Culture

Emilie Guillot : « Art était un choix incontestable »

Ecrite en 1994 par Yasmine Reza, « Art » est une pièce de théâtre qui ne laisse personne indifférent. Interprétée pour la première fois par trois grands noms du spectacle, Fabrice Luchini, Pierre Vaneck et Pierre Arditi, « Art » a été traduit dans 35 langues et joué dans plus d’une dizaine de pays dans le monde. S’attaquer à un monument du théâtre français, c’est le nouveau défi de la comédienne et productrice, Emilie Guillot. Trois amis se retrouvent et discutent autour d’une toile, nouvelle acquisition de l’un d’eux. De là, la discussion dégénère et le tableau passe au second plan jusqu’à revenir au centre pour sauver leur amitié. Trait d’Union a souhaité en savoir un peu plus sur la façon dont Emilie Guillot aborde cette nouvelle aventure.

Par Catya Martin

 

Trait d’Union : Pourquoi avoir décidé de monter cette pièce ?

Emilie Guillot : Non seulement je suis une grande fan de l’écriture grinçante de Yasmina Reza, mais aussi des histoires subtiles, à l’humour plein de finesse et de tact. Art était donc un choix incontestable. Yasmina Reza observe avec une étonnante acuité l’univers masculin, entre mesquinerie, ambition et importance du paraître. Je n’avais jusqu’alors pas encore abordé un texte dont les seuls personnages étaient masculins. Il est très poignant, court, peut-être facile et fluide à la lecture, mais cependant ses dialogues y sont très vivants, discordants et même très provocateurs. On se prend vite au jeu des répliques lancées par les personnages tels des duellistes. Voir des hommes aussi vulnérables, sensibles, se laissant porter par leurs émotions pour l’amour qu’ils se portent, provoque en moi un certain malaise. J’aime être bouleversée sinon je ne ferais pas du théâtre. Ces personnages-ci ont un message à nous faire partager. Je voulais être le canvas pour le transcrire.

Quel parallèle pourriez-vous faire avec la ville de Hong-Kong qui devient un lieu incontournable de l’art contemporain mais aussi moderne et le choix de cette pièce ici ?

Derrière la figure du tableau blanc sur fond blanc de l’artiste Antrios, c’est le statut de l’art qui est interrogé, à la fois comme outil de distinction sociale et intellectuelle, comme objet de jugement esthétique et enfin comme source de réflexion sur le théâtre, aussi bien dans sa dimension textuelle de page blanche, que dans sa dimension scénique d’objet de représentation offert aux regards des personnages et des spectateurs. Ce n’est pas tant parce que nous sommes à Hong-Kong – puisque finalement l’art contemporain peut se trouver partout dans le monde – mais plutôt grâce aux amateurs d’art de Hong-Kong qui ont envahi les rues ces derniers mois. Il est vrai que cela a suscité en moi une certaine curiosité et quelques questions auxquelles je ne sais toujours pas répondre. Qu’est-ce que l’Art ? Peut-on le définir ? Quelles en sont les règles ? Et bien d’une façon assez subtile et prononcée, Yasmina Reza nous interroge sur ces mêmes questions. Cette pièce est une œuvre critique sur l’art en général, mais également comment il peut être perçu. Je l’ai donc vu comme une critique envers la société de consommation qu’est devenu l’art de nos jours. Une forme très complexe pour laquelle je n’ai toujours, finalement, pas de réponse. Un spectacle tout simplement difficile à mettre sur scène de par cette subtile interrogation mais également tellement attachant qu’avec un peu d’imagination, les coups de pinceaux glissent de par eux-mêmes.

Cette pièce parle de l’amitié et touche à l’intime à travers une discussion sur l’Art. Quelle a été votre approche de travail ?

Nous avons passé des semaines à comprendre les relations entre ces quatre personnages, trois amis et un tableau. Toute l’action de la pièce converge vers la révélation des rancœurs et intérêts sous-jacents à cette amitié́ qui relie les trois personnages. Sous le couvert d’affection réciproque, les personnages se livrent à une lutte d’influence, et menacent, par des décisions nouvelles, l’équilibre qui régissait la relation. L’intrigue montre ainsi les différentes étapes de la désagrégation de celle-ci, amorcée par un objet en apparence insignifiant, la toile d’Antrios. Nos acteurs n’ont pas le même âge que les personnages représentés, il nous a fallu donc prendre de la distance avec le plus de justesse possible pour assurer la force de leur relation sans perdre la profondeur de cette dernière. Nos acteurs se connaissent et ont travaillé ensemble depuis maintenant plus de sept ans. Nous avons irréprochablement donc trouvé tous les points communs dont nous avions besoin pour dessiner ce tableau scénique. Nous avons dû décortiquer chaque phrase pour se les approprier pour finalement leur donner justice. Un travail de profondeur, un temps d’écoute et d’humilité dont les acteurs peuvent se féliciter.

Comment avez-vous préparé vos acteurs pour une pièce aussi réputée et donc attendue qu’Art ?

Une pression envahissante se fait connaître chaque semaine de travail. De par sa singularité opposante, cette pièce est loin d’être facile. Nous avons donc distingué chacune des personnalités pour que nos acteurs ne deviennent pas les Arditi et Lucchini que nous avons vu lors des représentations à Paris, mais plutôt pour qu’ils deviennent, de par leur propre particularité, de tout autres hommes qui émotionnellement finissent par se dévoiler. Une chose rare finalement pour des hommes. Maintenant ce n’est pas la première fois que HKTA produit des pièces connues. J’évite tout simplement toutes sortes de pression morale lorsque je m’y aventure. Nous sommes là pour explorer et nous inspirer des chef d’oeuvres d’autres artistes. Nous sommes ici pour partager l’art du théâtre, le jeu. Il est important de rester très honnête avant de s’embarquer dans un travail périlleux. Je ne permettrais certainement pas de produire un spectacle si je n’avais pas les talents pour. Peut-être suis-je trop ambitieuse ?

Qui avez-vous choisi pour interpréter les trois seuls personnages de cette pièce et pourquoi eux ?

Trois artistes très connus de la scène HKTA !! Lenny B. Conil, qui me supporte depuis la création de HKTA – car soyons honnêtes il faut une volonté de fer pour être comédien – a interprété un bon nombre de rôles principaux comme Pierre Brochant dans « Le dîner de cons » ou même Pierre Mortez dans « le Père noël est une ordure ». Des rôles très différents les uns des autres. Un caméléon d’une patience exigeante et d’une volonté très rigoureuse. Un plaisir de travailler avec lui. Il ne serait pas l’acteur accompli qu’il est, sans ses partenaires. Bertrand Leduby, acteur féroce depuis plusieurs années, entre Paris et Hong-Kong, il est notre vétéran. (Je pense que je viens de perdre un acteur) Par vétéran j’entends sa maturité de jeu et son éloquence à la justesse qui, pour le coup, imposent un jeu propre, approfondi et original. Il est l’un de ces comédiens qui passe son temps à étudier par tous les moyens possibles, les traits de caractères que son personnage suggère. Un torturé à la perfection. Une joie en tant que metteur en scène puisqu’il est constamment dans la recherche et dans les propositions. D’ailleurs ils le sont tous. Nos cours leur donnent tous les outils dont ils ont besoin pour être les comédiens qu’ils sont aujourd’hui. Enfin, Paul Milon, notre cadet un jeune homme qui a su, au cours des sept années au sein d’HKTA, accepter ses faiblesses pour finalement en jouer, et également, développer ses forces de jeu. Il est d’une humilité grandissante mais surtout d’une réflexion intrigante – parfois trop académique – mais finalement lui permettant les fondations dont il a besoin pour construire les personnages qu’on lui offre. Je suis ravie d’avoir un groupe d’acteurs comme celui-ci.

Quel message voulez-vous transmettre à travers cette représentation ?

L’amitié comme elle est représentée dans la pièce, est une chose que je ne connais guère. J’ai passé ma vie à parcourir le monde depuis que je suis gamine. Je n’ai eu disons que des amis « temporaires ». Il y a pourtant, et ce grâce aux quelques amis qui me supportent aujourd’hui puisque je suis maintenant posée, une couleur singulière. La couleur de l’amour. L’amour je connais. Nous le connaissons tous d’une manière comme une autre. Cette pièce inspire à l’humain. Aux relations humaines. L’espoir que l’on porte à ceux qui nous entourent. La parole est un élément constant ici. Elle acquiert une fonction nouvelle mais vitale puisqu’elle enfreint les interdits sociaux et énonce l’indicible qui régit habituellement les rapports d’amitié́. La multiplication rationnelle des aveux se heurte aux émotions ressenties par les personnages, les entraînant vers l’affrontement physique ou les pleurs qui prennent alors le relais d’une parole devenue insuffisante. J’aime lorsqu’une écriture dialoguée invite à la réflexion sur les relations humaines, sur nous-mêmes et notre perception des problèmes que nous rencontrons dans la vie. L’amitié n’est pas un tableau que l’on acquiert gratuitement. Nous devons constamment payer le prix fort pour en conserver sa vraie valeur.

Quelles sont les actualités de HKTA ?

Nous sommes heureux d’annoncer que HKTA à de nouveaux mécènes pour l’année 2017-2018. Plusieurs projets au rendez-vous. Reprise des cours d’art dramatique pour adultes mais aussi pour ados dès septembre prochain. Avec bien entendu notre spectacle de novembre. Je n’en dis pas plus. Il faut aussi savoir garder un peu de suspens. Stay tuned. Tout vous sera révélé très bientôt.

Le site internet : hkta.org.hk 

La page Facebook