Economie

“Au mieux vous connaissez le vin, au plus près vous êtes du Bourgogne…”

Unanimement reconnue en Bourgogne, la maison Joseph Drouhin, fondée en 1880 et située dans le cœur de Beaune, dans l’ancien parlement de Bourgogne, ne cesse d’innover, notamment dans les domaines de la viticulture biologique et biodynamique. Présente dans le monde entier, la maison se donne comme priorité, avec ses vins, la mise en lumière de la diversité du terroir bourguignon. Laurent Drouhin, directeur export «Joseph Drouhin » était présent au salon Vinexpo à Hong-Kong, le 25 mai dernier, et a accepté de nous en dire plus sur cette maison historique et sur l’évolution du marché des vins de Bourgogne en Asie. Interview.

Propos recueillis par Isabelle Chabrat (avec Catya Martin)

Trait d’Union : Vous représentez la 4ème génération de la maison Drouhin, parlez-nous de l’évolution de votre maison dans le monde, et de l’aventure américaine en Oregon ?
Laurent Drouhin : Une structure familiale créée en 1880, par Joseph Drouhin, mon arrière grand-père et qui était une maison de négoce. En 1918 mon grand-père Maurice Drouhin a démarré le domaine avec le Clos des Mouches, puis en 1957 le développement avec des investissements faits dans la région de Chablis. Enfin la 4ème génération que je représente avec ma sœur et mes deux frères a développé, au milieu des années 80, les Etats-Unis avec l’aventure de l’Oregon.
Aventure extrêmement enrichissante intellectuellement et « oenologiquement ». Dans une région essentiellement constitué de champs de blé, il y avait quelques “fous furieux” qui produisaient du vin et mon père a vu le potentiel de cette région pour produire de très belles choses. Quand il a commencé à investir, il y avait à peu près 25 producteurs, il y en a plus de 600 aujourd’huis. L’ensemble de l’économie d’Oregon a changé avec l’arrivée de la famille Drouhin, et on n’hésite vraiment pas à le dire.

Revenons en Asie. Que vous apporte cette venue à Hong-Kong ?
Vinexpo à Hong-Kong, c’est le centre de l’Asie et du développement. Au cours de ces dernières années, la Chine a été vue comme l’Eldorado, potentiellement cela reste un marché extrêmement intéressant. C’est une région du monde en pleine évolution sur le vin, qui est encore très jeune, le niveau d’éducation des consommateurs varie suivant les pays, mais en termes de consommation per capita, il y a un potentiel absolument phénoménal.

Une zone avec un potentiel d’évolution également au niveau du goût, vers le haut de gamme ?
En fait quand on parle d’éducation des consommateurs, il y a l’éducation du palais et l’éducation sur les régions viticoles et ce que les différents terroirs peuvent offrir. On sait que le potentiel est là, on essaye de les éduquer sur le goût, cela prend du temps, énormément de temps, d’arriver à les amener à des vins de Bourgogne, à comprendre les subtilités, les différences de complexité. Ensuite, il y a la distribution en elle-même des vins. Un marché mûr est un marché dont la distribution est parfaitement organisée, structurée, or on part encore dans toutes les directions sur les marchés asiatiques, même s’il y a des opérateurs sérieux.

La maison Drouhin offre une gamme de 90 appellations issues des cépages Pinot noir et Chardonnay, combien sont présentes en Asie ? Est-ce que cela s’ajuste par rapport au goût du marché ?
Dans l’ensemble ce sont des vins de terroir, mais il y a deux catégories de vins sur la Bourgogne : les vins dits « haut de gamme », qui sont produits en très petite quantité parce que les surfaces viticoles sont toute petites (Montrachet), et puis il y a les appellations dites de volume : Bourgogne rouge, Bourgogne blanc, Chablis, etc… On essaie de mettre en avant dans notre développement à la fois ces grands vins et d’avoir une approche un petit peu plus technique sur des vins dits d’entrée de gamme pour inviter les consommateurs à venir découvrir le monde des vins de Bourgogne. On produit effectivement à peu près 90 appellations, toutes sont exportables sur Hong-Kong, mais dans la pratique, seulement une vingtaine sont présentes.

Aujourd’hui, le vin de Bourgogne est-il plus connu qu’il y a 20 ans ?
Le Bourgogne est plus connu, mais il n’en est pas forcement plus consommé. Les vins de Bordeaux continuent à dominer les marchés asiatiques.

Ce sont les Chinois qui achètent en priorité le très haut de gamme ?
Le très haut de gamme est acheté partout dans le monde, pas uniquement par l’Asie.

Les Chinois s’intéressent de plus en plus aux vins de Bourgogne, cela fait-il augmenter le prix ?
Ces dernières années, les prix des vins de Bourgogne ont fortement augmenté. Certains ont tendance à dire “c’est parce que les Chinois achètent”. C’est faux, c’est uniquement dû au fait que la nature n’a pas été généreuse pendant les quatre dernières années avec des récoltes très petites, une demande en parallèle dans certaines régions du monde stable, voire en augmentation. La région Bourgogne a su rester authentique, elle a attiré de plus en plus de consommateurs, et en même temps l’offre a diminué, naturellement il y a eu une tension.

Les nouvelles règlementations mises en place en Chine (lois anti-corruption) ont-elles touchées le secteur du vin ?
Cela a fortement freiné la frénésie qu’il y avait sur les grands vins. Certains achetaient, ne goûtaient même pas, ils ne savaient pas ce qu’il y avait dans la bouteille, mais le nom faisait qu’ils achetaient les yeux fermés. Chez nous cela touchait des vins comme le Musigny, le Montrachet, bien sûr les grands châteaux de Bordeaux, les vins du domaine de la Romanée-Conti. En fait ils buvaient des étiquettes. Il y a donc eu un tassement des ventes en valeur sur les grands vins, cela a permis de ramener tout le monde à la raison en disant : il faut structurer un marché, il faut éduquer les consommateurs. C’est une bonne chose.

Quelle évolution prévoyez-vous pour la maison Joseph Drouin sur l’Asie ? Une distribution classique qui essaie de progresser sur ces valeurs de terroir, de famille ?
Oui on construit solidement avec des bases qui sont : loyauté, authenticité. Notre volonté est avant tout d’amener les consommateurs à nos vins, sans les bombarder de marketing, en s’appuyant sur un réseau d’agents dans les différents pays asiatiques, des agents qui soient solides et qui n’aient pas une vision à court terme, mais on ne peut pas ignorer le développement des ventes en direct, par internet.