Chronique

L’année du singe…

Par Stéphanie Delacroix

Cela fait désormais trois mois que nous sommes dans l’année du singe et je n’ai pas encore fait (ici ni ailleurs) une seule blague – déplacée ou pas – à ce sujet. Cela m’étonne, voire m’inquiète. Mais il y a une raison à mon étrange manque d’humour simiiforme. Depuis relativement peu de temps, le mot « singe » me rend triste, il est devenu pour moi le synonyme du manque de responsabilité et de respect de mon espèce (homo sapiens, mes fesses) envers la planète qu’elle habite et envers ceux qui l’habitent avec elle et dont elle détruit sans cesse ni vergogne les habitats.

Les relations que nous hominoïdes humains entretenons avec les autres hominoïdes ont toujours été ambiguës, teintées de fascination, de moquerie, de mépris et de répulsion…C’est l’effet « Vite ! Justifions de martyriser, d’emprisonner et de massacrer des animaux qui nous ressemblent tant, qui étaient là avant nous et partagent au moins 97 % de notre ADN. »

La langue française ne leur montre pas beaucoup de bienveillance, même si aux côtés de « faire le singe », « payer en monnaie de singe » et « singe savant » on note le vieux singe à qui il est inutile d’apprendre à faire des grimaces, expression au demeurant positive puisqu’elle évoque l’acquisition d’une compétence par la pratique, l’expérience…et l’ambigu « malin » comme un singe.

En anglais ce n’est pas bien mieux, mais c’est plus varié. De la monkey house (bon an mal an, chez les fous, en prison ou au parlement comme celui qui tarde à mettre une vraie grosse taxe sur l’huile de palme ou les plastiques à usage unique), au monkey business (toute activité pas nette nette, comme celle consistant à faire détruire des millions hectares de forêt protégée (2,6 millions juste pour l’Indonésie) pour pouvoir y planter légalement des palmiers à huile – « oh c’est ballot ça a brûlé…mais j’y pense maintenant qu’y’a plus rien à protéger je peux l’avoir mon permis pour y planter des palmiers à huile certifiée ? » – en passant par monkey see – monkey do c’est à dire « to ape someone» « copier » ou « singer » quelqu’un, ah oui nous aussi on l’a celle là !

Quand nous disons « un froid de canard » les anglais parlent d’un froid à faire geler les attributs masculins d’un singe en laiton (cold enough to freeze the balls off a brass monkey), en passant par l’incrédulité totale (et conservatrice) découlant du fait d’être l’oncle d’un singe (Well, I’ll be a monkey’s uncle!), des quelques soucis causés par le fait d’avoir un singe sur le dos (a monkey on one’s back) sans oublier le parangon de divertissement de quelque chose qui sera plus amusante qu’un tonneau rempli de singes (more fun than a barrel of monkeys) ce qui amusera davantage les singes que d’être enfermés dans un tonneau ou ailleurs. Il reste la prosaïque, pratique et inexpliquée monkey wrench (clé anglaise, si si en anglais une clé anglaise se dit monkey wrench, vous pouvez vérifier), et l’expression de mon phénomène météorologique préféré celui qui se produit quand un singe se marie (monkey’s wedding), et que la pluie ET le soleil sont de sortie en même temps pour célébrer les noces du singe…phénomène assez fréquent dans le nord de Sumatra…où malheureusement ces giboulées ensoleillées saluent plus fréquemment les funérailles que les mariages des primates et autres animaux autochtones de la région.

Et en Asie justement ça donne quoi ?

En indonésien et malais au lieu de donner de la confiture aux cochons on donne des fleurs aux singes. Seperti Kera Mendapat Bunga. Les Japonais saluent leurs sens de l’équilibre et la virtuosité de leurs déplacements pour dire que l’erreur est humaine, qu’il arrive à tout le monde de se tromper on dit qu’il arrive aussi au singe de tomber de l’arbre (猿も木から落ちるsaru mo ki kara ochiru), mais ils utilisent aussi l’expression moins gentille de « copier comme un singe » 猿まねをする sarumane wo suru pour fustiger les imitateurs, les « singeurs ».

En chinois, la première expression nous ramène à l’astrologie chinoise, en nous donnant rendez vous « l’année du singe au mois du cheval » 猴年馬月(hóu nián mǎ yuè) c’est à dire quand les poules auront des dents. La deuxième nous fait trembler en tuant un poulet pour prévenir le singe, 殺雞儆猴( shā jī Jǐng hóu), c’est à dire en punissant quelqu’un de peu d’importance pour rappeler à l ‘ordre quelqu’un de plus important. La troisième nous prévient qu’il est inutile de gaspiller ses ressources pour tenter de décrocher la lune ou en l’occurrence de la repêcher, à l’image des singes qui y laissèrent leur peau (猿猴取月yuán hóu qǔ yuè). La quatrième fustige les usurpateurs en remplaçant notre habit qui ne fait pas le moine par le singe qui ne devient pas humain en portant une couronne…沐猴而冠 (mù hóu ér guàn), et la cinquième est utilisé pour dire de quelqu’un qu’il est laid, en l’espèce qu’il a la bouche en avant et le menton d’un singe 尖嘴猴腮 (jiān zuǐ hóu sāi)… à laquelle il suffira probablement de répondre « c’est ce’ui qu’il dit qui y’est » ou « t’as ouar ta gueule à la récré ».

Ah bah ça va mieux moi, ça m’a fait du bien de vous en parler !

Pour une bonne année du singe, disons « non » tous ensemble à l’huile de palme, même certifiée (1) : disons le dans nos vies quotidiennes en lisant les étiquettes avant d’acheter et sur les réseaux sociaux #saynotopalmoil. Pendant qu’on y est disons « non merci » aux plastiques à usage unique : pailles, sachets en plastiques, emballages, suremballages, sous-emballages !

Ouvrons les yeux et sacrifions un infime pourcentage de notre confort pour (égoïstement) conserver le seul habitat dont nous disposons et pour nous montrer bienveillants et à nouveau dignes de notre double « sapiens » perdu en 2003.

1.    a- les certificats s’achètent,
    b- les plantations les plus durables sont sur des terres qui, il y a au mieux trois générations d’orangs outans étaient justement l’habitat de ces mêmes Orang-Outang aujourd’hui brulés vifs, affamés, pourchassés en toute impunité pour faire baisser le prix de revient     de nos gels douches, shampoings, chips et biscuits : bravo l’espèce supérieure !
    c- La certification crée de la valeur à ce qui n’est pas certifié…copie, contrebande, besoins supérieurs à l’offre certifiée.
    d- La certification sert d’arbre qui gâche la forêt, si ces biscuits contiennent de l’huile de palme certifiée (oui mais 1 %, les 99 autres % ne le sont pas ? Et alors !).