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Les temples d’Angkor ou les merveilles de la “forêt magique” de l’empire khmer

Ne rêve-t-on pas, ne serait-ce qu’une fois, de voir soi-même certains vestiges des temps anciens ? Sans doute, Angkor Wat figure-t-il quelque part sur cette liste. Outre la majesté impressionnante d’un sanctuaire que les archéologues s’évertuent encore de mettre à jour ou de restaurer, l’ensemble archéologique du parc d’Angkor nous étonne par son étendue et par la richesse inestimable.

Par Christian Sorand

La ville de Siem Reap demeure l’étape incontournable pour se rendre au parc d’Angkor. Le titre d’accès au parc s’achète à la journée ou pour un maximum de trois jours. La profusion des sites, la fatigue provoquée par une multitude d’escaliers vertigineux et surtout la chaleur tropicale moite, font qu’il est préférable de prévoir deux journées au moins, voire trois, cette dernière option étant plus confortable.

La richesse architecturale d’Angkor Wat
Comment décrire l’émotion ressentie face à cet ensemble suscitant une profonde admiration mêlée de spiritualité ? Œuvre de Suryavarman II, la construction s’est faite de 1112 à 1152 de notre ère. On est instantanément saisi par l’immensité du plan architectural. On réalise après coup le soin particulier apporté à la symétrie. En franchissant les marches du sanctuaire, la qualité et l’art des fresques murales, la ronde des Apsaras (1) et l’extraordinaire ingénierie de l’architecture nous laissent muets d’étonnement. Or, il est clair que les mains des bâtisseurs ont visiblement voulu inscrire un message dans la pierre.
Creusée à main d’homme, la douve, forme un plan d’eau rectangulaire, d’où surgit l’île abritant le sanctuaire. On atteint une première enceinte rectangulaire et dans laquelle se trouve une statue monumentale (3,25m de haut) du dieu hindou Vishnu aux huit bras. Le temple d’Angkor Wat lui est dédié.
On poursuit le chemin sur une allée pavée. Cette dernière est bordée des deux côtés par une balustrade de pierre, jalonnée par une armée de Nagas (2) à sept têtes. Le chiffre 7 est associé à l’arc-en-ciel symbolisant le pont reliant les hommes aux dieux. Après avoir dépassé deux petites constructions symétriques (les anciennes bibliothèques monastiques), on atteint deux plans d’eau avant d’arriver à une esplanade surélevée sur laquelle se dresse, majestueusement, le sanctuaire proprement dit, haut de trois étages.
Cinq prangs (3), épousant la forme d’un bourgeon de lotus, s’élèvent au-dessus du plan carré de la construction : quatre à chaque coin et une tour centrale plus haute que les autres (renfermant le sanctuaire de Bakan).

Ces tours sont une représentation du massif du Meru, royaume des dieux. Évidemment, le prang central symbolise le mont Meru, lui-même. Le carré terrestre, marqué par le chiffre quatre, s’allie au un central pour former une troisième combinaison impaire : le cinq. Ainsi, le symbolisme des figures géométriques s’associe-t-il à l’arithmétique du mystère des chiffres impairs : 9, puis 7, et 5 enfin, à travers lesquels on perçoit également les éléments de la trilogie indienne. Il s’agit d’un ordre décroissant jusqu’au chiffre 1 (le prang central).
Allons plus loin dans les arcanes magiques du sanctuaire.
Le temple d’Angkor possède une autre particularité.
Contrairement aux autres édifices sacrés, il est orienté vers l’Ouest. Dans la tradition hindoue, il s’agit de la direction de la mort (celle du soleil couchant).
En réalité, le temple d’Angkor est une représentation terrestre de l’univers. Le massif mythologique du mont Meru (chiffre 5), surplombe les continents (les cours intérieures basses) et les océans (la douve). Le visiteur, sans le savoir, prend la place du pèlerin d’antan pour cheminer sur la voie de la connaissance suprême. On effectue un voyage pour remonter dans le temps.
La symbolique du message se poursuit à l’intérieur d’un labyrinthe de galeries. Les frises murales relatent une étonnante histoire mythique. Or, cette bande dessinée qui est en fait sculptée, se lit justement dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. C’est-à-dire que l’on remonte l’échelle du temps jusqu’à la création !

 

Il existe deux circuits pour la visite du parc archéologique. Angkor Wat fait partie du “petit-circuit” présentant d’autres lieux célèbres.

Les temples du “petit-circuit”
Le second ensemble, dorénavant bien connu, est Angkor Thom (‘’la grande ville’’). Cette vaste enceinte carrée comprend le Bayon, le Baphuon, le palais de Phimeanakas, la terrasse des éléphants et quelques édifices mineurs.
Édifiée par Jayavarman VII à la fin du XIIe siècle, cette nouvelle capitale khmère est protégée par un mur d’enceinte de 8 mètres de haut et d’une circonférence de 12 kilomètres. Le mur est ceinturé par une douve large de 100 mètres. Ce quadrilatère géant symbolise le mont Meru entouré par les océans.
En venant d’Angkor-Wat, on arrive par la porte Sud sur un pont représentant la bataille mythique des 54 dieux et des 54 démons.
Lorsque l’on sait que le chiffre 9 a une valeur spirituelle hautement symbolique dans le bouddhisme, le nombre de cinquante-quatre interpelle. Mais, en additionnant le cinq et le quatre, on obtient neuf. En appliquant ce même raisonnement pour les deux rangées du pont, la somme des deux 9 donne dix-huit, or le un et le huit additionnés font toujours 9 !
On retrouve donc le même symbolisme au niveau de la géométrie et de l’arithmétique du Bayon. D’apparence plutôt gothique, cette superbe structure, surnommée le ‘’temple aux visages’’, est orientée vers l’Est (le soleil levant). Les archéologues se sont aperçus que le Bayon se trouve exactement au centre d’Angkor Thom. Le sanctuaire adopte la forme d’un quadrilatère parfait s’élevant sur trois étages. Les deux premières terrasses sont carrées, symboles de la dualité terrestre. La troisième est circulaire, donc à caractère cosmique. La particularité de l’édifice est double. On y voit 54 tours, révélant 216 visages géants d’Avalokiteshvara aux sourires énigmatiques. La racine du chiffre 9 se retrouve dans le chiffre 54 comme dans celui de 216. Il faut d’ailleurs préciser que les tours et les têtes sculptées se trouvent au niveau de la troisième terrasse. Par ailleurs, le Bayon est un temple qui témoigne du passage spirituel de l’hindouisme vers le bouddhisme Mahayana.
Deux cents mètres plus loin, au milieu de la forêt tropicale, le Baphuon est une imposante pyramide de 43 mètres de haut (ce qui donne le chiffre impair 7). Les archéologues l’ont restaurée tout récemment en reconstituant un ensemble de 300.000 morceaux. Il s’agit d’une représentation mythique du mont Meru. Pour y accéder, on emprunte une chaussée surélevée, longue de 200 mètres et soutenue pas des centaines de colonnes. La structure pyramidale est composée de cinq terrasses. Une fois encore, on est en présence d’une série de chiffres impairs: 3, 5, 7 et 9. Au XVIe siècle, on a ajouté sur la face occidentale de la structure un bouddha couché, long de 60 mètres.

L’ancienne résidence royale de Phimeanakas (le ‘’palais céleste’’) comporte deux beaux bassins utilisés autrefois comme bains royaux. La grande place centrale, située à l’est du palais, servait de lieu de rassemblement public. Côté sud, à droite, se trouve la terrasse des éléphants, et qui était une plateforme d’observation pour les cérémonies royales. Côté gauche, au nord, la terrasse du roi lépreux (fin du XIIe siècle), faisait fonction de crématorium royal.
A ce stade de la visite, on prend pleinement conscience de l’importance architecturale d’un tel ensemble, devenu à la fois un patrimoine mondial de l’Unesco et l’une des nouvelles 7ème merveilles du monde. La visite des édifices du “grand-circuit” corrobore cette sensation de majesté sublime.

 

Lacs et sanctuaires du “grand-circuit”
On se souvient que l’une des images mythiques d’Angkor est celle de ces arbres gigantesques de la forêt tropicale, enserrant de leurs racines les monuments.
Ta Phrom est l’un d’eux. Construit en 1186, Ta Phrom est un monastère bouddhiste, édifié par le roi Jayavarman VII et dédié à sa mère. Ce sanctuaire se caractérise par ses tours, ses cours fermées et ses corridors étroits.
Également construit par Jayavarman VII en 1191, le temple de Phrea Khan (‘’Epée sacrée’’) est un vaste ensemble contenu à l’intérieur d’une enceinte. Véritable dédale de corridors à voûtes, ce monastère était un centre de vénération et d’apprentissage du bouddhisme Mahayana. On y voit également un curieux bâtiment de deux étages, ressemblant étrangement à un temple grec mais qui faisait office de bibliothèque.

La vaste section du “grand-circuit” renferme des réservoirs, si grands, qu’ils donnent l’illusion d’être des lacs. C’est le cas du réservoir oriental (le ‘’Baray oriental’’), creusé par Yasovarman I, à main d’homme. Il est aujourd’hui en partie asséché. Sur ce qui était une île, au milieu de l’étendue d’eau, le roi Rajendravarman II, avait fait construire un temple-montagne de style hindouiste, le Mebon oriental. Construit de manière pyramidale, la première terrasse déploie de belles statues d’éléphants à chaque coin, tandis que la troisième terrasse est surmontée par cinq tours en forme de lotus..
À proximité de la rive du réservoir, le temple bouddhiste de Phrea Neak Poan (‘’le temple des Nagas entrelacés’’), date de la fin du XIIe, pendant le règne du roi constructeur Jayavarman VII. Cet édifice adopte un plan cruciforme. Le grand quadrilatère central retient un bassin au milieu duquel se trouve une île circulaire surmontée par deux nagas, dont les queues entrelacées, ont donné son nom à cet ensemble. Quatre bassins plus petits forment une croix sur les quatre faces du carré central (on retrouve la symbolique du chiffre 5). Chaque petit bassin a son effigie, trois animaux : un lion, un cheval, un éléphant. Un dernier bassin affiche une figure humaine.

On se rend compte que l’on est ici en présence d’un de ces hauts lieux attestant d’une ingéniosité ancestrale et découvert assez tardivement par le reste du monde.
C’est un naturaliste franc-comtois, Henri Mouhot (1826-1861) qui, le premier, attira l’attention sur l’existence de ce fabuleux site archéologique, témoin d’une brillante civilisation d’antan. Mais il faut savoir que le peuple khmer n’en ignorait pas l’existence et qu’au cours des siècles, le site d’Angkor a conservé son immuable transcendance spirituelle auprès des indigènes.
Laissons donc à Henri Mouhot le soin d’apporter le témoignage de sa découverte. « Ah ! Que n’ai-je été doué de la plume d’un Chateaubriand ou d’un Lamartine, ou du pinceau d’un Claude Lorrain, pour faire connaître aux amis de l’art combien sont belles et grandioses ces ruines peut-être incomparables, seuls vestiges d’un peuple qui n’est plus et dont le nom même, comme celui des grands hommes, artistes et souverains qui l’ont illustré, restera probablement toujours enfoui sous la poussière et les décombres (4). »

Bibliographie

Sites Internet : Wikipedia
Unesco-Angkor
Grand circuit, Guide Vert Michelin
Livres : Bruno Dagens : Angkor, La Forêt de pierre, Découvertes Gallimard, 2001
Henri Mouhot : Voyages dans les royaumes du Siam du Cambodge et du Laos (monographie)
Pierre Loti : Un pèlerin d’Angkor.
André Malraux : La Voie Royale

  1.  Les danseuses divines sacrées.
  2.  Serpent géant mythique, proche du dragon chinois et associé à l’élément eau.
  3.  Tours arrondies des temples brahmaniques.
  4.  Henri Mouhot, Voyage dans les royaumes de Siam, de Cambodge, de Laos, Hachette, Paris. 1868.