Mascate : la langoureuse beauté inédite d’une Arabie heureuse
Le cliché d’une péninsule arabique peuplée de tribus bédouines du désert est devenu un tant soit peu désuet. Pétrole et modernisme ont lentement transformé cette image, même si la croyance populaire reste tenace. Politique mise à part, les dirigeants modernes de la plupart de ces émirats ont été formés aux meilleures écoles occidentales et s’appliquent à revitaliser et diversifier le paysage économique du futur.
Par Christian Sorand
Si le sultanat d’Oman est longtemps resté un peu à l’écart des grands mouvements avant-gardistes contemporains, il entrouvre aujourd’hui les portes de son territoire pour révéler un héritage culturel issu d’un heureux mariage entre tradition et modernisme. Tel apparaît Mascate, capitale séculaire d’un ancien royaume à l’histoire prestigieuse souvent oubliée.
Lorsque l’on arrive au nouveau terminal de l’aéroport international de Mascate, ouvert en mars 2018, on est frappé par la stupéfiante beauté, par son luxe et de sa technologie de pointe. Le ton est donné dès lors.
Car rien ici ne ressemble à ce que l’on pourrait imaginer. La blancheur des constructions, dont la hauteur est limitée, s’étale tout en longueur entre le golfe d’Oman et la chaîne rocheuse d’Al Hajar. À titre d’illustration, l’aéroport est situé à 32km du Vieux Mascate par l’autoroute, qui traverse toute la zone urbaine de la capitale. Le Tropique du Cancer est situé un peu plus au sud de la ville. Le visiteur est frappé d’emblée par des bâtiments dont la modernité, empreinte d’une touche fortement ethnique, donne à l’ensemble une unité architecturale originale et fort heureuse.
Ce métissage de styles n’est pas la seule caractéristique du pays. Les Omanais sont extrêmement accueillants et sympathiques. Même si l’arabe est leur langue, la plupart d’entre eux maîtrisent l’anglais, vieil héritage du protectorat britannique. D’ailleurs, la population de Mascate est largement multinationale : beaucoup d’Indiens y tiennent commerce et les travailleurs immigrés asiatiques sont omniprésents, comme dans tous ces pays du golfe. L’ouverture d’esprit des Omanais s’explique probablement par la religion et l’histoire. Musulmans certes, les Omanais appartiennent à la mouvance ibadite, telle qu’elle existe à Djerba, en Tunisie, ou dans le M’zab, au Sahara algérien. L’ibadisme, issu du Kharidjisme, constitue une troisième voie de l’Islam et se caractérise par sa simplicité, sa tolérance et son sens égalitaire entre hommes et femmes.
Un passé riche et prestigieux
Mascate est un lieu historique dont l’importance stratégique a joué un rôle prépondérant. La côte du golfe d’Oman offre des mouillages naturels en eau profonde, près du détroit stratégique d’Ormuz, au nord et de la mer d’Arabie, au sud. L’activité navale de Mascate remonte au Ier siècle de notre ère. Le port fait déjà figure d’escale commerciale entre l’Orient et l’Occident. Le géographe grec Ptolémée avait qualifié le port naturel de la baie de Muttrah de « port caché ».
Pas étonnant alors que l’histoire de Mascate conserve les traces des conquérants d’autrefois : Perses, Portugais, Espagnols, Ottomans, Français ou Anglais.
Les velléités maritimes et commerciales d’Oman restent de tout temps prépondérantes. Mascate a d’abord été un des jalons de la route de l’encens – toute première route maritime d’antan – avant de devenir celui de la route des épices, entre l’Est et l’Ouest. Très tôt, les Omanais se sont donc révélés non seulement des navigateurs émérites, mais aussi de remarquables constructeurs navals. Ainsi, le mythe de Sindbad le marin reste vivace dans tout le pays. Les boutres omanais ont longtemps fait du cabotage le long des côtes africaines, de la mer Rouge à Madagascar. Ils alimentaient un commerce lucratif pour l’or, l’ivoire, les épices et même les esclaves. Au XVIIIe siècle, l’île de Zanzibar, sur la côte Est de la Tanzanie, devient un lieu de prédilection pour le sultanat, stigmatisant l’image d’un « paradis d’Allah ». Les échanges commerciaux entre le sous-continent indien et le golfe d’Oman datent aussi de cette époque.
Hormis l’intérêt stratégique et commercial de leurs voisins perses, les Omanais ont d’abord subi le joug de l’expansion coloniale portugaise. En 1507, l’amiral portugais Afonso de Albuquerque s’empare du port de Mascate. Les Portugais y restent pendant plus d’un siècle, malgré les attaques successives des Ottomans en 1552, puis de 1581 à 1588. La dynastie actuelle des Al Bu Sa’id émerge au XVIIIe siècle. En 1840, Saïd bin Sultan fait de Stone Town, à Zanzibar, la nouvelle capitale du sultanat. Mais à sa mort, des jalousies fratricides donnent naissance à d’incessantes luttes tribales, auxquelles seuls les Britanniques parviennent à mettre un terme en facilitant le règne du Sultan Qaboos bin Saïd en 1970. Ce dernier donnera au pays son nom actuel de Sultanat d’Oman. Devenu le véritable père de la nation, il s’entoure d’une équipe compétente qui transformera le pays. Les Omanais lui vouent une reconnaissance sans borne.
Grâce à la manne pétrolière, Mascate est donc devenue une capitale au modernisme réglementé évitant ainsi tout débordement. Parcs, jardins, aménagements côtiers, autoroutes parsèment une ville propre respirant l’aisance et le bien-être, où seules dominent d’élégantes mosquées, et parfois quelques méga-centres commerciaux. La capitale s’est dotée d’un imposant opéra (Royal Opera House Muscat) en 2011. Cet édifice est dorénavant reconnu comme un jalon culturel international. Les belles plages de sable sont agrémentées parfois de palmiers et à proximité se trouvent de nombreux restaurants et cafés, dans des espaces ménagés à cet effet.
Si la ville moderne reste agréable et aérée, deux sites importants constituent un attrait majeur : ce sont le port de Muttrah et le vieux Mascate.
La baie naturelle de Muttrah
La baie scénique de Muttrah abrite le mouillage traditionnel du pays. Aujourd’hui, le port a été modernisé pour accueillir les pétroliers, mais aussi des bateaux de croisière. Il porte désormais le nom de Port Sultan Qaboos.
Une superbe corniche a été aménagée le long du front de mer historique, aux maisons crénelées et aux balcons en bois. On y voit également le minaret et la coupole vernissée de faïences d’une mosquée de style persan rappelant par ses couleurs à dominante bleue, celles d’Ispahan ou de Shiraz.
Le traditionnel marché aux poissons est désormais transféré près du port dans un espace aseptisé où les imposantes pêches du jour étalent des prises colorées, variées et parfois imposantes.
Toutefois, l’activité centrale tourne autour du bazar couvert appelé Souq Muttrah. Véritable merveille orientale, ce souk demeure l’un des plus anciens de tout le monde arabe. Il a été surnommé Al Dhalam, mot désignant ‘’l’obscurité’’ dans la langue arabe, car autrefois ce lieu clos était fort sombre et on s’y éclairait à l’aide de bougies. La charpente en bois du plafond de ses allées principales rappelle le carénage d’un bateau, tandis que les croisées de passage sont couronnées d’immenses coupoles en verre de couleur. Évidemment, les touristes viennent y chercher des étoffes orientales, des dagues omanaises (khanjar), ou tout autre souvenir de voyage. Ce lieu respire toutes les senteurs d’un Orient éternel fait de jasmin frais, d’huiles orientales parfumées, d’épices de toutes sortes et de poudre d’encens. Par la bouche de Lady MacBeth, Shakespeare évoquait déjà « tous les parfums d’Arabie » (‘All the perfumes of Arabia’).
Le Vieux Mascate
En poursuivant la route de la corniche, dominée par un encensoir géant, d’une blancheur immaculée, on arrive quelques kilomètres plus loin, après la jolie plage d’Al-Bustan, à l’ancienne capitale du sultanat.
Une entrée monumentale (Muscat Gate Museum) délimite le périmètre de cette vieille cité, ceinte de murs et de tours rondes et perchées sur la barrière naturelle montagneuse depuis 1625. Même si le vieux Mascate (Old Muscat) a une apparence plutôt moderne, c’est tout de même la cité historique originelle. La plupart des ministères et des bâtiments administratifs s’y trouvent. Ils ont été conçus dans le style omanais, avec un toit plat à créneaux et quelques balcons ouvragés en bois. C’est ici que se trouve aussi le palais d’Al Alam (‘’le drapeau’’, en arabe) : un pur joyau architectural à la façade dorée et bleue, construit en 1972 pour accueillir les hôtes de marque. Deux anciens forts portugais (the Mirani & Jalali Forts), hauts perchés sur un rocher, montent la garde derrière le palais.
Le plus remarquable ici, dans ce climat sec et ensoleillé du tropique, demeure cette profusion de fleurs et de pelouses qui évoquent l’image des jardins du paradis, chers à la perception musulmane. Arrosés et taillés en permanence, ils apportent une touche inattendue dans cette région semi-désertique du golfe d’Oman.
Enfin, les Français seront sensibles à la visite du musée franco-omanais (the Omani French Museum). Cet ancien palais est un don du sultan Faisal bin Turki au consul de France à Mascate en 1896. En janvier 1992, lors de la visite officielle du président François Mitterrand, il a été inauguré en musée par le Sultan Qaboos bin Said. Outre son architecture traditionnelle, les salles du bâtiment comportent une collection de vieilles photos et de documents historiques, des maquettes et des documents navals tant omanais que français, des costumes et des parures traditionnelles, ainsi que des meubles d’origine.
La population du sultanat d’Oman ne dépasse pas les cinq millions d’habitants. Environ 1,4 millions habitent dans le grand Mascate. La ville, comme le pays, ont bénéficié d’une infrastructure moderne. Alors que d’autres États du golfe persique ont été tentés de déployer une ostentation manifeste, Oman a su rester longtemps en retrait, tout en développant son économie de manière plus modeste et surtout en essayant de marier le modernisme avec ses valeurs traditionnelles. Il semble que ce pari ait été une réussite. Il faut espérer maintenant que si le pays continue à s’ouvrir au tourisme, il saura conserver son authenticité, une valeur fort appréciée de nos jours.
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