Paul Bocuse a rejoint les étoiles
Pape, empereur, icône mondiale de la gastronomie française, Paul Bocuse a rejoint les étoiles à l’âge de 91 ans. A Hong-Kong qui se dispute avec Tokyo le titre de capitale gastronomique d’Asie, l’émotion est grande dans la grande famille des chefs et des gourmets.
Par Philippe Dova
A Hong-Kong, la nouvelle de la mort de Paul Bocuse est tombée en plein « coup de feu » le samedi 20 janvier à l’heure du dîner.
Dans les cuisines des restaurants gastronomiques de la ville, où de nombreux chefs français travaillent, la stupéfaction a fait place à une immense tristesse.
« Monsieur Paul a marqué tous les cuisiniers, c’est un peu un exemple de gentillesse et d’une certaine idée de la cuisine française qui nous quitte. Si je suis à l’étranger aujourd’hui c’est un peu grâce à Paul Bocuse, c’est lui a ouvert positivement le star système ! Les gens le reconnaissaient dans la rue, il a ouvert les premiers restaurants à l’étranger, aux Etats-Unis, au Japon… Plus que des cuistots, Il a fait connaître les cuisiniers comme des entrepreneurs représentant cet artisanat français qui est quand même assez unique.
J’ai travaillé aux côtés de Pierre Gagnaire qui aimait beaucoup Paul Bocuse, il m’en parlait souvent et je pense qu’il doit être très ému », témoigne Philippe Orrico le chef de On Dinning.
Dans la salle où certains convives viennent d’apprendre la nouvelle par des messages d’alerte sur leurs téléphones, les réactions sont unanimes « Je connais son établissement depuis quarante ans, je suis très triste. Il était tout simplement le meilleur ! C’est lui qui a inventé la nouvelle cuisine à l’époque de Gault et Millau. Il y a une quinzaine d’années nous avions fêté l’anniversaire de mon épouse et il nous avait reçu merveilleusement bien malgré son grand âge », se souvient un père de famille dînant avec ses enfants installés à Hong-Kong.
A la table voisine, Eric-Jean Thomas, co-fondateur du cabinet Thomas Mayer et Associés n’arrive pas à y croire. « C’est un grand monsieur qui disparaît, il laisse un héritage extraordinaire. Il a inspiré des générations de cuisiniers et de gourmets. C’est très émouvant d’apprendre sa mort. Je l’avais rencontré à Rio de Janeiro où je me trouvais pour une mission. J’étais à la piscine de l’hôtel Méridien, j’ai vu un homme habillé en chef cuisinier s’installer avec des dossiers à une table et réalisé que c’est Paul Bocuse. Comme Pierre Gagnaire ici avec le restaurant Pierre, il avait le restaurant gastronomique du Méridien et passait une semaine pour mettre en place les menus. Nous avons discuté ensemble, il était très chaleureux. Je suis vraiment très triste ».
« Je suis triste parce que son nom et son œuvre étaient connus partout et donc aussi en Italie d’où je viens », réagit un autre convive du restaurant.
Au vingt-cinquième étage de l’hôtel Mandarin Oriental, l’émotion est immense au sein de l’équipe du restaurant Pierre de Pierre Gagnaire. « Je l’avais connu à Genève lorsqu’il était au Mandarin Oriental et l’avais revu une autre fois. Il avait une personnalité incroyable. Je garde le souvenir de sa prestance et de la soupe V.G.E. ! Je suis très triste, c’est une grande perte pour la gastronomie française », explique Laura Latry la directrice du restaurant.
« J’ai eu la chance d’aller dans son restaurant au mois de juin l’été dernier, c’était un rêve d’enfant, un rêve de jeune lorsque j’étais sorti de l’école hôtelière. C’est un grand monsieur de notre profession qui s’en va, c’est très triste », ajoute Hubert Chabot le chef sommelier. « Nous perdons notre père spirituel, il nous laisse un sacré héritage. C’est le symbole français et mondial de notre beau métier, la cuisine », complète le sous-chef Julien Albert Reibel.
Chef pâtissier du restaurant, Alexandre Brusquet l’a été auparavant pendant sept ans pour le groupe Paul Bocuse. Une période qu’il évoque les larmes aux yeux. « J’ai commencé en 2002, Monsieur Paul n’était plus vraiment derrière les fourneaux mais très souvent le matin lorsque j’arrivais à Collonges il était déjà là en train de vérifier mes frigos, cela mettait une certaine pression ! Tous les matins il était là, toute la brigade passait en disant bonjour Monsieur Paul. Il y avait beaucoup de rigueur, il m’a appris l’amour du travail bien fait, le respect des autres, la passion du métier. Je lui dois beaucoup. »
Au chapitre des bons souvenirs le jeune chef pâtissier est intarissable mais deux en particulier sont inoubliables. « Lorsque j’ai passé l’entretien à la Brasserie de l’Est, j’avais tout juste 18 ans et ma mère m’avait accompagné à Lyon pour la circonstance. Monsieur Paul était assis à une table en terrasse. Lorsque nous sommes passés à côté de lui, il a parlé avec nous puis nous a invité pour le déjeuner. J’étais vraiment impressionné ! Une autre fois, j’avais préparé un mille feuilles à Collonges et il souhaitait y goûter. Je lui avais coupé une toute petite part car il ne voulait pas en manger beaucoup mais dix minutes après il est revenu en cuisine en me demandant où était le reste du mille feuilles car il l’avait trouvé délicieux et n’en avait pas eu assez ! La mort de Paul Bocuse pour un cuisinier est au même niveau que celle de Johnny Hallyday pour un rocker. C’était un monument de la gastronomie française », conclut Alexandre Brusquet.