Vies d’un lilong
Architecte, Jérémy Cheval vit à Shanghai depuis 12 ans. Il enseigne au département d’architecture de l’université Tongji et à l’école de Design Nantes Atlantique à Shanghai.
Il achève en cette fin d’année sa thèse sur la transformation et l’hybridation des lilongs de Shanghai.
A l’occasion de la sortie du livre Vies d’un lilong, nous l’avons rencontré : personnage inévitable à Shanghai pour tout amoureux de la ville, et intarissable sur celle-ci, il nous parle de sa démarche de chercheur et des Lucioles, un rendez-vous qui a réuni 68 artistes autour de son sujet de prédilection : les lilong.
Propos recueillis par Inès Breton
Trait d’Union : Pour votre thèse sur le sujet de la transformation des lilong de Shanghai, vous avez mis en place une méthodologie innovante et plurielle à plusieurs titres. Quels en sont les particularités ?
Jérémy Cheval : Pour cette thèse, j’ai commencé par mettre en place un workshop avec les étudiants en architecture de Tongji. Mis en place il y a 10 ans maintenant, ce programme consiste à déployer un réseau d’étudiants pour cartographier le tissu shanghaien des lilong, par des enquêtes, photos, films, croquis, et plans. Nous en avons tiré un livre Lilong-Shanghai, (mon cher Watson,..) qui présente les 20 différents types de lilongs toujours en place à Shanghai, présentant leurs caractéristiques architecturales et patrimoniales.
Depuis plus de 7 ans, je vis dans un lilong avec ma famille. Une manière de vivre au quotidien toutes les imbrications de l’espace et des usages des habitants, ainsi que la relation que peut entretenir un étranger avec les shanghaiens. Une démarche selon moi indispensable pour m’immerger dans mon sujet d’étude : la transformation de l’habitat des lilongs.
Mon travail d’architecte engage beaucoup de disciplines différentes, m’amenant à m’interroger sur des questions historiques, juridiques, et sociales qui se posent au-delà du métier de bâtisseur. Les démarches mises en place pour ce travail de thèse : conception de plan, dessins, photographie, entretiens m’ont permis sur toutes ces années de rencontrer de nombreuses personnes liées aux Lilong et à ses problèmatiques : cadre du gouvernement, comité de quartier, habitants, chercheurs universitaires, artistes.
En 2015, enfin l’organisation d’une nuit artistique dans le plus ancien lilong de Shanghai, Dong Siwenli, a été le point de réunion de toutes les personnes rencontrées autour de ces problématiques, un vrai moment d’échange mettant en lumière l’attachement des citadins pour ce type d’habitat, qui est unique.
Avec l’événement que vous mentionnez, vous êtes passé d’une démarche d’observation à une action concrète. Dans Vies d’un lilong (éditions Les Xérographes, 2016), ouvrage retraçant votre travail de recherche et de curator, nous voyons que chacun (vous et les 68 artistes participants) s’est investi le temps d’une soirée, mais surtout dans une réflexion plus approfondie sur la ville de Shanghai.
Je pense que cette ville regorge de personnalités : des shanghaiens, des chinois venus d’autres provinces, des étrangers installés pour 10 ans ou 1 mois, qui s’investissent pour la ville, et qui en crée cette énergie indescriptible, parfois de manière isolée.
Créer cet évènement à Dong Siwenli était une manière de réunir tous ces citadins dont le travail artistique interroge le rôle de chacun dans la ville, et montrer les initiatives d’habitants qui ne se contentent pas de « consommer » la ville.
Comme me le disait une habitante, « il n’y a pas de ligne qui sépare nos vies », pour moi une belle manière de résumer ce que sont les lilong d’une part : des lieux d’imbrications, de passage, d’appropriations d’espace, mais aussi de ce que peut être une expérience plus ou moins longue d’expatriation.
En montant cet évènement puis ce livre, nous avions envie de montrer qu’il est possible, dans une situation d’expatriation notamment, d’établir une relation forte et active avec l’espace et les personnes qui nous entourent. En espérant qu’il puisse inspirer d’autres initiatives « hors cadre » de Hong-Kong à Pékin.
Le livre : Dans une Chine urbaine en pleine expansion, Siwenli, le plus grand shikumen lilong jamais construit à Shanghai, résiste depuis plus de cent ans. Jérémy Cheval, doctorant de l’Université de Tongji et de l’École d’Architecture de Paris Belleville, retrace avec passion les étapes de la transformation de ce patrimoine vivant jusqu’au Rendez-vous des Lucioles où 68 artistes, peintres, photographes, danseurs, acteurs, poètes… interagissent avec le lieu et les habitants qui restent.
De Dong Siwenli à Kong Siwenli, l’ouvrage, largement illustré, propose une mémoire architecturale, sociale, littéraire et esthétique du lieu, sans oublier le précieux témoignage des habitants, nous questionnant sans cesse sur le devenir des shikumen lilong.
Vies d’un lilong
(Lilong lives)
Jérémy Cheval et artistes 22,00 EUR
Ed. trilingue
français-chinois-anglais
Lilongs, Shanghai
Christine Estève,
Jérémy Cheval
(avec la participation de Jianlong Zhang, Ruan Yisan
Heritage Foundation)
Ouvrages disponibles à l’Arbre du Voyageur (Shanghai et Pékin), à Parenthèses (Hong-Kong).