Evasion

Singapour : fier lion d’Orient à la crinière dressée vers le large

C’est l’histoire d’une réussite des temps modernes. Décrite souvent comme une ville-État, la toute jeune république de Singapour s’est hissée en un temps record aux premiers rangs de l’économie mondiale. Comment a-t-il été possible d’insuffler une telle croissance commerciale à une île pourtant privée de toute matière première ?

Par Christian Sorand

Singapour-ville est située au sud de l’île du même nom à la pointe de la péninsule malaise. Il s’agit d’une position stratégique de première importance. Elle contrôle l’entrée du détroit de Malacca, passage obligé des lignes maritimes reliant l’océan Indien à la mer de Chine méridionale et au Pacifique. L’histoire de Singapour est d’une jeunesse déconcertante comparée aux autres États d’Asie. Le nom de la ville mérite une explication. Singapore en anglais; Singapura en malais, la dernière transcription explique la véritable origine de cette ville surnommée « la ville du lion ».

En bahasa le terme ‘singa’ désigne le ‘lion’; celui de ‘pura’, la ‘ville’. A noter que le terme chinois est ‘shi’ [獅]. Les termes malais sont d’origine sanskrite. On pense souvent que le lion est un animal purement africain. C’est oublier qu’il existe aussi une espèce asiatique : le panthera leo persica.

Une économie florissante

Singapour est aujourd’hui l’un des pays les plus développés et les plus prospères de la planète. C’est le 3ème pays au monde en termes de PPA/h après le Qatar et le Luxembourg. Il s’agit certes de l’œuvre d’une démocratie autoritaire mais c’est ce qui lui a permis d’obtenir rapidement un très haut niveau de vie. Singapour détient aussi le record de la plus forte concentration de millionnaires. Le pays est perçu comme un modèle de réussite économique grâce à la transparence et à une absence de corruption.
La jeune nation accumule les records en matière d’économie, d’éducation, de santé, de sécurité, d’urbanisme et même de transports. C’est une plaque tournante et financière possédant une monnaie forte : le dollar de Singapour (SGD). Les services bancaires et financiers lui confèrent la deuxième place en Asie après le Japon. Centre d’affaires majeur, Singapour est classée quatrième place financière au monde. C’est également le deuxième port mondial après Shanghaï en termes d’exportations et de trafic maritime. Son port est aussi un point d’ancrage régional pour les bateaux de croisières. Le port est en outre doté d’importants chantiers navals et est aussi classé troisième raffineur mondial de pétrole. Quant à l’électronique, elle représente un autre domaine économique de premier ordre. La ville a été choisie pour devenir le siège de l’APEC (coopération économique Asie-Pacifique). L’université nationale de Singapour (NUS- National University of Singapore) est reconnue comme étant l’une des plus prestigieuses au monde et est maintenant associée à celles de Cambridge (Grande-Bretagne) et de Berkeley (Californie). La compagnie aérienne nationale Singapore Airlines jouit d’une solide réputation de qualité depuis de nombreuses années. En 2015, Skytrax l’a classée deuxième au monde après Qatar Airways.

La réussite économique et le niveau de vie ne sont pas pour autant une marque de bonheur. Les jeunes Singapouriens se plaignent souvent du manque de distractions. Les lieux existent pourtant. Un effort a été fait pour créer des parcs d’attractions (Universal Studio), des complexes sportifs ou des lieux de sorties nocturnes (Chinatown, Clarke Quay, Boat Quay). Ce mécontentement s’explique probablement par la concentration urbaine et un espace restreint limité par les frontières insulaires.

Une vitrine moderne monumentale

Singapour bénéficie d’un climat équatorial humide et chaud ponctué de précipitations fréquentes. La ligne de l’équateur se situe en effet entre Singapour et Djakarta. Sa végétation luxuriante a été entretenue par la création de nombreux parcs et jardins (jardin botanique, jardin des orchidées, jardins chinois et japonais, parc aux oiseaux de Jurong, zoo de Singapour, ou encore le tout récent Gardens by the Bay). Les espaces verts lui ont valu d’être qualifiée de ville-jardin grâce à plus de 50 parcs et à quatre réserves naturelles.

Singapour est l’une des principales destinations touristiques du Sud-Est asiatique. Les quelques 13 millions de visiteurs annuels sont un apport économique substantiel à l’économie locale.
Dans les années 90, Singapour avait été critiquée pour avoir voulu faire disparaître certains sites historiques et avoir négligé les activités culturelles. La leçon a vite été retenue et corrigée. La ville a entrepris de conserver l’héritage culturel de son passé en le remettant au goût du jour. On ne compte plus aujourd’hui les musées et espaces culturels.

Les centres d’intérêts culturels et touristiques se répartissent sur plusieurs secteurs distincts du centre-ville.

– Le cœur colonial porte le nom de Civic Centre. C’est ici que se trouve l’un des musées les plus intéressants : le musée des civilisations asiatiques (Asian Civilisations Museum). La visite (entrée gratuite) offre un éventail didactique et complet de l’histoire et des cultures régionales. Il est installé dans un ancien bâtiment colonial britannique (Empress Place). Ce quartier central de la ville est aménagé avec des espaces verts. On peut y voir aussi la Cour suprême (Old Supreme Court Building, 1939), la cathédrale anglicane néo-gothique de St. André (Saint Andrew’s Cathedral, 1856) en bordure du ‘Padang’ (terme malais désignant l’ancien terrain de cricket des Britanniques). La statue de Sir Stamford Raffles, fondateur de la colonie, s’y trouve également.

– Le centre civique colonial constitue la partie nord d’un immense lagon appelé Marina Bay où se jette un cours d’eau appelé la rivière de Singapour (Singapore River). Deux anciens ponts britanniques franchissent la rivière et mènent à l’hôtel Fullerton (1928) à l’embouchure du petit fleuve. Tout à côté, sur la baie, des hordes de touristes viennent admirer le célèbre Merlion, symbole de la ville : haute fontaine dressée à l’effigie d’un corps de Triton (merman) et surmontée d’une tête de lion. C’est la personnification visuelle de la « ville du lion ». Outre le superbe panorama sur Marina Bay, cet espace a maintenant été aménagé pour les piétons et les cyclistes avec des cafés, des bars et des restaurants.

– Les quais de la rivière de Singapour ont été entièrement restaurés pour permettre aux piétons et aux cyclistes de s’y promener à loisir. Il y a d’abord le centre d’affaires, le Central Business District (CBD) qui est une réplique asiatique de Wall Street à New York. Trois tours dominent le paysage, hautes de 280 mètres chacune avec 66 étages. Ce sont respectivement : Republic Plaza, UOB Plaza One et OUB Centre. Boat Quay se trouve tout à côté. Toutes les maisons historiques ont été joliment transformées en bars et restaurants. A cet endroit, la rivière prend la forme d’une panse de carpe. Selon les croyances chinoises, c’est un signe d’opulence et de prospérité. Voilà pourquoi en 1820 les premiers commerçants hokkiens se sont établis sur la rive droite de la rivière qui servait alors de port. Plus en amont, sur la rive gauche de la rivière, Clarke Quay est devenu le lieu branché, attirant une foule de visiteurs de jour comme de nuit.

– La partie sud de Marina Bay est aujourd’hui le lieu phare de la cité. Un édifice hôtelier à l’architecture avant-gardiste domine le paysage. Marina Bay Sands, ouvert en 2011, et financé par Las Vegas Sands, est composé de trois tours de 57 étages reliées par une structure en coque de navire à 207 mètres au dessus du niveau de la mer et longue de 340 mètres. La terrasse de l’édifice comporte une piscine plate, un bar et un restaurant panoramiques. Ce gigantesque ensemble comprend également un casino, un hôtel de grand luxe, une immense galerie commerciale (The Shoppes), une piste de patinage sur glace, de prestigieux restaurants, une terrasse panoramique au niveau de Marina Bay, ainsi que deux pavillons flottant dont l’un est occupé par la maison Louis Vuitton. Derrière l’édifice, on a aussi accès à un parc immense gagné sur la mer en 2012 : Gardens by the Bay. Cet extraordinaire espace vert est composé de trois jardins (Bay Central Garden, Bay East Garden et Bay South Garden) ; il y a aussi deux serres géantes : Flower Dome et Cloud Forest.

– La partie orientale de Marina Bay est appelée The Esplanade. Le parc maritime est dominé par un étonnant ensemble architectural dédié aux arts du spectacle. Baptisé Theatres on the Bay, cette structure résolument contemporaine, ouverte en 2002, comporte notamment un opéra de 2.000 places et une salle de concerts pouvant accueillir 1.600 spectateurs. Ce quartier gagné sur la mer porte le nom de Marina Square. Outre les centres commerciaux, les grands hôtels et un centre de convention (Suntec), un réseau de galeries marchandes souterraines et climatisées relient les différents édifices. Le vénérable hôtel Raffles se trouve également dans cette partie de la ville. Ouvert en 1887, il a été complètement restauré dans le style colonial de l’époque. Certains auteurs comme Somerset Maugham,
Rudyard Kipling ou Herman Hesse l’ont rendu célèbre.

– Commerce oblige, Singapour est aussi connue pour le shopping. Nulle autre avenue ne remplit mieux ce rôle qu’Orchard Road. Longue de deux kilomètres, elle traverse la ville du nord au sud et n’est qu’une succession de centres commerciaux tous plus luxueux les uns que les autres. Au niveau de Newton Road, il existe une vieille rue historique fort intéressante à visiter : Emerald Hill Road. Cette petite rue, grimpant légèrement à flanc de colline, est bordée d’anciennes demeures de la communauté Peranakan. Ce sont les descendants des premiers Chinois arrivés dans le détroit de Malacca entre le XVe et le XVIIe siècle.

– Le quartier de Chinatown, menacé de destruction à une certaine époque, a subi lui aussi d’importants travaux qui ont permis de conserver les façades des maisons chinoises. Le quartier attire une foule de touristes pour ses restaurants et ses boutiques. A noter que la réhabilitation s’est étendue à tout le voisinage. On y trouve donc de petits hôtels, des cafés, des restaurants, des boutiques dans de magnifiques maisons historiques. C’est un quartier qui invite à la découverte au gré d’une promenade pédestre.

– Une autre zone conserve un caractère bien marqué. Il s’agit du quartier indien de Little India traversé par Serangoon Road à proximité d’une très belle mosquée Masjid Abdul Gaffoor, construite en 1907.

Ainsi va Singapour à la fois centre d’affaires et ville-jardin. Sa fulgurante ascension est un modèle du genre. On pourra toujours critiquer ses instigateurs qui ont régi sa construction avec une main de fer dans un gant de velours. Il est toutefois indéniable que son histoire est celle d’une volonté de réussite et de perfection à tous les niveaux. C’est un exemple de la fébrilité commerciale chinoise et de son ouverture sur le monde de demain. Singapour est devenue une ville belle et monumentale qui a su préserver, voire développer son écosystème. Les expatriés occidentaux s’y plaisent. Voilà pourquoi le Merlion dresse fièrement sa crinière en fixant le large, porte océane ouverte sur les vastes espaces maritimes de la planète.