Chronique

#MeToo #Balancetonporc

Par une fille en Chine (http://unefilleenchine.com)

Lille, 1992, classe préparatoire

La première fois que je l’ai vu, il traversait la cour. Un beau mec, en costume avec un attaché case. La seconde, c’était dans les toilettes des filles. En train de lorgner au dessus de la porte entre les cours, dans le bâtiment des prépas. De face, difficile donc de ne pas voir sa tête à lunettes dépasser de la porte. Sur le coup ça m’a surprise, et presque fait rigoler : le type s’est perdu ? Il a fait un pari avec ses potes ? Une semaine plus tard, même scénario. Là ça m’a fait beaucoup moins rire ; j’en ai parlé aux copines et à l’administration.

Jusqu’à ce que je retrouve le goret dans les toilettes de l’internat deux semaines plus tard, perché sur la cuvette des toilettes de la cabine de derrière, en train de profiter du spectacle avec délectation par dessus la cloison. Je me souviens avoir paniqué et hurlé autant que je pouvais, et être sortie des toilettes en même temps que lui, qui essayait de me calmer en m’expliquant qu’il ne me voulait pas de mal (ce que je comprenais en plus). Tout le couloir est sorti, et un dénommé Benoit de prépa HEC caché dans la chambre de sa copine est arrivé, faisant fuir le goujat qui a compris que je ne me calmerais pas (comme quoi c’est toujours bien d’avoir un brave gars caché dans un internat de filles).

J’ai prévenu l’administration que je partais au poste de police et une CPE m’a accompagnée, après que l’on m’ait quand même demandé (un mec) si cela en valait bien la peine… Mauvaise pub pour le prestigieux lycée ? Le policier de service m’a expliqué que le cas se voyait régulièrement, que ce n’était pas a priori quelqu’un de dangereux mais juste d’un peu détraqué, «à qui il suffisait peut-être même d’écouter les bruits dans la cabine d’à côté pour trouver son plaisir», et proposé de passer en revue un fichier d’individus susceptibles de correspondre au profil. Sur des fiches papier à l’époque, un bon paquet dans lequel je n’ai pas reconnu mon client.

Plus de peur que de mal ? Aucune agression physique certes, et c’est une chance car je me suis quasi trouvée paralysée par la panique quand c’est arrivé et n’aurais pas su me défendre. Mais un vrai traumatisme pour l’étudiante stressée que j’étais, et la hantise d’utiliser des toilettes publiques pendant une bonne dizaine d’années.

Il y a eu depuis un photographe furtif qui agissait sous les jupes dans le métro de Lyon (1994), un exhibitionniste à Barcelone (1995), et une main sous ma jupe au rayon frais d’un Super U de Normandie en 2000, alors que j’étais penchée sur « le bac » pour réaligner mes packs de yaourts nature. Rapide, efficace et discret, je n’ai pas vu qui c’était (pas le chef de rayon c’est déjà ça !).

Que de « petites histoires » finalement, malheureusement banales, j’aurais presque tendance à penser que « je ne m’en tire plutôt pas mal » par rapport à d’autres. Mais des expériences qui m’ont quand même beaucoup marquée, et que je ne souhaite pas à nos filles.

Rien à signaler en Chine depuis 15 ans, à part les « Faguoren hen piaoliang* » des chauffeurs de taxi – juste un compliment, ils disent ça à tout le monde – ou l’Occidental un peu lourdingue en goguette à la foire de Canton, à la terrasse du pub du coin pendant que j’attendais les copines :

« Mademoiselle vous voulez que je vous aide à commander ? – Pourquoi ta mère elle parle chinois ? Moi oui »

A peine un sifflet assorti d’un bruit de bisou par un cycliste local d’une cinquantaine d’année l’an dernier, alors que j’attendais une livraison quasi en pyjama devant ma résidence sur le coup de 23:30 (hé oui ça peut livrer tard ici). Aucun danger, le gardien était à côté et le cycliste n’a même pas ralenti. J’avais un peu oublié que ça existait par contre, ça faisait des années que l’on ne m’avait pas sifflée.

De la chance ? Peut-être. Je n’ai pas abordé le sujet avec des amies chinoises et je ne livre que mon expérience en tant que Française. Je sors régulièrement seule très tard (ce que je ne fais pas en France) et n’hésite pas à m’habiller court si j’ai envie, comme tout le monde ici (les visiteurs français sont souvent très étonnés de la longueur des jupes, très, très courtes). Jamais eu de souci non plus dans les transports bondés, ou ailleurs.

Je me réjouis de la libération de la parole de toutes les femmes victimes de comportements inadaptés en ce moment, et de la prise de conscience des hommes que ce qui peut leur sembler un tout petit rien ou juste une blague peut être perçu très différemment par leur interlocutrice.

Un grand merci et beaucoup de courage à toutes celles qui dénoncent leurs porcs … pour une société meilleure !

* Les Françaises sont très belles