Economie

Rue Madame fête ses dix ans

Après avoir débuté une carrière dans la finance, Rothschild ou encore Goldmann Sachs, Ariane Zagury a décidé de venir s’installer, en 2008, à Hong-Kong. C’est alors dans un tout autre domaine qu’elle va s’épanouir et trouver sa voie, la mode. « Je n’avais pas vraiment de de passion dans mon travail et ne me sentais pas heureuse, en revanche évoluer dans ce métier m’a vraiment appris, notamment le sens du défi et je suis ravie de l’avoir fait », explique-t-elle. Ouvert à Hong-Kong en 2010, le premier « concept store » Rue Madame est un succès, depuis, l’enseigne qu’elle a créée fait partie intégrante du paysage de Hong-Kong. Ariane a souhaité garder la même philosophie qu’à ses débuts, l’objectif reste de fournir les meilleurs produits et services à un prix raisonnable avec la même énergie, la même passion et surtout le même amour des gens. Rencontre avec une entrepreneuse passionnée. 

Par Catya Martin

 

Trait d’union : Vous dites avoir appris à travailler lorsque vous étiez dans le secteur de la finance. C’est à dire ?

Ariane Zagury : Mon début de carrière peut s’apparenter à une sorte de business school. J’y ai appris la rigueur, l’attrait du travail bien fait, l’excellence mais aussi à sceller des contrats.

C’est aussi là que j’ai compris que j’étais différente. J’ai très vite compris que je ferais ma route en étant meilleure que les autres mais en étant différente. A l’école on vous apprend surtout à être meilleur. J’ai quitté la banque lors de ma grossesse et c’est à ce moment-là que nous sommes partis, avec mon mari, pour Hong-Kong.

 

Vous avez tout de suite décidé de créer votre société ?

D’abord j’ai eu mon premier enfant et ensuite j’ai voulu reprendre une activité professionnelle. J’ai commencé à passer des entretiens mais la passion n’était pas là. Durant cette période, j’ai, rencontré beaucoup de femmes qui se plaignaient de ne pas trouver de vêtements à leur goût et elles étaient surprises de ne pas voir dans les boutiques les marques présentes en Europe. C’est de là que le projet de Rue Madame est venu.

Monter les magasins, les aménager, c’est ce que vous aimez ?

En fait j’aime profondément faire plaisir aux gens. Mon métier de rêve n’était pas d’être acheteuse mais plutôt vendeuse. Ma passion est de voir une cliente sortir de la boutique heureuse, ce qui compte avant tout pour moi c’est de la voir satisfaite. C’est d’ailleurs ce que j’explique à mes équipes. Le plus important dans ce métier est de voir une cliente heureuse, même si elle repart de la boutique sans rien. C’est notre philosophie.

 

Hong-Kong, Singapour, Macao en ligne, où en est votre réflexion pour la Chine ?

Je devais me rendre en Chine pour finaliser notre installation l’année dernière juste après le nouvel an chinois, mais malheureusement les mesures liées à la pandémie ont tout arrêté. Ce n’est que reporté et non annulé donc nous avançons avec les ventes en ligne. 

 

Dans quelle région de Chine ?

Nous programmons une installation dans le sud. J’ai souhaité que notre entrée sur le continent se fasse près de Hong-Kong afin de pouvoir y aller le plus souvent sans que cela perturbe mon travail ici et ma vie de famille, je suis maman de quatre enfants (NDLR : trois filles et un garçon de 12 à 1 an et demi). Ce n’est pas simple de travailler avec des entités basées à 10.000, 5.000 ou même 3.000 kilomètres.

 

Vous l’avez pourtant fait avec Singapour ?

Justement, Singapour a été une véritable expérience pour moi avec cette distance et surtout le fait de ne pas pouvoir y être à tout moment. C’est après cette expérience que j’ai décidé de rester proche de Hong-Kong, en Chine certes, mais proche.

C’est aussi une des raisons qui fait que pour le moment nous ne sommes pas à Taiwan ou ailleurs. C’est déjà très compliqué d’ouvrir un nouveau marché donc s’il faut en plus gérer la distance c’est encore plus difficile, surtout si on souhaite bien faire les choses.

Aujourd’hui nous avons quatre magasins à Singapour et d’autres sont en prévision mais cela a pris beaucoup de temps, notamment pour apprendre à fonctionner à distance.

 

Lorsque vous vous retournez en arrière, 10 ans après, quel est votre bilan ?

J’ai tendance à voir ce qui ne va pas, donc je vais recenser toutes les choses que je n’ai pas pu faire ou qui ont été mal faites. Mais je reconnais quand même que c’est plutôt bien, même si, en général, je regarde très rarement derrière. Il faut aller de l’avant. 

Ce qui est sûr c’est qu’on ne savait pas vraiment dans quoi on s’engageait il y a dix ans. Le principal aujourd’hui est d’avoir pu satisfaire un grand nombre de personnes.

Combien de boutiques avez-vous aujourd’hui ?

Rue Madame Fashion Group compte entre 35 et 40 magasins et avec, en plus, les ventes en ligne. Pour Rue Madame, les multimarques, nous avons sept boutiques dont deux à Singapour où nous avons aussi deux boutiques American Vintage. A Macao il y a Phase Eight et Hobbs. 

Parlez-nous de de la petite dernière « Clemence by Rue Madame »

C’est un projet que j’aime. Ça commence à se développer. Rue Madame propose des marques et je voulais proposer des produits plus accessibles. Je le fais avec Clemence by Rue Madame. C’est un peu la petite sœur de Rue Madame avec des produit faits par nous. 

Ce que veulent nos clientes aujourd’hui c’est un produit fait par nous de bonne qualité. Nous avons par exemple une collection de cachemire ou encore des sacs en cuir fait en Italie qui sont très appréciés.

 

Durant ces dix années, quels ont été vos grands moments ?

Je peux vous en donner deux.

Le lendemain de la naissance ma deuxième fille, j’ai reçu un appel du président du groupe Sandro Maje Claudie Pierlot, pour m’annoncer, qu’il avait obtenu l’accord de son conseil d’administration pour ouvrir Hong-Kong et Macao avec moi. A l’époque j’avais une toute petite structure et tout le monde voulait travailler avec eux. C’était juste inespéré.

Je venais tout juste d’accoucher et d’avoir cette formidable nouvelle, le bonheur total.

Ensuite, il y a une autre marque pour laquelle je me suis battue, je la voulais, il s’agit de Sweaty Betty. Je n’avais plus de nouvelles depuis un an et un jour, je reçois un courriel du patron qui m’indique arriver en ville et me fixe une réunion. J’étais enceinte, et à une semaine d’accoucher de mes jumeaux, je suis arrivée à la réunion, et là il m’annonce qu’on travaille ensemble. Ces deux grands moments sont aussi la définition de ce qu’est la vie d’un entrepreneur, le personnel et le professionnel sont souvent liés.

 

Quel conseil donneriez-vous à un jeune entrepreneur ?

De la façon la plus simple et la plus directe, il faut faire ! 

Il faut mettre les mains dans le cambouis. Etre entrepreneur c’est avoir plusieurs casquettes. Les six premiers mois de Rue Madame, je n’avais pas encore de personnel, j’ai donc fait la vendeuse, la femme de ménage, l’acheteuse ou encore, la comptable.

C’est comme ça que j’ai appris.

 

Les négociations avec les propriétaires ne sont pas simples ici. Comment avez-vous fait et comment vos relations ont-elles évolué ?

Au début je suis arrivée en leur parlant de « luxe abordable », là où dans leur galerie marchande il y avait des étages entiers de jeans. Au début, je n’avais pas vraiment de crédibilité dans ce milieu, ils ne savaient pas de quoi je parlais. Puis les années aidant et les ouvertures aussi, nous sommes devenus crédibles. 

Notre stratégie est d’essayer de ne plus travailler avec les « mauvais » propriétaires mais uniquement avec les bons. Après 10 ans, je pense avoir identifié ceux avec qui je veux travailler.

 

Quelles sont les conséquences de la pandémie pour vous ?

On est exposé en ville avec nos boutiques, et cela fait deux ans car il y a eu les manifestations avant. Nous constatons une situation différente en fonction des marques, certaines tiennent et d’autres pas. C’est la même chose pour certaines galeries marchandes.

Au sein du groupe nous avons toujours une politique dite de « père de famille ». Nous essayons donc d’anticiper avec des réductions de coût et un repositionnement de notre portefeuille. Cela suppose donc des ouvertures mais aussi des fermetures. Pour vous donner un exemple, l’année dernière nous avons ouverts onze magasins entre Hong-Kong, Macao et Singapour et en avons fermés trois qui ne faisaient plus sens.

 

Ou pensez-vous être dans dix ans ?

J’espère que nous aurons fait un très beau bout de chemin. Nous faisons beaucoup d’efforts pour le développement durable aujourd’hui. J’espère que d’ici dix ans nous aurons fait un énorme effort sur l’ensemble de ces sujets.