Chronique

Lettre à un ami

Alors voilà. Voilà. C’est comme ça…C’est comme ça. Je…Je pense qu’à la longue on doit s’habituer… à ce confinement, à ces restrictions, à ces atteintes à nos libertés. A cet enfer.

Par Sophie Lemarent Ross

 

Je t’entends parfois te plaindre, mon cher ami hongkongais, alors que plus de la moitié de la population mondiale est actuellement enfermée dans un espace clos. Tu as de la chance, prends en conscience. Tes facultés de mouvement ne sont que partiellement abolies. Tu peux toujours déambuler librement aux quatre coins de ton territoire sans avoir à présenter une quelconque autorisation.

Les frustrations ne doivent pas t’écarter de l’essentiel, l’amertume t’aveugler. Les interactions sociales – bases de plusieurs niveaux de la théorie, non pas pyramidale comme son auteur voulait la borner, mais dynamique de Maslow – ne sont foncièrement pas perturbées. Elles jouent toujours leurs rôles cruciaux de repères et d’échange.

 

Le stade du miroir

Chacun cherche dans « l’autre » une image de soi-même. Cet « autre », outil de comparaison, est incorporé dans la structure psychique de l’individu pour notamment lui permettre les processus d’identification et de différenciation.

De là des psychologues ont élaboré le concept de « stade du miroir ». Celui-ci définit les mécanismes d’élaboration de la conscience de soi à partir d’images réfléchies par un « objet » (cet « objet » pouvant être un être vivant). La personne endosse des composantes qui caractérisent sa personnalité et récuse celles qui ne la qualifient pas. La « relation d’objet » est d’ailleurs le rapport d’un individu avec les éléments constitutifs de l’environnement dans lequel il évolue.

En partie inconscient, ce procédé est le fondement même de notre rapport à autrui et à nous-mêmes. Donc de notre construction – ou pour reprendre les théories de penseurs tels que Pierre Bourdieu ou Jean Piaget, de notre « constructivisme structuraliste ».

 

L’éthique, de Nicomaque à Carrie Lam

S’il existe un parallèle conforme entre les manifestations récentes que connaît Hong-Kong et des événements de l’histoire de France, il est assurément plus convenable de faire référence à Mai 68 plutôt qu’aux « gilets jaunes ». Les ressorts profonds et le contexte socio-économico-politique sont bien plus proches, ils ont en filigrane la lutte contre une forme d’autoritarisme.

Mais sur ce point mon ami, André Malraux peut t’apporter un éclairage nouveau : « Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas. La prophétie est ridicule ; en revanche je pense que si l’humanité du siècle prochain ne trouve nulle part un type exemplaire de l’homme, ça ira mal… Et les manifestations [de mai 68] et autres ectoplasmes ne suffiront pas à l’apporter. »

Tu comprends aisément que la caution culturelle du général fait ici mention de la question centrale de l’humanité, celle qui d’Athènes à Mongkok en passant par les faubourgs marranes d’Amsterdam a toujours questionné les relations humaines : l’éthique.

 

« Il est plus facile à l’imagination de se composer un enfer avec la douleur qu’un paradis avec le plaisir »

L’enfer, c’est les autres. Tout le problème est qu’ils sont aussi le paradis.