Non classé

Histoire d’une ballerine devenue star

C’est en 1947 que Rose Repetto crée, sur les conseils de son petit-fils, Roland Petit, ses premiers chaussons. La suite tout le monde la connaît. Les plus grands danseurs étoiles du monde font de la maison leur passage obligé pour se fournir en ballerines et tenues de danse. Une maison aujourd’hui connue et reconnue dans le monde entier. En 1966, la fondatrice accepte de confectionner une ballerine à la demande de Brigitte Bardot, « Cendrillon » venait de naître. En 1967, l’usine de Dordogne voit le jour. Manufacture qui aujourd’hui encore confectionne les ballerines selon la même méthode, le fameux « cousu-retourné ». Les années 70 voient l’arrivée de Serge Gainsbourg qui, sous le charme du modèle « Zizi », devient l’ambassadeur de la marque. En 1999, Jean-Marc Gaucher prend les rênes de la maison Repetto et relance la marque pour la remettre sur le devant de la scène. En Asie la célèbre marque compte 65 boutiques dont six à Hong-Kong. Le Japon reste le plus gros marché avec 25 boutiques, suivi par la Corée qui en comptabilise 17.Présent dans l’ancienne colonie britannique le mois dernier pour célébrer les 70 ans de la maison, Jean-Marc Gaucher, PDG, a accepté de répondre aux questions de Trait d’Union.

Propos recueillis par Isabelle Chabrat (avec Catya Martin)

 

Trait d’Union : Vous avez un profil atypique, autodidacte…

Jean-Marc Gaucher : Je suis un pur autodidacte, mais souvent les gens qui me posent la question sont des gens qui ont fait des études. 70 % des entrepreneurs sont autodidactes, tout comme les trois quarts des repreneurs d’entreprises. Je suis donc un peu comme tous les entrepreneurs. Nous ne suivons pas le parcours traditionnel, nous avons un projet et nous l’emmenons. Ce n’est pas du tout quelque chose de hors normes, ce sont ceux qui ont fait des études et qui créent leur boîte qui sont les exceptions.

 

Aujourd’hui les nouvelles générations ne souhaitent pas travailler selon les anciens modèles. Avez-vous un message pour eux ?

JMG : J’en rencontre, et leur parle… c’est une telle aventure, c’est comme par exemple monter sur un bateau : avant de partir on sait qu’au milieu de l’océan il y a des tempêtes, mais on a décidé d’aller quelque part. Donc on accepte. Si on ne fait pas ça, si on ne décide pas, dès que ça devient complique on veut rentrer. Que les enfants n’aient pas envie de reconduire la vie de leur parent, c’est magnifique, ils ont envie de vivre leur vie !

Donc vous les encouragez ?

J’ai trois enfants, aucun ne va me suivre chez Repetto. Il faut que chacun vive sa vie, c’est une chance inouïe.

 

Passer de Reebok à Repetto a été compliqué ? Cela vous a aidé ?

Oui bien sur ça m’a aidé, mais toutes les étapes de ma vie m’ont aidé. J’ai commencé à l’usine à 15 ans, quand je vais sur notre site de production, je discute avec les ouvriers, je sais ce qu’ils me disent et ils savent que je comprends. Si je n’avais pas été dans ce secteur, je n’aurais jamais compris.

 

Revenons à Repetto. L’ADN de la marque est de fabriquer un produit technique, le chausson de danse, comment avez-vous migré vers une marque de luxe ?

Avant de reprendre l’entreprise, en 1999, j’avais écrit ce que je voulais en faire, et c’est toujours la mission de la marque : une marque mondiale, qui développe des produits exclusifs, les plus techniques de l’industrie de la danse et une marque de l’univers du luxe.

Quand j’ai repris la société, il y avait 15 millions d’euros de dettes pour trois millions d’euros de chiffre d’affaire. En revanche, la marque était connue dans le monde à travers la danse. C’est un énorme atout, car très rare. Donc au départ j’avais la notoriété de la marque, et son territoire : la danse. Ensuite il a fallu étendre pour se développer.

 

Comment y êtes-vous parvenu ?

J’ai écrit mes objectifs, je me suis occupé de la production, de la trésorerie. Mais comment renouveler les produits sans argent ? Un jour j’ai vu dans les couloirs du métro à Londres, une publicité de deux marques concurrentes qui s’associaient pour faire un téléphone portable : Sony et Erickson. Quelle idée de génie ! Je suis allé voir Issey Miake directement. Ils ont dit oui. Après, j’ai recommencé avec Yoji Yamamoto, Comme des Garcons. Donc pour remonter, il a fallu surprendre tout le monde.

 

Pensez-vous que les marques françaises doivent miser sur le savoir-faire ? Doivent-elles toutes être positionnées «luxe » ?

Elles doivent être positionnées tel que le dirigeant a envie de le faire. S’il ne se fait pas plaisir avec des produits dans l’univers du luxe, qu’il abandonne. Il faut qu’il aille au bout de son rêve, si c’est l’entrée de gamme avec de gros volumes, pourquoi pas ! Mais s’il veut se planter qu’il reste à fabriquer en France, et s’il veut que ça marche qu’il aille acheter en Chine ou au Bengladesh.

Pour ma part, c’est un autre projet que j’avais. Nous avons la chance, en France, de pouvoir être associés au monde du luxe. C’est une chance unique. Décider de fabriquer en France oblige à être dans le haut de gamme. C’est ce que nous faisons. 

 

Vous fabriquez 100 % en France ? Combien de sites de production ?

Un seul en Dordogne qui fait toutes nos ballerines et tous les talons inferieurs à 55mm, la maroquinerie vient d’Italie. A terme je souhaite rapatrier toute la fabrication chez nous. Je ne peux pas accepter l’idée du chômage des jeunes. J’ai démarré dans une usine, donc il n’y a rien de déshonorant. Cela peut être un métier fantastique.

 

Il y a une planification des collections à l’avance, avez-vous un schéma de production lissé ?

Au départ j’ai fait cela parce que je n’avais pas beaucoup de moyens. Cela permettait d’étaler la trésorerie et d’éviter les pics de production, livraisons en retard etc… Puis j’ai remarqué que les femmes aimaient bien faire du shopping, et que s’il n’y a pas de nouveautés dans les boutiques, elles ne viennent plus. Donc, grâce à ce système, nous sortons, sans arrêt, des produits nouveaux.

 

La ballerine de BB en 56 et les Zizi de Gainsbourg dans les années 70 représentent toujours une part importante des collections en magasin ? Comment assurez-vous la pérennité de ces modèles ? Quelle est la part de création ?

Nous avons « relooké » ces produits, la part dépend des magasins et des régions. La ballerine BB représente moins d’un quart de notre chiffre, les talons 40 %, la danse 20 %, la maroquinerie 10 %. Nous avons l’obligation de nous renouveler : par exemple, nous avons travaillé avec GAS pour mettre des petits “charms” sur nos chaussures, nous travaillons aussi sur les matières, les couleurs. Chaque magasin peut avoir un assortiment différent, avec de nouveaux modèles toutes les deux semaines.

 

Comment entretenez-vous ce lien avec les icones de mode ?

Vous avez remarqué, il n’y a aucune photo d’eux en boutique, aucun document ne sort de chez nous avec leur nom, parce ce que cela appartient à la mémoire collective, pas besoin de le dire. Nous avons fait une opération avec Stromae et Matthieu Chedid au printemps. Avec les artistes c’est d’abord l’humain qui joue, une part a été reversée au Mali via notre fondation « Danse pour la vie » qui soutient des écoles de danse dans le monde pour les enfants en détresse. Mais a-t-on besoin d’en faire la publicité ?

 

Avez-vous engagé l’entreprise sur le développement durable ?

Oui, les boîtes Repetto vont disparaître … utilisation de matière recyclable; les sacs d’achat aussi pour être remplacés par des sacs en tissu qui permettront de ranger les chaussures.

 

Y-a-t-il une filière française de la chaussure qui pourrait revivre ?

Je ne sais pas. Mais plus important, je pense que les marques de luxe ont des questions à se poser sur le rôle qu’elles ont joué sur la disparition de l’industrie de la chaussure en France. Quand ils sont tous partis en Italie en disant que c’était ce qu’il y a de meilleur, ils ont tué le secteur. Or c’est possible de faire en France, au contraire quand il n’y a plus personne, il y a des opportunités. Le problème actuel est qu’il n’y a plus de chefs d’atelier, de technicien, le savoir-faire est parti.

Repetto fabriquait les pointes sur mesure il y a 35 ans et on ne savait plus les faire, en dehors d’un vieux monsieur qui habitait le village. Je me suis dit qu’il fallait le faire revenir pour qu’il apprenne aux plus jeunes. Quand les jeunes ont su faire des pointes sur-mesure, il est décédé. Mais il a eu le temps de transmettre…

 

Vos collections sont-elles les mêmes en Asie ?

Nous proposons à peu près 450 références, chaque pays pioche dedans, et peut-être qu’à Hong-Kong il en passe 200 par an. II peut arriver que les pays nous demandent des modèles particuliers, si un pays veut 30 paires d’un modèle, je le fabrique.

 

Quelle est la place de Hong-Kong ?

Hong-Kong, c’est important avec six boutiques. La première boutique Asie était au Japon avec le projet Issey Miake. Puis ça a été la Corée, Taiwan, Hong-Kong, Singapour, la Chine, Dubaï, le Brésil, et maintenant les Etats-Unis.

 

Allez-vous arriver à garder votre seule usine de production ? Est-ce un atout ?

Nous avons plus que doublé la surface. De toute manière je veux produire en France.

Oui bien sûr c’est un atout. Si vous parlez à tous les Hongkongais, la France c’est le luxe.