Journée mondiale de la prématurité : dimanche 17 novembre
L’association SOS Préma se bat pour donner à tous les enfants prématurés les meilleures chances de bien grandir. Pour faire un don : https://www.sosprema.com/
Par Perrine Tavernier
Salut à toi mon grand garçon,
Aujourd’hui c’est à toi que j’écris, mon cœur, et peut-être que lorsque la crise d’adolescence sera passée, tu liras ces quelques lignes que ta maman avait écrite pour toi.
Tu es né le 3 février 2015 et tu aurais dû naître bien après…
Cela fait cinq mois que je suis allongée pour te garder bien au chaud dans mon ventre. Je suis alitée pour menace d’accouchement prématuré. Depuis des mois, je suis dans le canapé. Je prends ma douche en 4 minutes, ton père me prépare mes repas chaque matin avant de partir au travail et ma journée de cachalot échoué sur la banquise commence. Je suis suivie de très près et pour cause, les contractions s’enchaînent sans qu’on comprenne pourquoi. Je respecte à la lettre toutes les consignes données par les médecins, je ne bouge pas.
Cette nuit pourtant, je sens cette eau couler… Je préviens ton père qu’il faut partir à la maternité. Rien n’est prêt, c’est bien trop tôt.
Arrivée aux urgences, on me confirme que j’ai perdu les eaux et c’est le couperet. La sage-femme de garde reste à mes côtés en me répétant sans cesse : « Non madame, vous n’accoucherez pas ce soir… ». Sans le savoir, elle me faisait gagner de précieuses heures pour te garder encore un peu. La nuit s’est passé aux urgences avec ton père assis à mes côtés et toi dans mon ventre. J’ai tenu avec la force d’une lionne pour avoir ces deux injections de cortisone et que tu matures plus vite.
Tu es né le 3 février 2015 à 21h04. Nous n’avions pas voulu savoir si tu étais une fille ou un garçon et je me souviendrai toujours du regard de ton père en te découvrant… Heureux comme un pape ! C’était un accouchement sous haute surveillance, médecin, infirmière, sage-femme. Ils préparaient ce qu’ils appellent « ton atterrissage ».
Le temps d’un bref bisou, on t’éloigne de moi et je me retrouve seule. J’avais demandé à ton père de ne pas te quitter quoiqu’il arrive et il l’a fait, il ne t’a pas lâché. S’enchaînent ta réanimation et l’installation de toutes les machines qui vont t’aider à vivre. Tu ne sais ni respirer, ni manger, ni réguler ta température… Tu t’accroches malgré les injections d’antibiotiques avec ton cathéter et tous les examens que tu subis à la recherche de la bactérie, l’anomalie qui expliquerait pourquoi tu es né si tôt. Après des heures séparés, je te découvre dans cette salle de réanimation. Et cette culpabilité destructrice m’envahit. Je veux te demander pardon de ne pas avoir pu te garder dans mon ventre. Je m’étonne du silence, on n’entend que les machines, pas un pleur pourtant il y a d’autres bébés dans cette unité de néonatalogie. On m’explique que les prématurés n’ont pas la force de pleurer… Les 48 premières heures sont primordiales, le fameux atterrissage, nous les passons à tes côtés dans cette salle en te parlant sans pouvoir te prendre dans nos bras. Enfin, ce jour est arrivé où ce médecin m’a dit : « votre fils a atterri, il démarre son parcours de prématuré. »
48 heures de réanimation, 17 jours de soins intensifs, 11 jours de néonatologie et tu es rentré à la maison.
Le milieu hospitalier a été notre quotidien durant les deux premières années de ta vie. On a tout visité : les urgences avec les départs en ambulance à toute vitesse dans Paris, le service de neurochirurgie de l’hôpital Necker, la gastro-entérologie de Trousseau… Échographie abdominale, cérébrale, radio des hanches, des poumons, de la boîte crânienne, ton carnet de santé est une encyclopédie à lui tout seul.
Le temps passe et tu ne bouges pas. J’entends parler de retard d’acquisition motrice, on m’explique la nécessite d’ouvrir un dossier pour handicap et d’entrer dans un CAMPS*. On avait tellement traversé d’épreuves que je me fichais de savoir si tu allais marcher. Je voulais que tu vives en étant libre de penser, riche de tes rêves et de tes émotions. J’avais fini par m’habituer aux non-dits des médecins qui ne pouvaient pas se prononcer sur ton avenir. Un jour où le moral était bas, une pédiatre rock’n’roll (elle portait toujours un perfecto) m’a regardé et m’a dit : « Il marchera, et un jour il tapera dans un ballon ».
Et tu as marché.
Si on m’avait dit à cette époque qu’on aurait la folie de quitter tous ces gens qui nous ont accompagnés pour partir vivre à Hong-Kong, je ne l’aurais pas cru.
Aujourd’hui tu as presque cinq ans, tu parles français, anglais et même un peu chinois, tu vas à l’école. Tu adores lire des histoires, tu commences à écrire. Le toboggan n’est pas ton fort mais avec le foot c’est la grande histoire d’amour.
Tu es mon guerrier pour toujours.
Je t’aime,
Maman.
* Centres d’Action Médico-Sociale Précoce (CAMPS) établissement médico-social chargé de la prise en charge précoce des problématiques de handicap chez les enfants âgés de 0 à 6 ans.
Ma playlist
Artiste : Julien Doré
Titre : Chou wasabi
Album : Love
*Perrine Tavernier, Française arrivée à Hong-Kong il y a moins d’un an nous livre à travers une chronique humoristique, ses impressions de nouvelle expatriée au cœur du port parfumé.
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