Evasion

Le Bhoutan : Petit royaume du bienheureux Dragon

Le Royaume du Bhoutan est un micro-état, planté au cœur de l’Himalaya dont les montagnes évoquent le « toit du monde ». Ce petit royaume au charme secret a su préserver une forte identité, mais pour combien de temps encore ?

Par Christian Sorand

 

Le Bhoutan s’est ouvert au monde assez récemment tout en filtrant le nombre des visiteurs annuels. Il est devenu membre de l’ONU en 1971. En 1999, la royauté a mis fin à certains interdits comme la télévision et Internet. En décembre 2006, le pays a attiré l’attention internationale lorsque son jeune roi, Jigme Khesar Namgyel Wangchuck, est arrivé au pouvoir. Son père, Jigme Singye Wangchuck, venait d’abdiquer en sa faveur. Couronné en novembre 2008, le nouveau monarque est alors devenu le cinquième roi Dragon du royaume du Bhoutan mais à l’époque aussi, le plus jeune chef d’État du monde. Le long isolement du Bhoutan a préservé une rare authenticité, empreinte d’une curieuse atmosphère tantôt helvétique, tantôt britannique.

 

Un certain parfum helvétique dans l’air

 

Le pays a une superficie équivalente à celle de la confédération helvétique. Ce sont tous deux des états alpins enclavés, offrant un paysage de chutes d’eau, de torrents, de lacs et de profondes vallées encaissées, entourées de pics enneigés. Plus étonnant encore, certains aspects culturels offrent d’étranges similitudes. On y trouve comme en Suisse des ponts couverts construits au-dessus des cours d’eau. La rigueur de l’hiver alpestre explique l’origine fonctionnelle probable des vieux ponts de bois. Par ailleurs, l’architecture traditionnelle du Bhoutan se singularise par de vives peintures murales. Or, il se trouve que cette tradition est également une caractéristique alpine partagée par la Suisse, la Bavière et le Tyrol. Enfin, le tir à l’arc demeure une autre caractéristique bhoutanaise. Consacré sport national, il perpétue une tradition bien vivante. On pense à Guillaume Tell évidemment ! Autre clin d’œil, le salon de thé le plus couru des rares touristes de Thimphu, la capitale, s’appelle « La pâtisserie suisse » (Swiss Bakery) !

 

Un petit air britannique

 

Et puisqu’on évoque le thé, boisson nationale du royaume, on songe alors à une légère atmosphère d’outre-Manche.

Ce petit parfum britannique n’est pas tout à fait un hasard. L’Inde ou le Népal n’ont-ils pas été des colonies de Sa Gracieuse Majesté ? Influence de bon voisinage, sans doute, même si le Bhoutan est un des rares pays d’Asie – avec le Japon et la Thaïlande – à n’avoir jamais été colonisé. Or le Royaume-Uni et le Bhoutan sont des monarchies constitutionnelles ayant chacune conservé sa propre identité religieuse. Au Bhoutan, la conduite se fait à gauche, certes à l’instar d’autres pays de la région. Même si on y parle le bhoutanais, l’anglais demeure la langue officielle scolaire. Le Bhoutan est aussi le pays du thé. Thé rouge, thé jaune, thé au gingembre brassé dans l’eau pure de ses torrents, en font un breuvage inégalé. Une pure merveille pour le palais. Le thé du Bhoutan a la même saveur exquise que celui de ses voisins de l’Assam, du Sikkim et du Népal.

 

Bhoutan et Thaïlande : une amitié monarchique et religieuse

 

Autre fait intéressant, le royaume du Bhoutan entretient d’étroites relations avec le royaume de Thaïlande. En juin 2006, alors qu’il n’était encore que prétendant au trône, Jigme Khesar a été invité à assister à Bangkok aux cérémonies du soixantième anniversaire du règne du souverain thaïlandais, feu Bhumibol Adulyadej. En fonction de la popularité princière, les médias thaïs l’ont alors surnommé le « Prince charmant ». Les relations sont devenues fréquentes, grâce notamment à la compagnie nationale Drukair opérant des vols journaliers entre Bangkok et Paro via Dacca. Des moines bhoutanais viennent fréquemment en visite en Thaïlande. Quant aux Thaïlandais, ils éprouvent une grande admiration pour le Bhoutan. Tant et si bien qu’au cœur de Thimphu, petite capitale du royaume himalayen, on a bâti un square au centre duquel s’élève un petit temple siamois. Plus récemment encore, en 2008, un groupe de moines thaïlandais sont venus ériger un immense bouddha debout. Dorénavant, cette statue monumentale se dresse au beau milieu du parc du couronnement à Thimphu.

 

Une architecture unique

 

L’architecture traditionnelle offre une spécificité inégalée. Tous les édifices ont des peintures murales aux couleurs vives. Certaines ont même des motifs érotiques parfois surprenants. Même les constructions modernes portent l’empreinte du style local. Outre les ponts couverts, il faut évoquer aussi celle des « dzongs ». Ce sont d’anciennes forteresses jalonnant le paysage. Ces édifices de forme carrée massive sont flanqués de hauts murs ayant parfois des tours aux angles et d’une sorte de donjon s’élevant au milieu d’une cour intérieure ouverte. Le « dzong » ne sert pas vraiment de protection aux envahisseurs potentiels. Il s’agit plutôt d’un centre à la fois administratif et religieux. Le drapeau national illustre d’ailleurs le fonctionnement de ce petit royaume. La partie jaune symbolise la monarchie, tandis que celle orangée représente celui de la tradition monastique. Le dragon blanc du centre illustre le bouddhisme bhoutanais, directement dérivé du tantrisme tibétain. Le « dzong » est donc l’image concrète de la gouvernance du « Pays du Dragon ». Une moitié appartient au domaine de l’Administration Royale, l’autre est un monastère. Une visite de la cour intérieure du Dzong royal de Thimphu le confirme. Dans l’imposante salle de l’assemblée, le trône royal se trouve au milieu, flanqué à droite par le trône du « Père du Roi » et à gauche par celui du « Roi des Moines ». Temples et monastères constituent les aspects traditionnels de l’architecture bhoutanaise. Les rites et les cérémonies religieuses ressemblent beaucoup à ceux de la culture tibétaine.

 

Une forte identité culturelle

 

Les masques du Bhoutan relèvent d’une même richesse culturelle. Ils partagent une fonction identique à celle des masques africains lors des cérémonies de danses religieuses. Le bouddhisme a été importé du Tibet au VIIIe siècle de notre ère. Le rite du masque est issu de la tradition du bouddhisme Mahayana. Les danseurs chassent les mauvais esprits tandis que le son des tambours effraye les forces du mal, et les spectateurs sont alors lavés de leurs pêchés.

 

La porte entrouverte du changement

 

Le sacre du jeune roi a incité le gouvernement bhoutanais à ouvrir un peu les portes du progrès. Toutefois, cela n’exclut pas de conserver jalousement l’héritage culturel et de prendre de sérieuses mesures destinées à préserver l’équilibre du système écologique. C’est ce qui fait du Bhoutan une destination d’exception. Le pays a la vocation de montrer la voie au reste du monde en prenant des initiatives courageuses, parfois jusqu’à la tribune des Nations Unies. Les grandes chaînes hôtelières n’ont donc pas envahi l’industrie touristique. Les fast foods sont inexistants. Drukair est toujours la seule compagnie aérienne autorisée à desservir l’aéroport international de Paro. Ce n’est peut-être pas un mal quand on sait que la piste de Paro est l’une des plus dangereuses du monde !

Pourtant, les changements sont déjà perceptibles. La capitale du pays est confrontée à un exode rural disproportionné. Les logements sont devenus rares et couteux. La population de Thimphu approche maintenant les 100.000 habitants, sachant que le Bhoutan compte 700.000 habitants! De nouveaux faubourgs voient le jour et les immeubles d’habitation poussent comme des champignons. Les grandes marques automobiles ont commencé à ouvrir des vitrines de vente ultra modernes. La circulation routière est devenue un problème aux heures de pointe.

 

Le Bhoutan demeure encore une destination située hors des sentiers battus. C’est vraisemblablement l’une des plus secrètes régions d’Asie. Longtemps restés à l’abri du tourisme de masse, les Bhoutanais sont un peuple simple et affable. Ce sont des gens faciles d’approche, serviables et très souriants. Ils parlent l’anglais. Ils portent en majorité un costume ethnique haut en couleurs. Les routards ne sont pas autorisés à franchir la frontière comme au Népal, au Laos ou au Myanmar. Le quota financier journalier imposé aux touristes étrangers joue le rôle de filtre en protégeant l’intégrité culturelle de la nation. Pourtant la consommation ou la technologie menacent de devenir des armes économiques fatales pour le Druk Yul (le ‘Pays du Dragon’). Quoi qu’il en soit, le Bhoutan continue à être classé parmi les pays les plus heureux du monde. Il figure aussi sur la liste des pays parmi les moins visités de la planète.

 

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