien, éd. Mercure de France, 2012
- Lolo, éd. Plon, coll. Miroir dirigée par Amanda Sthers, 2013
- J’aurais dû apporter des fleurs, éd. Mercure de France, 2014
- J’aurais dû apporter des fleurs, éd. Folio n°6147, 2016
- Qui ne dit mot consent, éd. Mercure de France, 2017
Qui ne dit mot consent
Collection Bleue, Mercure de France
Parution : 24-08-2017
Émilie a suivi son mari à la campagne quand les enfants étaient encore petits, depuis ils ont grandi et quitté la maison.
Dehors, il y a une vigne qui donne des raisins, il y a aussi une table en bois, des chaises, un banc, pour les petits déjeuners copieux, il y a des tommettes rouges dans le salon, un grand escalier qui mène à l’étage, et à l’étage, une chambre d’amis.
Chaque famille a ses secrets.
Que se passe-t-il dans cette maison au bout de la route du grand chêne ?
Dans ce terrible huit clos, Alma Brami dresse brillamment le portrait d’une femme meurtrie pour qui le couple est devenu un piège.