Chronique

Tour du monde en 80 thés

Depuis que – paraît-il – le vent et l’apesanteur ont eu la bonne idée d’agir de concert pour faire tomber quelques feuilles de camellia sinensis dans la jarre d’eau chaude que l’empereur Shennong s’apprêtait à boire en 2737 avant JC, le thé est une boisson universelle qui réveille, calme, rapproche, réchauffe, rafraîchit, console…

Dans ces deux grandes nations de thé que sont la Chine et la Russie on se servait couramment de briques de thé pressé comme monnaie jusqu’à la fin du 19em siècle. Pour le boire il fallait en détacher des morceaux à la hache ou au marteau avant de le faire bouillir, oui j’avoue y’a plus simple, mais c’est drôle…si ça vous dit on en trouve encore à Wanchai par exemple chez Ying Kee (179 Johnston road).

– « Un marteau…mais tu m’as invitée pour accrocher tes tableaux ?! Je croyais que c’était pour prendre le thé ?! » Evidemment le mot thé évoque chez les Français l’Angleterre et le charme désuet des afternoon tea / high tea et leur cortèges de sandwiches au concombre, Bourvil et De Funès dans « La grande vadrouille » à la recherche de Big moustache dans le brouillard des bains turcs en chantant « Tea for two »…

Pour les plus tatamisés d’entre nous, le thé conjurera peut être des images de cérémonie du thé, avec ses dan et ses kata – comme pour les arts martiaux – de yuzu cha ou thé de Yuzu, qui ne contient pas de thé, mais de la confiture de yuzu (mon agrume préféré) mélangée à de l’eau chaude, de quoi réconcilier n’importe qui avec les petits matins glacials tokyoïtes, ou de mugicha (encore une fois pas de thé dedans mais une céréale, l’orge, grillée) à engloutir glacé et par litres dès que l’été pointe son nez.

Parmi mes meilleurs souvenirs avec ma mamie Joséphine il y a le thé (Earl grey, ou alors Earl grey, ou parfois Earl grey) avec les petits biscuits du dimanche après-midi, et c’était bien avant que je ne découvre les délices de Mariage frères, puis Damman frères, mais aussi du Palais des thés, Kusmi, et plus récemment TWG.

J’ai aussi eu la chance de goûter le thé au beurre de yak au Bhoutan, et quand je dis goûter c’est davantage dans le sens « d’essayer » que dans celui de « déguster », et le Long Island iced tea à Long Island– un autre thé sans thé, mais avec tequila, vodka, rhum et gin – avec, on s’en doute, un peu moins de modération que pour le beurre de Yak.

L’Indonésie n’est pas en reste, le thé y est même à l’origine d’une belle success story, le teh botol – le thé (teh) en bouteille (botol) – d’un tout petit business familial (celui de la famille Sosrodjojo, propriétaire de la marque Sosro) parti de pas grand chose au début des années 40, jusqu’à devenir aujourd’hui le leader incontesté des softs drinks de l’archipel.

Sans oublier l’Inde et les grands crus mythiques de Darjeeling , l’Afrique et le rooibos (bush tea, pas du thé non plus Calicotome villosa et pas camellia sinensis ! ) que l’on peut consommer sans modération 24h/24 7j/7 à l’image de Mma Ramotswe*.

Et même dans les mondes virtuels on boit du thé, de gentils geeks s’étant depuis peu amusés à créer des modes « Tea and coffee », « Cuppa » etc…sur Minecraft** !

Allez, à votre santé, avec ou sans thé !

* L’épique héroïne de la série de romans « The No. 1 Ladies’ Detective Agency » d’Alexander McCall Smith.
** Si là vous êtes perdus, demandez à vos enfants de vous expliquer.